La sortie, c'est par là ! Moto Journal a suivi la réalisation de la But
Eric Offenstadt dit "Pépé"
Entre 1961 et 1964 Pépé a beaucoup couru en moto. Si on le surnomme Pépé, c'est moins parce qu'il est vieux (34 ans par là) que parce qu'il radote. Pépé, ça fait dix ans qu'il rumine des roues en alliage, des châssis monocoque, des gardes au sol et des poids à sec. A l'atelier, on prend le gabarit de Jean Claude Hogrel, le pilote, afin de lui construire un cadre sur mesure. Entre 1961 et 1964 il a beaucoup couru en moto: de la 250 Aermacchi à la 650 Norton, il a enfourché un paquet de deux roues avant de passer à l'auto. Formule 3 puis Formule 2, son passage à l'auto a laissé des traces même s'il fut bref, de 1964 à 1969. Eric pilota des Matra d'usine, fit partie du team Lotus, mais connut d'énormes difficultés avec l'écurie Pygmée qui l'amenèrent à délaisser l'auto.

Assez mal accueilli dans le milieu moto lors de son retour en 1970 au sein de l'écurie Kawasaki-Baranne, il se mit aussitôt à adapter ses idées à la course: adoption de freins à disque en 1970, construction de son premier chassis monocoque en 1971, construction de roue en alliage, de son 500 bicylindre à base de Kawasaki en 1972 ; puis du cadre poutre en aluminium coulé conduit par Palomo en 1974, et enfin mise en moto de son enfant chérie cette moto cent pour cent Française dont il rêvait depuis longtemps. Grand baratineur et assez cabotin, Eric Offenstadt a toujours dit ce qu'il pensait et de ce fait ne s'est pas toujours attiré que des sympaties. Mais force est de reconnaitre son principale mérite: il n'a jamais baissé les bras et a remué ciel et terre depuis presque dix ans pour pouvoir enfin réaliser ses ambitions.
Au commencement il y avait la HO
Mais Eric Offenstadt continuait à caresser son vieux rêve... Construire une moto entièrement réalisée en France. Avec sa dernière création, on peut dire qu'il a doublement atteint son but, puisque sa nouvelle moto à vu le jour et que précisement elle s'appelle " BUT ", nom d'une chaine d'hypermarchés qui a financé le projet, répondant à l'appel lancé fin 1977 par Eric Offenstadt et Bernard Houzé. Pas à pas, Moto Journal a suivi pour vous la réalisation de cette moto pas comme les autres...
Eric Offenstadt est-il crédible ?
Eric Offenstadt est-il crédible ? Après la sortie au salon 1977 de sa 500 HO, et maintenant la But, Eric se révèle être le seul constructeur Français d'une 500 de Grand Prix. Offenstadt le constructeur, l'innovateur, on le connaît depuis 1971. Depuis cette date là, il est loué par les uns, dénigré par les autres. Alors que valent ses réalisations ? Les commentaires de techniciens qualifiés éclairent un peu cet aspect du problème.
Peter Williams, pilote Anglais qui créa les premières roues en alliage et monta les premiers freins à disque, ingénieur chez Norton de 1971 à 1975
Vue de face de la fourche avant. "A mon avis Eric va trop vite et trop loin ce qui l'amène parfois à oublier des points importants. Une moto doit être simple. En 1973 la Norton était trop complexe et c'est ce qui lui a causé du tort. En plus, un système compliqué a de grande chance d'être lourd. Je pense cependant qu'Eric Offenstadt a des idées merveilleuses ; son problème est un problème d'argent. Les gens qui l'emploient ne lui font pas confiance ou ne veulent pas de ses inventions. (avis donné avant l'engagement de But). On reproche à Eric de faire des erreurs: c'est stupide.

D'abord parce qu'un chercheur en commet toujours, ensuite parce qu'il sait tirer les leçons de ses erreurs. Les gens qui ne cherchent rien ricanent lorsque quelqu'un trouve dix trucs et ne parvient à en utiliser qu'un seul. C'est déjà extraordinaire de mettre au point une invention sur dix ! Pour revenir à Eric, j'ai toujours été d'accord avec ce qu'il fait. Sa fourche est un peu compliquée ; c'est un problème. Je pense qu'avec l'aide des gens de De Carbon Eric arrivera à de bons résultats. Pour le reste, j'estime que les roues, cadres et autres produits crées par Offenstadt sont excellents".
M. Loze, responsable du bureau d'études des moteurs chez Matra
"J'ai été en relations avec Eric Offenstadt pour construire son moteur chez Matra. Nous n'avons pas réellement travaillé ensemble mais nous avons longuement discuté de ses projets. Sans aucun doute, Eric Offenstadt est un technicien qui parle et résonne en technicien. Il a beaucoup d'idées et il connaît très bien la moto, les cadres et les suspensions".
M. Boyer, responsable des chassis et suspensions chez Matra
Fourche avant de la But. Autour de la But, la mini équipe qui la suivra sur les circuits cette saison: Jean Claude Hogrel le pilote, Eric Offenstadt et Alain Cueille qui dirige la préparation mécanique. "J'ai connu Eric Offenstadt chez Matra en 1965 juste avant qu'il ne quitte la maison. Eric a toujours été un gars original. A l'époque il avait déjà des idées mais pas encore de base technologique. La trace qu'il a laissé chez Matra c'est qu'il a toujours essayé de faire ce que les autres n'avaient pas fait.

