La sortie, c'est par là ! La RVF 750 à moteur V4
Le bourreau de Suzuka
Aux mains de Gardner et Beattie, la concurrence n'a pu que constater les dégats ! Construite pour gagner les 8 heures de Suzuka, la Honda RVF est sans aucun doute la moto d'endurance la plus performante jamais produite. Une véritable moto de Grand Prix capable d'aligner des heures de course à un rythme infernal et d'assomer toute forme de concurrence. Elle annonce ce que sera la remplaçante de la RC 30, la très attendu RC 50.

Le tour de force technologique du HRC en grands prix a peut-être échoué mais Honda s'est tout de même offert un solide lot de consolation après que la chute de Mick Doohan à Assen a privé le constructeur Japonais d'un titre mondial 500 cm3 tant convoité.

En remportant les Huit Heures de Suzuka pour la deuxième année consécutive, grâce aux autres stars Australiennes que sont Wayne Gardner et Daryl Beattie, Honda n'a pas seulement signé une victoire capitale dans l'épreuve la plus prisée de son calendrier sportif international, mais également encore étoffé le palmarès de la plus redoutable des 750 cm3 4 temps de course: la RVF 750 à moteur V4.
Un seul objectif: gagner Suzuka !
La RVF bénéficie de ce qui se fait de mieux en matière de technologie. Depuis ses débuts en 1983 où elle affichait 850 cm3, la RVF F1 ainsi que sa dérivée commerciale RC 30 ont récolté une pleine soupière de titres mondiaux F1, superbike et endurance, ainsi qu'une longue série de victoires aux Huit Heures de Suzuka qui, à elles seules, justifient l'investissement énorme de Honda dans son développement permanent.

Mais si les rumeurs concernant l'arrivée prochaine de la remplaçante de la RC 30 sont vraies (a priori un V4 doté d'un angle de V resserré et d'un entraînement de la distribution déplacé sur le côté du moteur, homologué à temps pour que Honda l'utilise aux Huit Heures de Suzuka 93), la RVF quittera la piste la tête haute après avoir remporté l'une des plus âpres éditions du marathon de Suzuka.

La victoire sur le fil de Gardner et Beattie en juillet dernier sur le circuit de Suzuka devait souligner la détermination extrême de Honda et les pleins pouvoirs accordés aux ingénieurs dans la poursuite du succès sur le tracé Japonais. Oubliées les Ducati si dominatrices en Championnat du monde de Superbike. La RVF 750 est la plus sophistiquée, la plus chère et la plus efficace des quatre temps de course à pistons ronds jamais construites. Conçue avec un seul objectif en tête, remporter une seule épreuve, les Huit Heures. Et elle le fit. Mission accomplie...
Une sprinteuse pour chasser tout ce qui roule
La finition et le choix des matériaux sont remarquables sur la RVF: magnésium, titane, alu, carbone. Chaque année modèle a marqué un développement significatif par rapport à la version précédente. Pour sortir son modèle 92 victorieux à Suzuka, Honda a modifié sa RVF de manière beaucoup plus radicale que ne le suggèrent les quelques différences visibles de l'extérieur. La faute aux pilotes. " Ces derniers temps, les pilotes Honda se plaignaient du comportement des RVF ; explique le patron du HRC, Yoichi Oguma. Doohan et Gardner ne pilotent des 4 temps qu'une fois dans l'année, aux Huit Heures de Suzuka.

Et donc malgré le fait qu'ils ont démarré leur carière sur des 4 temps issus de la série, ils sont désormais habitués aux 500 cm3 de grands prix. Il est donc normal qu'ils nous demandent de construire une RVF qui leur rappelle la NSR ! Pendant plusieurs années, nous avons essayé de construire un compromis mais, en 1992, nous nous sommes rangés à leurs souhaits, à savoir sortir une 750 cm3 4 temps de grands prix, exactement comme ils nous l'avaient demandé !

