La sortie, c'est par là ! Le dernier des Mohicans
L'Indian Four de 1941
L'Indian Four de 1941 est une machine de luxe dont le prix équivalait à celui d'une grosse Buick six cylindres. L'Indian Four de 1941 est le dernier représentant d'une tribu de quatre cylindres en ligne Américains dérivés d'un modèle original dessiné par George Henderson en 1912.

La Seconde Guerre mondiale fut son tombeau et le twin banal, moins onéreux à la construction comme à l'achat, devint l'ultime représentant de la splendeur fanée des motos à tête d'Indien, dommage.

Avant toute autre chose, plongeons dans la nuit des temps pour rappeler que la grande vogue du quatre cylindres ne date pas d'aujourd'hui et encore moins d'hier.

Si l'on remonte au début de ce siècle on découvre de nombreux constructeurs qui ont commercialisé ce type de moteur et aux USA il connut un grand succès commercial, durant ce qui fut " l'âge d'or des constructeurs Américains".
Un quatre pattes en file Indienne
La mère-grand ou l'ancêtre de l'Indian est cette Henderson de 1912. Nous sommes en 1911. William G. Henderson, un ingénieur installé à Detroit (Michigan) avec son frère Tom, conçoit un quatre cylindres en ligne de 950 cm3 qui est le troisième moteur de ce type à apparaître sur le marché Américain après le Pierce de 1909 et le Militaire de 1910. Il apporte une meilleure fiabilité que ses prédécesseurs grâce à sa technologie " moderne ", dont des soupapes en tête commandées par tiges et culbuteurs à l'admission et des soupapes latérales à l'échappement, toute la distribution étant commandée par un unique arbre à cames logé sur le côté droit du carter moteur. Ce type de distribution impose un dessin des culasses dit en F (qui sera d'ailleurs utilisé sur les Jeep Willys).

Le graissage se fait par "pissette" (l'huile contenue dans un caisson du réservoir d'essence alimente le moteur par gravité), l'allumage est confié à une magnéto Bosch et le moteur comporte un gros volant d'inertie enfermé. La transmission finale par courroie est rapidement remplacée par une chaîne dont le pignon de sortie moteur est entraîné par un renvoi d'angle. L'embrayage comporte une double commande (par un levier ou par une pédale) et il n'y a pas de boîte de vitesses, elle n'apparaîtra qu'en 1914, offrant seulement deux rapports. Le démarrage s'effectue par une manivelle repliable.

Moyen curieux s'il en est et qui prête à sourire aujourd'hui, mais qui, en ces temps reculés représentait un progrès car démarrer une moto était une opération pour le moins astreignante. On la mettait sur sa béquille, on montait dessus pour pédaler vigoureusement (eh oui, les motos du temps étaient encore très proches de la bicyclette) comme on le ferait sur une mob. Le moteur une fois mis en route, on débrayait, on descendait de la moto pour remonter la béquille, on enfourchait la moto, on embrayait et le tour était joué.

L'autre solution, plus simple mais plus sportive consistait à démarrer à la poussette. Rien de tout cela avec l'Henderson puisqu'il suffit de débrayer à l'aide du levier placé à gauche du réservoir, de déplier la manivelle et d'en donner un bon coup pour démarrer le moteur.
Tour du monde d'un visage pâle
La mère de notre Indian ou cette Ace de 1927 présentée sur le stand Indian du National Motorcycle Show de New-York (l'équivalent de notre Salon de Paris). Nous parlions de fiabilité, en voici un exemple. En 1912, un citoyen de New York, Carl Stevens Clancy, va faire la plus belle publicité qu'Henderson puisse rêver pour sa moto en parcourant 29000 km autour du monde sur cette machine. En 1917, Henderson abandonne le graissage par pissette pour celui dit " à barbotage ". L'huile contenue dans le bas carter, brassée par les masses du vilebrequin et les têtes des bielles, asperge les parois des cylindres et les axes de piston. Cette technique de graissage, pour barbare qu'elle nous paraisse aujourd'hui, est courante sur la plupart des moteurs d'automobiles du temps.

La boîte de vitesses possède maintenant trois rapports et les performances du quatre pattes dépassent celles de n'importe quel gros twin. Cette même année Henderson s'approprie le record de la traversée des USA, détenu depuis 1914 par un certain Cannonball Baker sur un twin Indian. Allan Bedell, engagé par Henderson, part donc de Los Angeles, pour atteindre New York sept jours seize heures et quart plus tard, après avoir mangé 5273 km de piste et de poussière. Il pulvérise le temps de Baker avec trois jours et dix neuf heures de moins. Personne ne peut imaginer aujourd'hui ce que représentait un tel périple et seul le Dakar peut en donner une image. Une vague évocation plus qu'une image d'ailleurs. Les seules routes goudronnées se trouvaient dans les villes, le reste n'étant que miles de sable, de boue, de caillasse avec parfois un arbre ou un rocher écroulé au beau milieu. Pour récupérer, les instants de sommeil, couché en chien de fusil à côté de la moto, étaient réduits au strict minimum.