En fait, on a besoin de types comme Offenstadt. Je prendrais un autre exemple: Lorsqu'un Bertin invente l'aérotrain et qu'il disparait sans avoir pu le réaliser parce qu'il s'est fait contrer de toutes parts, c'est dommage. Il en va de même pour Offenstadt: il lui faut souhaiter de toujours trouver de quoi réaliser ses inventions. En fait, c'est un pur: il cherche toujours à inventer et à faire de la mécanique alors que Matra, à l'époque ou il courait pour nous, n'avait d'autres ambitions que de gagner.

Donc on exploitant des solutions connues et en se moquant de la recherche pure. Personnellement je fais de la moto, donc je continue à suivre ce qu'il se passe. En ce qui concerne la suspension d'Eric, je ne puis dire qu'une chose: si vraiment il a réussi à corriger les problèmes de plongée à 100 % ; il risque de connaître des problèmes de broutage des roues que nous avont connu en automobile. En guise de conclusion, je redis qu'on a besoin de gars comme lui en précisant que ce sont toujours ces types là qui prennent des gadins techniques tandis que d'autres tirent tranquillement les marrons du feu".
M. Avner, ingénieur conseil chez De Carbon
La partie cycle en cours de montage. La coque a déjà reçu la partie arrière. Le moteur est suspendu très en arrière. "Nous travaillons depuis plusieurs années avec Eric Offenstadt ; c'est un plaisir car il discute, écoute et comprend vite. Pour moi c'est un Colin Chapman à ses débuts. Offenstadt est un technicien de valeur capable de critiquer ses réalisations. Nous avons d'abord travaillé sur sa fourche téléscopique qu'il a abandonnée au profit du nouveau système.

Cette suspension est d'avant garde, et je pense que les jours de la suspension téléscopique sont comptés. J'ignore si l'idée d'Eric est la solution idéale mais en tout cas c'est l'une des solutions de rechange possibles. On a besoin d'Offenstadt et de ses semblables pour progresser ; certaines de ses idées disparaissent, d'autres sont retenues..."
Un ingénieur Anglais, spécialiste en suspensions qui a préfèré taire son nom
"Eric Offenstadt est comme Colin Chapman, l'homme qui a construit les Lotus. C'est de ces chercheurs là que viennent les innovations, mais je pense que Offenstadt peut-être critiquer pour les mêmes raisons que Chapman. Il travaille à la limite de fatigue des matériaux et c'est peut-être une erreur".
L'opération But
La But sur un plateau."Mon objectif de longue date, dit Eric Offenstadt, était de pouvoir construire une moto Française, car j'estime que notre technologie n'a rien à envier à celles des autres pays. Mais l'industrie Française manque d'initiative. Ce que je trouve phénoménal avec la HO de 1977 et aujourd'hui, la moto But, c'est que nous avons réussi à déclencher un consensus industriel et technologique de gens qui ont envie de collaborer à la réalisation de cette moto entièrement Française. L'aide qu'ils nous apportent peut être financière c'est le cas de But, au premier plan, mais aussi de Total et de Gurtner. Mais cette aide peut aussi consister en une assistance technique gratuite: De Carbon pour les amortisseurs, Codary et Dubru pour les fonderies aluminium, Michelin pour les pneus, Souriau pour le matériel de diagnostic, Veglia pour l'appareillage électrique, Bottelin Dumoulin pour les carénages et Relais Moto 94 pour la finition des motos ont répondu à l'appel que nous avions lancé dans les médias. Et puis d'autres firmes encore ont tout fait pour nous aider, Pechiney-Cegedur pour le cadre, Aubry et Guérin pour les pièces en magnésium, Creusot-Loire pour la fourniture de l'acier, Fima pour la fonderie des cylindres, SKF pour les roulements, S.A. Leguellec pour les pièces du vilebrequin, Marchal pour les bougies et Larher pour les moules de fonderie, chacune a apporté un peu pour contribuer à la réalisation des motos. On voit nettement devant le cylindre, sous la sortie des échappements, les ouvertures qui recevront les carburateurs additionnels. Même hors du cadre étroit des techniques de fabrication les aides désintéressées ont joué: Air France transportera les motos au Vénézuela, tandis qu'un grand nombre de revue a passé notre annonce publicitaire cogitée par l'agence LBA. Si je tiens à citer tous ces gens là, c'est à la fois pour les remercier mais aussi pour montrer qu'en France on peut réaliser de grandes choses pour peu qu'on le veuille bien. En effet, le but à long terme des grands magasins But reste la relance d'une industrie motocycliste en France qui ne se confinerait pas aux petites cylindrées. A partir du moment où l'on est capable de construire des grosses motos dans ce pays, il est aberrant de laisser les Japonais détenir quatre vingt pour cent du marché. Il est d'autant plus nécessaire de limiter cette domination que la crise n'arrange rien." Voilà ce qu'il en dit, notre Pépé National, enfourchant sa moto de Grand Prix tel Don Quichotte pour pourfendre l'adversaire Japonais. En tout cas, quels que soient les résultats obtenus par sa moto, Eric aura eu le mérite de se battre tout seul pour réaliser ses projets dont l'intérêt n'échappe à personne depuis quelques mois. Dans la rubrique les titres auxquels vous avez échappé - Offenstadt court au but et Offenstatd sort sa petite but -, histoire de détendre l'atmosphère après cet appel historique du 18 joints (de carter, d'embase, de culasse et autres...)
Coût d'un prototype
L'un des intérêts de la moto But réalisée par Offenstadt, c'est qu'elle permet de réaliser ce que coûte la mise en chantier d'un prototype. Etape par étape, vous allez découvrir ce qu'il faut investir pour en arriver à une machine complète. Etude d'autant plus intéressante que même un prototype d'usine comme une Yamaha ou une Suzuki de Grand Prix oblige ses constructeurs à une pareille gymnastique avec les chiffres.

