La sortie, c'est par là ! La Conduite Sportive de la Moto
L'Editeur
Il y a quelques années, les Editions De Vecchi ont publié La Conduite Sportive de la Moto, écrit par Roberto Patrignani et Giacomo Agostini, ouvrage qui fut alors couronné du "Grand Prix de la littérature sportive". Dire que ce livre connut - et connaît encore - un grand succès est peu dire... Et chaque nouveau tirage se trouve toujours rapidement épuisé.

Mais le temps passe... Les techniques et le matériel motocyclistes évoluent et s'améliorent. Nous avons voulu qu'il en soit de même pour La Conduite Sportive de la Moto. A l'expérience de Giacomo Agostini et de Roberto Patrignani, vient aujourd'hui s'ajouter celle d'Eric Glain (rédacteur en chef adjoint de Moto Revue). Et pour préfacer le tout... Patrick Pons ! Assez pour satisfaire les plus exigeants de nos lecteurs.
Entretien avec Patrick Pons:
Que pensez-vous de l'évolution technique actuelle et du stade auquel nous sommes arrivés ?
Yamaha 1000 + S: quatre cylindres, quatre temps, double arbre à cames en tête, transmission par arbre: le nec plus ultra. (Moto Revue) Patrick Pons: En tourisme, c'est principalement l'arrivée des constructeurs Japonais qui a changé la configuration du marché moto. Avant, la moto était réservée à une certaine catégorie d'utilisateurs, souvent des jeunes qui étaient autant bricoleurs que motards, qui n'avaient pas peur d'ouvrir un moteur sur le bord de la route quand la moto tombait en panne. Avec la venue des deux roues Japonais, le cadre des utilisateurs s'est élargi. Beaucoup de gens sont venus à la moto du fait de son gain en robustesse, en fiabilité. De plus, certaines "tares" inhérentes aux motos, comme les fuites d'huile qui interdisaient de les enfourcher sans mettre des bottes, un jean ou un cuir, ont disparu.

Aujourd'hui, vous pouvez parfaitement rouler sans être obligé de faire nettoyer votre costume en arrivant à destination. L'évolution technique a, certes, été importante ces dernières années, mais les solutions apportées ne sont pas révolutionnaires. Certaines motos ont eu quatre cylindres bien avant la 750 Honda. Au-delà de la technique de base fondamentale, qui a fait relativement peu de gros progrès, certaines améliorations d'équipements ont apporté beaucoup à la moto. Je pense notamment aux freins à disque, qui ont complètement détrôné les freins à tambours, et offrent une bien meilleure progressivité, un entretien plus facile et un prix de revient moins important à la construction, donc à la vente.

Suzuki RE 5. Tentative de commercialisation d'un moteur à piston rotatif. (Moto Revue) Mécaniquement parlant, on constate en tourisme que le moteur quatre temps multicylindres commence, dans toutes les marques, à prendre la suprématie. Ces moteurs s'avèrent plus fiables en tourisme, mais n'empêchent pas le "deux temps" d'avoir quand même un avenir brillant dans les motos à tendance sportive. Je pense d'ailleurs que le "deux temps" devrait être préféré au "quatre temps" pour les faibles ou moyennes cylindrées de tourisme sportif. L'évolution de ces moteurs, en deux ou en quatre temps, nous pousse aux multicylindres, bien qu'il y ait quelques exceptions comme, par exemple, la Yamaha 500 XT de Gilles Comte qui a remporté le rallye Côte d'Ivoire-Côte d'Azur et qui est un monocylindre quatre temps. Mais ceci est une exception et le tourisme connaît la tendance inverse.

Les avantages du multicylindre sont nombreux: ils fournissent une puissance plus importante tout en offrant une sécurité mécanique accrue, mais ils sont aussi plus souples et transmettent donc moins de vibrations à la moto et au pilote. Il faut aussi parler de la transmission secondaire, qui est la grosse carence de la moto: une chaîne doit être retendue sans arrêt, changée tous les 5000 km, etc. Malgré l'arrivée de chaînes spéciales autolubrifiantes qui ont une durée de vie supérieure, l'idéal reste tout de même la transmission par arbre et cardan.

Honda 750 Automatic, équipée d'une boîte de vitesses automatique comme en automobile. (Moto Revue) Cette technique, déjà appliquée avec succès par des Européens qui furent les premiers à l'utiliser (BMW, Moto Guzzi), est maintenant reprise par les Japonais, Honda et Yamaha pour ne pas les citer. Je pense que cette technique devrait entrer désormais dans les moeurs, du moins en grosses cylindrées, de la même façon qu'on ne conçoit plus une moto sans freins à disques. De l'ensemble moto, c'est encore la partie "cycle" qui a le moins évolué. Les cadres sont le plus souvent des doubles berceaux tubulaires et, si la qualité des matériaux utilisés pour les fourches et les amortisseurs arrière s'est améliorée, leur conception n'a guère varié. Je parle de tourisme bien sûr, car nous verrons plus loin que certaines modifications existant en compétition risquent de rejaillir sur la moto de "monsieur tout le monde".