Le moteur Ace avec son carburateur en bout de collecteur d'admission. On aperçoit sous le collecteur d'échappement un petit levier qui sert à passer de la position échappement libre à silencieux et vice et versa. Il fallait calculer minutieusement sa vitesse en fonction de l'autonomie d'essence et des rares points disséminés sur le parcours pour refaire le plein. C'était l'Aventure avec un A majuscule, sans assistance, ni mécanique ni médicale. En cas de mauvaise chûte on risquait de terminer son existence en contemplant le coucher du soleil sur les crêtes des Rocheuses, aux confins du "Great Divide" ou sur l'horizon des plaines arides du Middle West, avec la seule chance d'être découvert par un bûcheron ou un fermier avant que les animaux sauvages et les asticots ne vous règlent votre sort.

Après ces exploits et bien d'autres encore, les ventes d'Henderson grimpent au point de connaître l'exportation. Cependant, de la même manière que la confiture attire les mouches, les entreprises prospères attirent les hommes d'argent. Les frères Henderson reçoivent une offre juteuse d'Ignaz Schwin, propriétaire d'Excelsior, ils ne la refusent pas et vont travailler pour lui jusqu'à ce qu'un différend les sépare, en 1919. Entre-temps le quatre cylindres a pris du coffre et cube désormais 1285 cm3.
Apparaît un autre sorcier nommé Lemon
L'Indian Four de 1928 adopte la fourche Indian. Arthur Lemon, un autre ingénieur qui travaille en étroite collaboration avec les frères Henderson depuis 1915, décide de rester chez Excelsior. C'est lui qui va faire évoluer le quatre cylindres désormais produit par la firme de Chicago (Illinois). Avec cette machine (modèle K), Excelsior s'approprie de nombreux raids et records de distance dont celui des 24 heures non-stop avec un seul pilote, Wells Bennett, qui parcourt 2500 km à la moyenne de 105 km/h sur la piste de Tacoma (Washington) le 31 mai 1922.

Record de vitesse aussi pour Fred Ludlow qui atteint 203 km/h sur la piste en bois de Culver City (Californie), le 20 octobre 1924 avec un modèle K soigneusement préparé. La dernière version du moteur (KJ) développé par Art Lemon sort 40 ch à 4000 tr/mn, atteint presque 160 km/h, le modèle "Special police" est, raconte-t-on, encore plus puissant. Bill (diminutif de William) Henderson n'a pas disparu de la circulation pour autant, bien au contraire.

Son désaccord avec Ignaz Schwin le motive pour réaliser un autre quatre cylindres, encore meilleur que le premier. Il propose ce projet à Max Sladkin, propriétaire de la firme Ace, un fabricant de bicyclettes de Philadelphie (Pennsylvanie) qui souhaite se faire une place au soleil sur le marché moto. Fin 1919, on découvre dans la presse spécialisée une étrange publicité annonçant cette première moto:

Le gros quatre cylindres longue course possède un tempérament de bulldozer, la partie-cycle aussi avec ses gros pneus ballons. La fourche à parallélogramme est une particularité des Indian avec sa suspension par ressorts à lames comme sur les voitures. "L'Ace quatre cylindres est le triomphe de l'industrie motocycliste - souplesse et discrétion tant attendues - superbe de ligne et de finition - une puissance encore inconnue pour une motocyclette - plus rapide que vous ne l'auriez imaginée - toutes ces qualités sont réunies dans la nouvelle Ace". Et c'est vrai que l'Ace est chouette, longue, basse, fine comme une machine de course, tout a été pensé pour réduire son poids au maximum.

Le moteur est un quatre cylindres à soupapes latérales de 1200 cm3 dont le vilebrequin est monté sur trois paliers. Il est accouplé à une boîte trois vitesses (à main) par un embrayage multidisque. En quelques mois, la machine se vend comme des petits pains, Ace en écoule des milliers, tant sur le marché intérieur qu'à l'exportation. Paradoxalement le succès commercial de ce quatre cylindres va plonger Ace dans de gros problèmes financiers car la demande devient telle qu'il faut une augmentation du capital pour passer à des quotas de production supérieurs.