"Et ce ne sont pas des blagues. En parallèle à la sortie de la NSR 500 Big-Bang", développant, plus de 170 ch mais pensée autour d'une plus grande facilité d'utilisation, la RVF 750 jusqu'alors relativement "humaine" prenait une direction radicalement opposée. J'ai failli m'en rendre compte de la manière la plus cruelle, en évitant de justesse la chute à peine 50 mètres après avoir quitté les stands de Suzuka ! En m'installant aux commandes, j'ai le temps de noter la position de conduite très sur l'avant, manifestement typée GP. Le temps de presser le bouton du démarreur, la sonorité rauque et plate caractéristique de la RVF se fait entendre et je démarre doucement en première. Une fois sorti des stands du HRC, je tourne la poignée modestement selon ce que je sais d'autres RVF... mais au point que les bracelets s'arrachent à moitié de mes mains tandis que la RVF 92 s'emballe comme un cheval en furie. Pfffuuiii ! Et dire que je n'étais même pas dans les tours...
Le venin d'une 500 de Grand Prix
A Suzuka où la pluie menace sans arrêt, Gardner et Beattie ont choisi des disques acier plutôt que des carbone. Difficile de traduire par les mots à quel point la RVF est incroyablement vive dans tous les compartiments de pilotage. Les motos d'endurance (même les "usine" telles que la Kawasaki championne du monde) sont avant tout pensées tenir la distance. En comparaison, la Honda est une vraie sprinteuse à qui l'on aurait intégré quelques ingrédients d'endurance. Les carburateurs Keihin de 40 mm à boisseaux plats, coûtant à eux seuls une petite fortune puisque réalisés en magnésium, n'y sont pas étrangers et revêtent même certainement une grande part de responsabilité dans cette réponse époustouflante à la poignée.

Modifier une RC 30 (base d'homologation pour la RVF F1) somme toute dépassée au niveau mondial en un engin au potentiel aussi étonnant exige un tantinet plus qu'une seule rampe de carburateurs. Considérant le handicap principal de la RC 30, à savoir son manque d'accélération par rapport aux Kawa et Ducati, la façon dont la RVF explose littéralement en sortie de courbe, comme habitée du venin d'une 500 de GP, s'avère tout simplement remarquable.

Ainsi affublée, la RVF développe la bagatelle de 152 ch à 14000 tr/mn (l'allumage coupe à 14200 tr/mn), soit plus que les 145 ch des Kawasaki de superbike ou encore des Yamaha, et l'on en vient à se demander pourquoi Honda n'a pas fait l'effort de maintenir la RC 30 en Superbike, par exemple en commercialisant un kit racing comprenant les carburateurs. Problème de coût peut-être, sachant que pour transformer une RC 30 vieillissante en RVF sémillante, les gens du HRC n'ont pas compté leurs efforts.
Un modèle pour la RC 50
Ce V4 est ce qu'on fait de mieux dans l'histoire des moteurs de course 4 temps. Il développe plus de 145 chevaux avec une coupure de l'allumage à 14200 tr/mn. Mais plus probable encore, ils ont décidé de se concentrer sur l'événement phare du calendrier, les Huit Heures de Suzuka, tout en se servant de la RVF comme banc d'essai pour la remplaçante de la RC 30, la RC 50. Lorsqu'elle sera dévoilée au public, il y a fort à parier en effet qu'elle reprendra l'ensemble des raffinements technologiques de la RVF... sans oublier l'addition ! Banc d'essai de la RC 50 ou non, la RVF doit néanmoins conserver (comme le stipulent les règlements F1) les carters de la RC 30 du commerce, et c'est à peu près tout.

