La sortie, c'est par là ! Guilo Cesare Carcano
Il a fait la V8 Guzzi... que nous prépare-t-il ?
Guilo Cesare Carcano Le « huit » de la Moto Guzzi avec la disposition des avirons étudiée par l'ingénieur Carcano. L'homme qui pendant trente années a été l'un des génies les plus volcaniques que le monde motocycliste ait jamais connu, dessine aujourd'hui des voiliers destinés aux régates. Nous voulons parler de l'Ingénieur Giulio Cesare Carcano qui a maintenant soixante ans et du cerveau duquel sont sorties les plus célèbres moto de course Guzzi depuis 1936, y compris la sensationnelle 8 cylindres 500 cc qui reste encore aujourd'hui un chef d'oeuvre unique au monde. L'ingénteur Carcano habite à Mandello Lario et, pour son plaisir peut-on dire, il dirige une étude de créations et de consultations pour la réalisation de coques de voiliers destinés aux régates. Dans ce domaine aussi son talent a porté ses fruits immédiatement, à tel point que des bateaux dessinés par lui ont gagné des épreuves importantes, et récemment la Two Tons Cup comptant pour la Coupe d'Europe. Carcano a toujours éprouvé une grande passion pour les bateaux et la mer. La première fois qu'il mit la main à la pâte, ce fut pour améliorer le rendement du skif de la Canottieri Moto Guzzi autour des années 50. On lui avait demandé de penser à quelque chose qui pourrait améliorer le rendement sur le plan technique. Et c'est ainsi qu'en plus des nouveautés concernant les tolets et autres matériaux utilisés, il opéra une véritable révolution concernant la " nage ": au lieu de faire alterner les coups d'aviron ainsi que cela se faisait normalement partout pour les équipages à 4 ou 8 rameurs, Carcano avait appairé le premier et quatrième rameur, le troisième et le second, pour reproduire l'ordre et le rythme des explosions dans un moteur. Le même principe était appliqué pour le huit. Les résultats furent absolument extraordinaires et immédiats. Rappelons à ce sujet la victoire aux Jeux Olympiques de Melbourne en 1956.

Illustration de la suprématie des Guzzi autour des années 50. Nous voyons ici Lorenzetti, Anderson, Agostini, et la Norton de Ray Amm. En 1957: l'ingénieur Carcano discute ici avec Bill Lomas. Tout ceci pour en arriver à illustrer le fait que la passion de Carnano n'est pas nouvelle et que chaque fois qu'il s'est attaqué à un problème il a su le résoudre avec succés et par des moyens non-conventionnels. L'ingénieur Carcano n'aime pas se mettre en vedette. Il est toujours habillé de façon simple et correcte. Son vêtement favori ? Un petit blouson de cuir de coupe sportive. Actuellement, il a les cheveux en brosse parce que c'est plus pratique. C'est exceptionnellement et lorsqu'il ne peut faire autrement, qu'on le voit en veste et cravate. Il s'est marié alors qu'il avait tout près de la cinquantaine.

Un homme discret, donc, parlant peu, anticonformiste et pas très ami de la publicité. Il est bien rare, en effet, de le trouver sur les innombrables photos de courses de l'époque. Mais cela ne signifie pas qu'il soit un "ours", traitant les autres avec un air d'ennui ou de suffisance. Bien au contraire, si on lui offre de traiter un sujet qui l'intéresse c'est un véritable plaisir de l'écouter car il joint à un solide savoir une manière très simple et même spirituelle de s'exprimer. Toutes ces qualités, techniques et humaines font regretter chez Carcano une attitude impardonnable. Depuis le jour de 1966 où il a abandonné la Moto Guzzi pour prendre sa retraite, il s'est retiré complètement des milieux motocyclistes. Le magnifique moteur de la Guzzi 500 cc 8 cylindres dont la carrière a été stoppée prématurément. Il n'a plus suivi l'évolution des machines de course sur le plan technique, pas plus que celle des machines de tourisme. Il n'a jamais plus assisté à une épreuve, il n'a jamais vu courir Agostini. La seule "moto" dont il s'occupe encore, c'est son cyclomoteur Trotter (l'un de ses "derniers nés" avec la célèbre V7 qui est maintenant très connue dans ses versions successives) qu'il utilise l'été pour ses déplacements dans le pays. Il n'a maintenant le contact qu'avec le milieu des courses automobiles, car il est Président de la Commission Technique et Sportive de la Fédération Automobile.

