La sortie, c'est par là ! Assen 750
Lucchinelli a osé
Départ canon en première manche: Cecotto ( 4 ), Lucchinelli ( 26 ) et Baker ( 32 ) partent bien à plat. Par contre van Dulmen ( 7 ) et Agostini s'offrent de belles roues arrières. Le plateau de la course Néerlandaise du championnat du monde des 750 cm3 réuni à Assen était modeste. On s'attendait donc à une épreuve relativement peu animée. Effectivement, la première des deux manches manqua de piquant au bout de quelques tours. Mais, par contre, la performance de Lucchinelli fut si éblouissante lors de la deuxième manche que les spectateurs réunis autour du circuit van Drenthe ne regrettèrent pas de s'être déplacés: Marco Lucchinelli, dans son style audacieux, avait tenté un pari énorme... et l'avait gagné, se permettant même de battre le grand roi des 750: Steve Baker ! Marco Lucchinelli sur la 750 Yamaha que lui avait prêté Armando Torraca, a fait preuve d'une audace peu commune autant sur le plan pilotage que sur le plan ravitaillement. La limite fut souvent proche, mais la victoire était au bout. Sur 28 pilotes présents aux essais, seuls 24 prennent le départ de la course: Pons, Palomo, Le Liard et Albas chutent en effet dès le vendredi et doivent déclarer forfait. Parmi ceux qui restent, trois sont des favoris logiques: ceux qui disposent d'une Yamaha d'usine. Mais de Baker, Cecotto et Agostini, qui l'emportera ? Pour ne prendre aucun risque, l'équipe d'usine Yam équipe ses trois motos de pneus différents: Dunlop pour Baker, Michelin pour Cecotto et Goodyear pour la machine de réserve pilotée alternativement par Baker et Cecotto. Parmi les privés, aucune marque ne s'impose. Si Lucchinelli fait confiance à Dunlop, Sarron préfère Michelin. Quand les essais se terminent, c'est Johnny Cecotto qui occupe la pole-position en 2'57"2, devant Marco Lucchinelli ( 2'57"9 ) et Steve Baker ( 2'58"4 ). Sarron est logiquement quatrième, devant Agostini et Ballington. Par contre, les autres Français déçoivent un peu: Fau est huitième, Rougerie quatorzième, Rigal seizième et Husson dix-huitième. Il est difficile en fonction de ces temps de faire un pronostic. D'autant plus que chaque manche ne dure que 123 km et que certains veulent ne pas ravitailler. Protestation aussitôt des autres, qui ont l'intention de les y contraindre en faisant pression sur les organisateurs. Ces derniers, toujours excellents au fil des années, décident de faire voter les pilotes. Quels sont ceux qui veulent que le ravitaillement soit obligatoire ? Dix mains se lèvent. Celles d'Ago, Cecotto, Baker, North, Forester, George, Van Dulmen, Vogt, Willing et Zoet. Dix sur vingt quatre, ce n'est pas assez. Chacun sera donc libre de ravitailler ou non. Sortie avec le sourire de Fau, Rigal, Sarron, Rougerie et Husson.
Baker à l'aise
Une troisième place bien méritée viendra récompenser la rapidité et la régularité de Christian Sarron. Il garde ainsi sa seconde position au championnat du monde derrière Baker. Pour Hubert Rigal, la huitième place obtenue n'est pas très satisfaisante. Mais il est prêt à tout pour reconquérir sa troisième position au championnat du monde aux Etats-Unis et au Canada. Dès le premier tour de la première manche, Steve Saker est déjà en tête. Il est suivi de Cecotto qui n'a pas l'intention de le laisser filer. Lucchinelli n'est que sixième, devant Sarron qui chauffe son slick avant. Soudain Warren Willing chute au milieu du peloton, et ce n'est que de justesse que Sarron l'évite.

Après trois tours, la situation s'est nettement éclaircie: Baker est au commandement avec Cecotto dans sa roue, alors que derrière eux deux pelotons sont en bagarre. Le premier comprend van Dulmen, Lucchinelli et Fau, et le second Sarron et Agostini. Rougerie est déjà éliminé.

Il explique pourquoi: "Mon moteur neuf serrait toujours sur le même cylindre, et nous avons donc pensé qu'il y avait une prise d'air au niveau du carter moteur. Nous avons donc utilisé le vieux moteur, mais les vilebrequins trop anciens ont cédé."