Eclaté de moteur bicylindre quatre temps à double ACT et quatre soupapes par cylindre, en l'occurence celui de la Yamaha + 500. (Moto Revue) L'évolution a été beaucoup plus rapide dans le domaine du tout-terrain qui dispose désormais de modèles à suspensions arrière de type "cantilever", de fourches ou d'amortisseurs arrière à gaz, etc. Enfin, les boîtes de vitesses ont fait de gros progrès puisque nous trouvons maintenant, sur certains modèles, des transmissions automatiques (Honda) ou semi-automatiques, à l'aide d'un convertisseur de couple (Moto Guzzi).

Pour terminer, je citerai pêle-mêle diverses améliorations qui font de la moto de 1977 un engin évolué et sophistiqué: démarreur électrique, temporisation des clignotants, éclairage à iode, affichage digital du rapport engagé, jauge d'essence, l'accroche casque, le totalisateur journalier sur le compteur, des commodos très pratiques notamment celui d'appel code-phare, des voyants de contrôles divers, etc. Nous devons la plupart de ces gadgets aux Japonais.

Grâce à eux, la moto arrive donc à un niveau d'équipements comparable, sinon parfois supérieur, à celui de l'automobile. La moto n'est donc plus aujourd'hui réservée à une élite enthousiaste mais surtout douée de solides connaissances techniques et d'un féroce appétit de bricolage !
La moto ne risque-t-elle pas de devenir exclusivement un engin de loisirs ?
Une autre solution moderne: le moteur bicylindre en V, en vogue chez Moto Guzzi et Harley Davidson. (Moto Revue) Patrick Pons: Le cas existe aux Etats-Unis. L'importance des distances dans ce pays fait que les gens utilisent tout sauf la moto pour aller, d'un point à un autre. La moto est donc devenue un engin de loisirs à part entière. En France, les données sont différentes. Il ne faut pas oublier que nous avons, principalement aux abords et dans les grandes agglomérations, un problème de circulation. Les deux roues peuvent être une des solutions de ce problème.

C'est pourquoi je pense que l'activité motocycliste ira croissante, tant dans le sens de l'utilitaire (trajets domicile-travail ou moyen de livraison professionnel) que des loisirs (raids et voyages, "moto verte", etc). L'évolution la plus frappante en France est celle du tout-terrain, ce que nous appelons la "moto verte". Ce terme englobe tous les motards, citadins ou non, qui n'utilisent pratiquement leur moto qu'en tout-terrain, le week-end, soit sous la forme de promenades à travers la campagne (la randonnée), soit d'une façon sportivement plus définie comme le trial, l'enduro ou le moto-cross.

L'engouement que connaît depuis quelques années cette activité motocycliste de "loisirs" ira croissant. Le cas du tourisme est sensiblement différent. De par le prix de revient de la machine (achat, assurance, maintenance) assez peu de gens peuvent se permettre de disposer d'une voiture pour les déplacements utilitaires et d'une moto pour la promenade. Cela existe, certes, mais d'une façon très minoritaire. La moto de route restera donc plus un véhicule de transport que de plaisir, bien que les deux puissent converger car, au départ, dans le choix la moto plutôt que la voiture, le "plaisir", la "passion" jouent leur rôle.
Parlons compétition à présent. La course est un gigantesque laboratoire ! Qu'en est-il sorti de bon ?
Les freins à disques sont très souvent équipés de témoins d'usure des plaquettes comme sur la photo ci-contre. (Moto Revue) Exemple d'un équipement moderne: roues en alliage léger à bâtons, frein à disques à commande hydraulique. (Moto Revue) Patrick Pons: Beaucoup de choses ! La plus importante est sans doute l'évolution des pneumatiques, qui trouve bien sûr une application commerciale une fois le stade expérimental sportif dépassé. Pendant quinze ans, les coureurs ont disposé des mêmes pneus, alors que depuis trois ans, un pneu nouveau sort pratiquement à chaque course ! Nous disposons désormais de pneus très différents et appropriés au temps (pneu pluie, sec ou mixte) ou au profil et au revêtement de la piste (gomme tendre, dure). L'effort réalisé par les manufacturiers, Dunlop et Michelin surtout, est considérable.

L'utilisateur quotidien en tire le bénéfice puisque les pneus mis à sa disposition sont d'une remarquable qualité, et sans cesse améliorés, ce qui augmente d'autant le confort de conduite, la tenue de route, le freinage et donc la sécurité. La seconde bonne chose, c'est l'arrivée de la suspension "cantilever". Il n'y a plus deux amortisseurs arrières, mais un seul passant par-dessus le moteur, ce qui augmente le débattement de la roue arrière et fait progresser d'autant la tenue de route. Ces changements par rapport à une suspension classique sont importants: le cantilever, du fait de son grand débattement, absorbe beaucoup mieux les dénivellations.