En 1921, Sladkin met la main au portefeuille et sort in extremis un demi-million de Dollars pour sauver sa société, les affaires repartent. Elles repartent bien, d'autant que les Ace vont raffler toutes les courses de hill climb (les montées impossibles) gagner des raids et plein d'autres compétitions.

En septembre 1922, le célèbre Cannonball Baker offre à Ace le record de la traversée des USA, de Los Angeles à New York soit 5331 km en dix-sept heures de moins que Bedell sur son Henderson. Les seules interventions sur la mécanique se sont bornées à un réglage du jeu aux soupapes et un changement de bougies pour six jours vingt-deux heures et cinquante deux minutes de route (façon de parler).
Disparition du grand Esprit
En 1938, la Four reçoit un nouveau moteur de lignes plus modernes. On remarquera le passage à droite du levier de vitesses, comme sur le modèle police de 1933. Le 19 décembre de la même année, Bill Henderson essaye le nouveau modèle Ace de 1922 dans les rues de Philadelphie. En quittant une station service, il est fauché par une automobile et décède à son arrivée à l'hôpital, des suites de multiples fractures du crâne. La disparition du maître consterne le dirigeant d'Ace qui ne cesse alors de faire des appels du pied à son élève Art Lemon, afin qu'il quitte Excelsior et travaille désormais pour lui. Sladkin parvient à ses fins en 1923 et Lemon devient ingénieur en chef chez Ace. La première chose qu'il réclame est un Dynamomètre, un banc pour mesurer la puissance des moteurs.

A l'époque un tel joujou coûtait bonbon (7500 Dollars, alors que la quatre cylindre était vendue 375 Dollars) mais Sladkin sait qu'il en sera fait bon usage aussi se débrouille-t-il pour l'obtenir. Et il a raison, car grâce à cet outil, Lemon ne travaille plus à l'intuition ni à l'aveuglette et il va développer le moteur d'Henderson de la même manière qu'il l'a déjà fait chez Excelsior. Les résultats sont au-dessus des espérances puisqu'en 1923, son quatre cylindres sort 52 ch à 6000 tr/mn sur le banc.

Un peu dégonflé, il est aussitôt monté dans une partie-cycle allégée au maximum (50 kg de moins que la partie-cycle standard !) et la machine nommée XP4, est confiée à Red Wolverton pour battre le record du monde de vitesse. Par une froide journée de l'automne 1923, sur une route droite et bétonnée des environs de Philadelphie, Wolverton offre ce record à Ace, avec 207,3 km/h vérifiés par un système de mesure électrique. Everett Delong, un ingénieur assistant de Lemon, prend place dans le side-car d'une autre machine (XP3) et Wolverton réalise alors 169,6 km/h.

L'Ace est la moto la plus rapide du monde, on va l'inscrire sur le réservoir des machines commercialisées et par bravade, la firme offre 10000 Dollars cash à toute autre marque qui battra ce record. Il n'y aura pas d'heureux challenger pour décrocher la timbale. Hélas en 1924 1es finances de l'entreprise sont dans un tel état que Sladkin est contraint de la vendre à des hommes d'affaires, incapables d'assurer la suite de la production. En 1926 ils revendent l'affaire à la Michigan Motors Corporation, qui va produire une centaine de machines avant de vendre à nouveau à l'Indian Motorcycle Company en 1927. Avec cette nouvelle machine dans sa gamme, Indian devient le seul constructeur au monde qui propose des monos, des twins et un quatre pattes.
Où l'on retrouve Art Lemon dans le Wigwam
Avec sa gueule à vous éclipser n'importe quelle Harley, l'Indian 4 ne passe pas inaperçue. Divers éléments esthétiques ne sont pas d'origine, comme le chromage de la fourche et les deux petits joncs du flasque de garde-boue arrière. Art Lemon rejoint alors le Wigwam de Springfield (Massachusett), c'est comme cela que l'on surnomme les usines Indian, et au treizième National Motorcycle Show du Madison Square Garden de New York, il présente l'Ace dans sa livrée d'origine, qui trône à côté des autres modèles Indian. Tout s'est fait si rapidement que le nom d'Indian n'a même pas pu être apposé sur le réservoir. C'est en 1928 que la livrée rouge à filets or typique des Indian sera adoptée pour la quatre cylindres, désormais désignée type 401 Collegiate Four.

Elle se voit enfin équipée d'une pompe à huile haute pression avec un manomètre et un système de réglage du débit. A part ces modifications, le moteur demeure celui de l'Ace (dont le nom est toujours présent sur le réservoir au dessous du lettrage Indian), alors que la partie-cycle redessinée, reçoit pour la première fois un frein avant et adopte la suspension Indian à fourche à parallélogramme et ressort à lames. Pour faciliter la conduite, la pédale d'embrayage au pied gauche peut être bloquée en position débrayée.