Il semble naturel de lui demander si un abandon aussi complet est dû à une trop grande habitude, à une saturation en quelque sorte, ou bien à une haine envers la moto en général. "Non, absolument rien de tout cela. J'ai été heureux pendant trente ans parmi les motos et j'en éprouvais tellement de plaisir que j'aurais payé pour pouvoir le faire, vraiment !... Et puis, le retrait de la compétition d'abord, puis la crise de la moto en général, avaient réduits mes activités et en conséquence une certaine forme de plaisir personnel ; c'est pourquoi, stimulé aussi par la passion que j'éprouvais pour les voiliers, j'ai préféré abandonner la moto". " Mais si quelqu'un, une marque japonaise par exemple", demandons-nous, "vous proposait d'étudier une nouvelle moto de course ou autre, accepteriez-vous ou pas ?"

"C'est tout à fait improbable ", répond en souriant l'ingénieur Carcano," et de toutes façons, projeter une machine ne consiste pas à remettre un paquet de dessins à ceux qui vous l'ont demandé. Ces choses là doivent être suivies jusqu'au bout, depuis la réalisation du propotype jusqu'aux premiers essais au banc et sur route. Je n'éprouverai aucun plaisir à concevoir un projet et à m'arrêter à ce stade. Dans ces conditions, les choses deviennent beaucoup plus difficiles et je crois vraiment que je n'en aurai pas beaucoup envie..."

Nous insistons:" Cependant, si vous deviez penser à un nouveau moteur, vous orienteriez-vous vers un deux-temps ou un quatre-temps ?"

"Là, vous me prenez vraiment par surprise", dit-il sur le ton de la plaisanterie. "Il faudrait y penser sérieusement car si mes préférences ont toujours été pour le quatre-temps, un deux-temps moderne peut être très intéressant ; je me souviens qu'aux alentours de 1966 j'avais été invité par De Havilland pour constater les possibilités d'un deux-temps de 125 cc B.M.C. sur lequel j'avais émis des doutes. Et bien, effectivement, on trouvait 23,2/23,8 ch au banc, ce qui n'est tout de même pas mal pour un 125 cc, surtout si l'on considère que le régime ne dépassait pas les 10 000 tr/mn. Il y a aussi l'avantage du poids plus faible. Evidémment, il faudrait repenser à tout cela !..."

"Et que pensez-vous des courses maintenant ?"

"Comme je vous l'ai dit, je n'ai plus vu de courses, sinon à la télévision. Il me semble toutefois que leur intérêt n'est plus le même qu'autrefois, lorsque 8 ou 9 marques, italiennes ou étrangères, engageaient deux, trois ou même quatre machines chacune dans les différentes classes."

"Et les courses pour machines de sport de grosse cylindrée ?"

"Du point de vue technique, je ne peux pas me prononcer. C'est certainement un beau spectacle, et elles permettent l'apparition de nouveaux pilotes."

Puisque les thèmes d'actualité n'offrent que peu de prise, j'en reviens à des questions qui lui permettent d'être plus bavard et je lui demande quelles machines, parmi celles qu'il a réalisées, lui ont donné le plus de satisfactions, indépendemment même des résultats obtenus.