Steve Baker a été trahi par la consommation excessive de sa Yamaha d'usine. Pourtant à Assen il était bien le plus rapide, comme le prouvent ses deux meilleurs temps réalisés dans les deux manches. Vu sous cet angle, nous sommes presque à la place de Lucchinelli. Un pilote qui a retrouvé tout son mordant de début de saison 76 où il fit le meilleur temps des essais 500 du G.P. de France. Pendant ce temps entête, Cecotto continue à harceler Baker. La machine du Vénézuélien glisse beaucoup moins que celle de l'Américain, à cause des pneus. Cela lui permet de revenir dans sa roue au moment où les ravitaillements vont commencer. Johnny rentre le premier au stand. Il descend ses vitesses, freine, s'arrête, et donne des coups de gaz nerveux pour maintenir le régime pendant que ses mécaniciens s'affairent.

Et soudain c'est l'inondation: il y a de l'essence partout ! La moto cale, couverte d'essence. Johnny, incrédule, reste un moment sans bouger sur la selle. Puis il serre les poings, descend de sa Yamaha, et rentre dans le parc des coureurs sans dire un mot. Pour lui, c'est la castrophe ! Comme il fallait s'y attendre, certains n'hésiteront pas à parler de sabotage, affirmant que les mécaniciens Yamaha avaient la consigne de favoriser Baker. Mais cette hypothèse ne semble pas tellement sérieuse dans la mesure où un incident identique était arrivé à Baker lors des essais.

Baker et Agostini comparent leurs temps d'essai sous l'oeil d'un de leurs mécaniciens. Les positions de Cecotto et Lucchinelli les inquiètent... à juste titre ! Christian Maingret ( à gauche ), mécanicien de Palomo, et Jacky Germain, mécanicien de Pons et Sarron, à l'oeuvre.
Il faudrait plutôt incriminer le système de ravitaillement rapide utilisé, et absolument indigne d'une équipe sérieuse. Heureusement en tout cas que les mécaniciens Japonais ne comprennent pas l'Italien, car maman Cecotto leur a passé un savon pour le moins bruyant et assez agressif ! Cecotto ayant abandonné, Baker se retrouve seul en tête devant Bernard Fau qui s'est débarrassé de Marco Lucchinelli. Baker devant ravitailler, Fau ne devant pas s'arrêter, la suite parait évidente: Fau a la victoire dans la poche. Mais c'est sans doute trop beau pour être vrai car un roulement de bielle casse sur la machine de Bernard !

Très déçu, il revient au stand en pestant. Mais il ne se décourage pas et fait monter son deuxième moteur dans le cadre pour pouvoir prendre le départ de la seconde manche. Baker est donc toujours solidement en tête, devant Lucchinelli, Sarron, Ballington, van Dulmen et Ago. Rigal et Husson sont derrière en bagarre, et ça va mal se terminer:" Je me suis fait la chaleur de ma vie, dit Gilles. Hubert m'a sorti involontairement dans l'herbe alors que j'étais en cinquième. Je suis parti dans tous les sens en craignant le trou qui me ferait partir en l'air. Heureusement, il n'y a pas eu trop de trou !" Steve Baker remporte donc la première manche, avec 3 secondes et 2 dixièmes d'avance sur Lucchinelli. Sarron est solide troisième, alors que Rigal est septième et Husson dixième.
Lucky Roi du poker
Trempé par l'essence qui vient de se répandre lors du ravitaillement, Cecotto voit tous ses espoirs s'envoler. Une faute inadmissible de la part d'une équipe d'usine. Des dents qui cassent et Bernard fau est contraint à l'abandon. Bernard était pourtant déjà en tête de la première manche et semblait avoir course gagnée quand il dut abandonner. Lucchinelli vide son réservoir: il lui reste de l'essence, et il décide donc de ne pas ravitailler au cours de la seconde manche. Baker, dont le moteur usine est plus gourmand, devra s'arrêter. Pour économiser au maximum le précieux liquide, les pilotes ne mettent leurs machines en route qu'au tout dernier moment et accomplissent le tour de chauffe à vitesse réduite. Ah, les économies d'énergie ! Baker est le plus rapide au départ, alors que Lucchinelli passe Ago pour la deuxième place. Sarron est sixième devant Rigal. Bernard Fau s'arrête, boîte de vitesses cassée.

Il y a des jours où vraiment tout va mal ! Baker tente de distancer Lucchinelli, mais l'Italien ne se laisse pas faire. Dans un style éblouissant, il fait le maximum pour réduire l'écart afin de pouvoir passer l'Américain quand celui-ci devra ravitailler. Pourtant, Marco a des problèmes d'embrayage. Il l'a fait changer entre les deux manches, et hélas son embrayage neuf a rendu l'âme dès le premier tour.