Afin de réaliser le doublé 91/92 à Suzuka, Honda a intégré des décennies d'expérience de développement 4 temps afin de tirer le maximum de puissance du moteur sans pour autant se départir de la fiabilité. Travaillant sur la base du moteur RVF 91, le HRC a non seulement gagné en puissance mais amélioré la vivacité en réduisant l'inertie (vilebrequin plus léger). le taux de compression a été porté à 14 à 1, l'échappement et les arbres à cames sont nouveaux, tandis que la partie haute du carénage est entièrement revue afin d'incorporer des conduites d'admission d'air en fibre de carbone qui alimentent la rampe de carburateurs en air frais.

le Keihin arrière droit reçoit le capteur habituel, qui enregistre l'ouverture des gaz pour le système PIC (Progrqmmed Ignition Control), celui-ci recevant à la fois les informations de ce dernier et du compte-tours afin de modifier l'allumage digital en fonction des cinq courbes intégrées dans le boîtier OKI. Un élément clé pour conserver la douceur dans la façon de délivrer la puissance, qui a toujours constitué l'un des atouts de la RVF, et ce malgré un diagramme de soupapes assez radical mais nécessaire à l'obtention d'une puissance "supérieure à 145 ch" pour un moteur 750 cm3 issu de la série.
Au niveau de la NSR 500
Ce nez là, la concurrence n'a pas eu le temps de le voir pendant les huit heures. Le travail titanesque de Honda a également porté sur la réduction des frictions internes et la diminution des masses réciproques, grâce à l'emploi de matériaux nobles tels que le titane mais aussi d'éléments céramique, comme le murmurent sans le confirmer les ingénieurs du HRC. Le résultat, c'est un moteur qui, d'après Honda, délivre 3 % de puisssance en plus que le RVF 91 (environ 4 ch) à partir de 10000 tr/mn, sans rien perdre de sa plage de régimes pleine et musclée à partir de 7000 tr/mn. Ce groupe propulseur ultra-puissant est logé en position avancée dans un cadre très rigide double poutre, beaucoup plus en avant que la RC 30, par exemple, selon une disposition que reprendrait selon la rumeur la future RC 50.

Une prouesse technique d'autant plus éloquente qu'il a fallu loger deux énormes radiateurs frontaux pour que les 150 ch du moteur affrontent des températures de l'ordre de 40° avec un taux d'humidité frôlant à Suzuka les 90 %, mais aussi que l'angle de colonne de la massive fourche inversée Showa possède une valeur très fermée de 22°. D'après Oguma, la partie cycle du modèle 92 est entièrement nouvelle et destinée à restituer cette sensation "GP 500", avec notamment une répartition des masses de 55/45% AV/AR et un empattement de 1385 mm, tout comme la NSR 500. Au niveau performances, les deux machines sont d'ailleurs très proches. A Suzuka, le record de la piste en TTF1 est de 2'12"08 (pour un poids de 140 kg, la version des Huit Heures pesant 145 kg à cause de l'éclairage et du démarreur).

En 92, c'est Daryl Beattie qui a réalisé la meilleure performance au guidon d'une NSR 500 en 2'10"05, la différence n'est pas énorme ! Et avec une vitesse de pointe à Suzuka de 280 km/h (meilleur profilage en 92), la RVF n'a rien d'un escargot non plus. L'inertie du vilebrequin est si faible que les montées en régimes s'apparentent à celles d'un deux-temps, la RVF zigzaguant en sortie de virage, le gros slick Michelin collé au tarmac et menaçant de déposer des rubans de gomme "doohanesques" au cas où l'on voudrait encore remettre la sauce. Elle sort des virages telle une fusée et en tout cas comme aucune autre machine quatre temps, le tout au son d'un échappement étonnamment sobre. Les intentions que j'avais de me plier aux instructions: "Ne dépasse pas 13800 tr/mn sur les intermédiaires" resteront comme telles, à savoir des intentions: le régime grimpe si rapidement que la tête a du mal à suivre et le limiteur coupe l'allumage à 14200 tr/mn avant même d'avoir pu réagir.