"Les dernières versions de la monocylindre ont été celles qui m'ont procuré le plus de satisfactions car, grâce à une formule fondée surtout sur la légèreté (la 350 pesait, avec le carénage, 105 kg) et sur l'aérodynamisme, nous avons souvent réussi à prendre le meilleur sur des machines beaucoup plus puissantes et compliquées. Une autre machine qui me passionnait beaucoup, c'était la 8 cylindres qui malheureusement a été victime du retrait de Guzzi de la compétition en 1957, au moment où elle allait pouvoir donner le meilleur de ses possibilités. Il y avait encore beaucoup de travail à faire, en particulier pour le cadre, les suspensions et les freins. Le seul pilote qui aurait pu nous aider dans ce travail de recherche, c'était Lorenzetti qui pourtant ne montait pas avec plaisir sur cette machine. Pour Campbell, tout allait toujours bien: il lui suffisait d'ouvrir. Kavanagh et Lomas étaient deux beaux pilotes mais pas très subtils dans la mise au point en comparaison par exemple d'un Duke ou d'un Surtees."

"Pensez-vous, M. Carcano, que la 8 cylindres serait encore d'actualité aujourd'hui ?"

"Voyez-vous, le moteur donnait en 1957 de 72 à 73 ch à la roue arrière, non en sortie de boîte, 12 500 tr/mn. Les secteurs qui nous procuraient les plus grands ennuis étaient l'allumage et la carburation, deux problèmes qu'il aurait été plus facile de résoudre aujourd'hui, par exemple grâce à l'allumage électronique et l'injection. Il fallait aussi, comme je l'ai dit, un nouveau cadre et de nouvelles suspensions. Quant au poids, il était déjà bon, autour de 145 kg. Ces problèmes nous préoccupaient à l'époque: on n'avait donc pas poussé le moteur au maximum de ses possibilités, en travaillant par exemple sur la distribution. Lorsque Guzzi, avec Gilera et Mondial, a décidé de se retirer de la compétition, j'ai été l'un des derniers à l'apprendre. Je me souviens qu'on me l'a dit, comme une chose irrévocable, à la dernière course de la saison, sur le circuit de Modène. Je n'aurais certes pas imaginé que la 8 cylindres finirait de cette façon, aussi prématurément, sans que l'on ait eu le temps de sortir vraiment tout ce qu'elle avait... dans les tripes. Entre autres choses, elle était vraiment robuste car je me souviens que, les derniers temps, elle avait tourné pendant 900 km consécutifs à Monza sans casser. Tenez, venez plutôt par ici voir quelques nouveaux projets de bateaux. Il y en a un de dix mètres qui va être introduit tout entier dans un four pour le recuit des soudures..."

Et la conversation revient à nouveau sur les embarcations, là où elle avait commencé. Cela ne m'empêche pas de prendre congé en pensant qu'il pourrait encore sortir bien du nouveau d'un homme comme Carcano, quelque chose d'absolument inédit et génial dans le domaine motocycliste. Pas pour la course, mais pour la riche clientèle mondiale qui demande aujourd'hui à la moto qu'elle achète quelque chose de plus et de différent. Et il n'est pas dit que ce quelque chose en plus doive être exprimé par des moteurs toujours plus puissants et compliqués ainsi que le font les Japnnais. ll pourrait fort bien s'agir d'un moteur monocylindre très moderne, très léger, révolutionnaire, tellement nerveux et facile à conduire qu'il ne ferait pas regretter les quelques dix chevaux qui le sépareraient des grosses pluricylindres actuelles. Il ne faut pas oublier qu'après avoir réalisé la 8 cylindres 500 cc, c'est justement l'ingénieur Carcano qui avait mis en chantier un monocylindre horizontal de même cylindrée, super-léger et très simple, en pensant que sur des circuits mixtes et accidentés il aurait eu son mot à dire même en rapport avec le monstre magnifique qu'il avait lui-même créé.
Informations tirées de Moto Revue N° 2060 du 22 janvier 1972. Par Roberto Patrignani.
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