Tout est bon en compétition pour gagner du poids: disques percés, étriers et supports de frein en alliage léger et réduits au minimum. (Moto Revue) La roue n'a donc plus tendance à sautiller au passage d'une bosse ou au freinage, par exemple, mais à rester collée à la piste et à épouser son relief, en creux ou en bosse. La tenue de route s'en ressent énormément, mais aussi l'efficacité de freinage, la vitesse de pointe, le confort et la fatigue du pilote. Cette solution présente un progrès certain, mais je pense que nous en sommes tout de même aux balbutiements de la technique moto. Pendant des années, rien n'a évolué: cadres, roues, freins, amortisseurs et souvent même moteurs sont restés identiques.

Chaîne double, amortisseurs à gaz, roues à branches et frein à disque: toutes les bonnes recettes. (Moto Revue) Tout cela commence à changer et ce n'est qu'un début. Déjà, beaucoup de ce que nous avons expérimenté en compétition a été commercialisé, ce qui a rehaussé la technicité des motos: freins à disques, roues en alliage léger à bâtons, boulonnerie hexacave et, peut-être un jour en titane, pièces moteur dans des matériaux ultra-légers comme les carters en magnésium, les pneumatiques, les suspensions, etc. Beaucoup de nouvelles techniques vont être expérimentées, telles que le répartiteur de freinage ou le frein anti-bloquant, que nous retrouverons bien évidemment sur la moto de tout un chacun un jour.
Que recherche-t-on le plus en compétition: la puissance ou la souplesse d'un moteur ?
Benelli 750 Sei: six cylindres, un bruit fabuleux et des sensations fortes assurées ! (Moto Revue) Patrick Pons: On parle moins de puissance, car nous sommes arrivés avec, par exemple, la dernière 750 Yamaha OW31 à plus de 110 chevaux, pour une vitesse de pointe de 300 km/h à Daytona sans problèmes. Nous essayons donc au contraire maintenant, parallèlement à la recherche de puissance, à développer le maître-couple, c'est-à-dire la souplesse du moteur qui permet un pilotage plus coulé, plus onctueux et moins risqué pour les moteurs, le risque de casse diminuant avec l'augmentation du couple.

Une 750 OW31 a du couple à partir de 6000 tours/minute à peu près, avec une courbe qui atteint son maximum à 8000 tours environ. Ce qui signifie qu'à partir de 6000 tours, nous pouvons exploiter la puissance du moteur, jusqu'à 11000 tours environ. Alors que sur certaines motos plus "pointues", cette plage de régime utilisable diminue énormément, notamment la 250 cm3 qui commence à avoir des chevaux à 9000 tours pour un régime maximum de 11000 tours. Ce qui nécessite une attention constante, sinon c'est le retour au box avec un moteur détruit.
Comment le pilotage varie-t-il en fonction de ces progrès techniques ?
Moto Guzzi V50, bicylindre quatre temps en V, ou la réponse Italienne au forcing Japonais. (Moto Revue) Patrick Pons: Le pilotage proprement dit varie peu dans ses formes, si ce n'est que grâce aux différentes améliorations dont nous venons de parler, les freinages interviennent plus tard, sont plus précis et plus progressifs, les courbes passent plus vite, les vitesses de pointe sont supérieures. Ce qu'il faut surtout noter, c'est le nivellement par la qualité qui s'opère entre les pilotes, du fait de la vente de motos dites "compétition-clients" par les usines, qui sont souvent très proches de celles utilisées par les seuls pilotes d'usine.

Ceci, allié au nombre croissant de courses, aboutit à un niveau de pilotage bien meilleur. Il n'est plus rare aujourd'hui de trouver aux essais, la veille d'une course, dix pilotes dans la même seconde, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. La différence se fait donc grâce au talent, mais aussi au soin de la préparation moteur, au poids, à l'aérodynamisme qui se trouve bloqué par les réglements de la Fédération Internationale de Moto qui interdit certains types de carénages ayant un CX supérieur à ce qui existe en compétition à l'heure actuelle.
Quels conseils peut-on donner à un motocycliste débutant ?
Patrick Pons: De se lancer avant tout sur une petite cylindrée, s'il en a la possibilité. Se faire la main sur une 125 ou une 250 cm3 permet de se familiariser avec la conduite d'un deux roues et de le maîtriser. Il pourra par la suite passer à une cylindrée supérieure sans appréhension et en toute sécurité. J'ajoute qu'une bonne formation est primordiale. Le permis de conduire moto Français est le plus sophistiqué d'Europe mais aussi le mieux adapté aux conditions de circulation.

Plus qu'un examen, il est, pour le pilote, la certitude de pouvoir se comporter avec responsabilité en toutes circonstances. Il faut s'y préparer sérieusement. L'idéal, pour ceux qui peuvent disposer d'une semaine de liberté, est de participer à un stage de formation comme il en existe maintenant plusieurs en France (C.F.M., La Prévention Routière, l'Ecole de l'A.C.O. au Mans, etc).

Rien n'interdit par la suite de participer à des stages de perfectionnement ou de pilotage qui ne peuvent être que bénéfiques. Tout le reste, les "trucs" et ficelles du motocycliste, viendra par la suite, avec la pratique. Mais il est primordial de débuter sur des bases saines.
Extrait du livre: La Conduite Sportive de la Moto.
1977 Editions De Vecchi SA Paris.
G. Agostini, R. Patrignani, E. Glain.
Préface Patrick Pons.
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