Cela ne le pénalise toutefois pas trop, mais un serrage serait pour le moins malvenu. Et comme Lucky ne va pas ravitailler, on lui souhaite de ne pas tomber en panne d'essence ! A mi-course, Baker ravitaille: 10 litres viennent remplir son réservoir et il repart avec huit secondes de retard sur Lucky. Baker attaque de plus belle, mais il passera la ligne 3" et 8/10èmes de retard sur l'Italien. Lucchinelli remporte donc cette course avec six petits dixièmes de secondes sur l'Américain ! Un finish au sprint de toute beauté ! Les trois leaders du classement provisoire du championnat 750 cm3: de gauche à droite Steve Baker, Christian Sarron et Hubert Rigal. Quelques heures après que cette photo ait été prise, Rigal était dépossédé de la troisième place par Lucchinelli.Christian Sarron ne cherche pas à forcer, et assure la troisième place au classement général, en finissant cinquième de la deuxième manche derrière Luchinelli, Baker, Ago et l'étonnant Néerlandais Middelburg. Au championnat du monde, Baker est toujours solidement au commandement, avec 109 points contre 44 au second Christian Sarron.

Par contre, Lucchinelli a réalisé une excellente opération en empochant à Assen quinze points qui lui permettent de ravir la troisième place à Rigal, 40 points pour l'Italien contre 32 pour le Monégasque. Il reste encore trois courses: Laguna-Seca aux Etats Unis dimanche, Mosport au Canada le 18 septembre, et Hockenheim en Allemagne le 25 septembre. Si Baker est définitivement assuré de remporter la couronne mondiale, la seconde place est par contre beaucoup plus disputée: Sarron, Lucchinelli et Rigal sont groupés, et les trois courses qui restent devraient donc être très ardues entre ces trois pilotes. Sarron résistera-t'il à Lucchinelli ? Rigal sauvera-t'il sa troisième place ? Début de réponse la semaine prochaine en Californie à Laguna Seca.
Conversation
Steve Baker n'hésite pas à donner parfois un coup de main à son mécanicien Bob Work. Il finit ici de serrer les vis d'un disque qui vient d'être changé le samedi soir après les essais. Sarron et Rigal discutent avec Agostini entre les deux manches.

Sarron: "Ago, tu as eu des ennuis pendant la première manche ?"

Ago: "Oui ? j'avais les boisseaux de carburateurs qui restaient ouverts. On n'a pas réussi à trouver pourquoi."

Lucchinelli arrive en short, des pansements aux genoux.

Ago: "Regardez-moi ce frimeur ! Tu fais ça pour les photographes afin que tout le monde dise que tu vas vite."

Lucky: "On pourra toujours dire que je vais plus vite qu'Ago."

Rigal: "Et les coudes, tu les fais frotter ?"

Lucky: "Pendant mon ravitaillement, on m'a remis un litre, or il en reste trois et demi. Je ne m'arrêterai pas en seconde manche ".

Rigal: "Moi j'en ai mis cinq et il en reste quatre, donc je ravitaille."

Sarron: "J'en ai mis cinq et il en reste sept. Si je ne suis pas en bagarre, je m'arrête pour prendre de l'essence. Et Baker, il ravitaille ?" Grille de départ.

Ago: "Oui".

Sarron: "Willing est tombé juste devant moi. J'ai du mettre le pied par terre et presque m'arrêter pour l'éviter !"

Lucky: "Oui, je t'ai vu, j'étais derrière toi".

Ago: "Qui c'est Willing ?"

Lucky: "C'est celui dont la femme a des gros seins ".

Ago: "Fais gaffe, il y a ta copine derrière toi ! Tiens, tu sais, Cecotto m'a dit que les mécaniciens avaient fait exprès de manquer son ravitaillement. Je suis stupide: aux essais, je tourne en 2'59"5 avec des Michelin et en 3'1"6 avec des Goodyear, et je garde les Goodyear pour la course !"

Lucky: "La moto de Bernard Fau va vraiment très vite !"

Sarron: "Plus vite que la mienne".

Lucky: "Que la mienne aussi".

Sarron: "Maintenant, je suis prudent. A Dijon, je suis tombé parce que j'étais en bagarre avec Coulon. Mais à Brands Hatch, je me suis mis par terre tout seul dans le dernier tour".

Ago: "Peut-être parce que tu aimes ça !"
Bernard Fau. Gilles Husson, pour un petit point, laissait échapper la dixième place du classement général. Ce n'est pourtant pas faute de s'être bagarré avec Rigal, George ou Matikainen.
Informations tirées de MOTO-presse N° 1 du 7 au 14 septembre 1977
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