Fourche avant
Réalisation du modèle en bois: 20000 F
Coulée de magnésium, pièce de fonderie brute: 1800 F
Soudure des bras, du basculeur et de la biellette: 700 F
Usinage des pièces en magnésium: 1000 F

Suspensoin arrière
Réalisation du modèle en bois: 11000 F
Coulée de magnésium, pièce de fonderie brute: 800 F
Assemblage et usinage: 300 F
Support de pince, modèle en bois: 2500 F
Fonderie d'un support de pince: 100 F

Châssis-coque
Découpage, soudure et construction de la coque: 14000 F
Usinage colonne de direction et plaques latérales: 750 F

Moteur
Modèle bois du carter gauche: 45000 F
Modèle bois du carter droit: 40000 F
Modèle bois du carter embrayage: 11000 F
Modèle bois du carter allumage: 4000 F
Modèle bois des cylindres: 65000 F
Modèle bois des culasses: 7000 F
Fonderie des pièces moteur: 4500 F
Usinage des pièces moteur: 10000 F
Deux pistons Mahle forgés: 1200 F
Un embiellage: 4800 F
Une boîte de vitesses: 6000 F
Quatre carburateurs Gurtner: 4800 F
Pièces diverses (visserie, transmission): 2000 F

Divers
Pots de détente: 3000 F
Radiateur: 1500 F
Compte-tours et température d'eau: 1200 F
Trois disques de frein: 1500 F
Pinces de freins: 600 F
Deux roues DMAC: 3400 F
Divers (durites, repose-pieds, carénage): 3000 F

Voilà, si l'on ajoute 15000 F pour le montage et la finition, ce premier prototype a coûté 235100 F sans compter les frais d'étude ni le salaire du mécanicien. Bien sûr les moules pourront être réutilisés mais l'investissement initial est énorme.
Fiche technique
Bi-cylindre, deux carburateurs par cylindre, refroidissement liquide, boîte 6 vitesses, embrayage à sec.

Moteur: 2 temps
Balayage: Sn ürle à 7 transferts
Admission: mixte par clapets et jupe du piston
Alésage course: 71 x 63 pour le 500 cc. 63 x 56 pour la 350 cc

Matériaux
Culasse alu Codary et Dubru
Cylindres alu, traités au Nicasil, Fima
Pistons forgés
Segments chromés
Carters magnésium Aubry et Guérin
Allumage et compte-tours électronique Véglia
Vilebrequin en acier traité Leguellec
Carburateurs en magnésium Gurtner

Partie cycle
Suspensions
Avant: à flexibilité variable, en magnésium
Arrière: avec amortisseurs inclinés à 45 °, en magnésium

Dimensions
Empattement: (350 cc) 1,39 m - (500 cc) 1,39 m
Angle de chasse: (350 cc) 64° - (500 cc) 64°
Pneus AV: (350 cc) 3,25 x 18 - (500 cc) 3,50 x 18
Pneus AR: (350 cc) 3,50 x 18 - (500 cc) 4,00 x 18
Carburateurs AV (diamètre): (350 cc) 26 - (500 cc) 26
Carburateurs AR (diamètre): (350 cc) 30 - (500 cc) 32

Poids
Moto à sec: (350 cc) 105 kg - (500 cc) 110 kg
Moteur: (350 cc) 38 kg - (500 cc) 43 kg
Informations tirées dans Moto Journal N° 352 du 23 février 1978
Texte J. Bussillet. photos J.-Y. Ruszwiewski
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