Bien que le moteur reprenne sans problèmes à la chicane très lente de Suzuka, de même qu'à l'épingle, ces deux portions de circuit constituent les seules occasions de laisser le moteur descendre en dessous de 5000 tr/mn. Au-delà de 10000 tr/mn, le gain de puissance est très net et c'est dans cette fourchette qu'il convient de rester pour exploiter pleinement le V4 RVF, en mettant le pied gauche à contribution. Pourtant, la grande flexibilité du moteur autorise de rester sur le rapport supérieur, mais avec la boîte qui accepte sans broncher les passages à la volée sans embrayer, c'est à peine nécessaire.
Bonjour la condition physique
Comme sur une moto de série, la RVF dispose d'un robinet d'essence. Si le moteur exige qu'on lui rentre dedans pour délivrer tout son potentiel, la partie cycle se manoeuvre de façon très différente: bonjour la condition physique ! Voici le seul réel défi pour piloter cette machine à fond car, pour être très honnête, elle est pratiquement aussi rapide que la NSR 500 mais ne tient pas aussi bien la route. Tout à fait l'inverse d'il y a deux ans, quand Doohan tentait de persuader Honda de lui construire une NSR 500 avec la même tenue de route que sa RVF ! Les gros disques acier ventilés issus du HRC ont été préférés par Gardner et Beattie, de peur que la pluie toujours menaçante à Suzuka ne les oblige à un long arrêt aux stands pour changer le système de freinage. Pour moins efficaces qu'on les prétend, ils restituent parfaitement l'effort au levier, et je les ai pour ma part préférés aux disques carbone essayés le même jour sur la NSR 500.

La dernière version de la RVF peut s'avérer très exigeante à mener pendant huit heures sur le circuit de Suzuka mais, en tout cas, elle aura rempli avec perfection sa mission d'emporter l'épreuve. Et pour être tout à fait honnête, c'est probablement l'extrême maîtrise de Honda pour apprivoiser la 500 NSR qui a rendu la 750 RVF apparemment difficile à piloter. Si la technologie deux temps n'avait pas évolué vers l'ère "Big-Bang" et la facilité d'exploitation, je doute que la RVF ait paru aussi exigeante. C'est aujourd'hui néanmoins le cas, en comparaison avec la NSR, ce qui amène la question de savoir si Honda envisage la même technologie sur ses machines de course quatre temps. Ne riez pas: les moteurs Ford HB et Lamborghini en Formule 1 utilisent le même principe d'allumage rapproché des cylindres, tout comme c'est désormais le cas en GP 500, et la RVF pourrait bien profiter de cette technique pour passer sa puissance à la piste de manière encore plus efficace. Peut-être faudra-t-il attendre la sortie de la RC 50 pour en savoir plus !
Fiche technique Honda RVF 750
Moteur
Type: V4 4 T à 90° refroidi par eau
Distribution: 2 ACT, 16 soupapes
Alésage x course: 70 x 48,6 mm
Cylindrée: 749 cm3
Puissance: plus de 145 ch à 14000 tr/mn
Rapport volumétrique: 14 à 1
Alimentation: 4 Keihin CR à boisseaux plats de diamètre 40 mm
Allumage: CDl digital électronique OKI et capteur d'ouverture des gaz

Transmission
Boîte: 6 rapports
Embrayage: multidisque en bain d'huile

Partie-cycle
Cadre: double poutre en aluminium extrudé
Suspension AV: fourche Showa inversée de diamètre 43 mm
Suspension AR: système Pro.Link, mono-amortisseur Showa
Frein AV: 2 disques acier de diamètre 316 mm, étriers 4 pistons Brembo
Frein AR: 1 disque HRC acier, étrier Brembo 2 pistons
Roues/pneus: 12/60/17 Michelin Radial jante HRC 3.75-17 AV ; 18/67/17 Michelin Radial sur jante HRC 6.00-17 AR

Dimensions/Capacités/Poids
Angle de colonne: 22°
Chasse: 98 mm
Empattement: 1385 mm
Poids: 140 kg en qualifs, 145 kg en endurance
Répartition: 55% AV ; 45% AR
Vitesse maxi: 280 km/h

En bref
Année de construction: 1992
Constructeur: Honda Racing Corporation, Saitama, Japon
Informations tirées de Moto 1 N° 122.
Par Alan Cathcart. Adaptation Alexander Campbell
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