Les dessous du moteur, avec son vilebrequin monté sur cinq paliers, le gros volant d'inertie qui masque l'embrayage et les pignons de commande de la distribution (dont on aperçoit l'arbre à cames tout en bas) et de l'allumage. Les autres commandes sont à la mode de l'époque avec levier de vitesses à gauche ou à droite du réservoir, au choix, la commande des gaz par poignée tournante à main droite et celle de l'avance à l'allumage par poignée tournante à main gauche, frein arrière au pied droit et frein avant actionné par un classique, bien que nouveau, levier à main droite. En 1929 apparaît le modèle 402 dont le vilebrequin tourne désormais sur cinq paliers. Il est proposé au prix de 445 Dollars soit le prix d'une Chevrolet ou d'une Ford standard et ne connaît pas de modifications notoires jusqu'en 1934, en raison de la dure crise économique qui sévit mais peut-être aussi parce que Art Lemon a quitté le Wigwam. Les affaires ne marchent pas fort et le nouvel ingénieur en chef, G. Briggs Weaver planche sur les améliorations à apporter au gros quatre cylindres.

C'est en 1936 que naît le modèle 436 nommé Upside down Four (la dessus-dessous) en raison de son nouveau mode de distribution avec des soupapes d'admission latérales et celles d'échappement placées en vis-à-vis et commandées par tiges et culbuteurs. Il possède deux carburateurs alimentant chacun deux cylindres et gagne ainsi un peu de puissance mais c'est le plus laid de tous ces quatre pattes, avec son gros collecteur sur le côté droit du moteur, et l'horrible carter en tôle qui le recouvre pour protéger les jambes du pilote de la chaleur de l'échappement. L'Upside down fait un véritable bide commercial mais la crise économique oblige Indian à la reconduire l'année suivante sous l'appellation de modèle 437 Sport Four. Sa production totale sur deux ans n'atteint que 1600 exemplaires.
Dernier acte de l'opéra du quatre Sioux
Le moteur cube 1265 cm3. Les soupapes d'admission sont culbutées alors que celles d'échappement sont latérales. Les cylindres en fonte sont groupés par paire de même que les culasses en aluminium. Le tableau de bord sur le réservoir, à la mode Américaine comprend compteur, ampéremètre et contacteur. En 1938, Indian propose enfin un vrai nouveau moteur pour sa Four type 438. Les cylindres sont groupés par paire dans une même fonderie avec un ailetage plus étoffé. La distribution est mieux lubrifiée et rendue plus accessible par l'usage de trappes de visite pour les réglages. La cylindrée ne bouge pas mais la puissance est en augmentation et la machine dépasse 160 km/h. La souplesse est telle que l'on peut descendre à 13 km/h sur le dernier rapport pour accélérer sans à-coups jusqu'à la vitesse maxi. Différents coloris sont proposés et les forces de police de divers "counties" passent commande de l'engin, les ventes reprennent.

1940 voit l'apparition d'un nouveau cadre à suspension arrière coulissante et de garde-boue enveloppants de style automobile mais ces derniers ne remplissent pas d'enthousiasme certains utilisateurs qui se plaignent de l'instabilité de la machine par forts vents latéraux. Le modèle de 1941 ne verra pas d'autres changements que des arrangements esthétiques mineurs, par contre le prix de la Four ne cesse de grimper depuis des années, pour passer de 695 Dollars en 1938 à 1095 Dollars en 1941, soit le prix d'une grosse Buick huit cylindres Sedan. La machine coûte cher aussi à la fabrication, d'autant que l'on entre dans le cercle vicieux qui oblige à répartir les coûts de production sur un nombre d'exemplaires de plus en plus faible.

Ajoutons encore l'entrée en guerre des Etats-Unis qui n'incite pas à la débauche et qui oblige Indian à produire pour l'US Army ses gros twins moins sophistiqués. Aussi 1942 sera la dernière année de fabrication de la quatre cylindres et les quelques exemplaires construits ne serviront, pour la plupart, qu'à honorer des commandes de forces de police, Ralph Buron Rodgers, président d'Indian décide alors d'abandonner la quatre cylindres et de ne pas la reconduire après la guerre. La situation économique est rien moins que défavorable, avec les employés des usines d'armement qu'on licencie un peu partout dans le pays.

II y a de l'inflation et l'existence d'une machine aussi chère dans la gamme Indian ne se justifie donc plus. Les chiffres de la production totale des quatre cylindres Indian sont difficiles à établir mais on sait que 9400 moteurs ont été assemblés. On suppose qu'il survit aujourd'hui près de la moitié des motos assemblées, soit un nombre considérable. Il trouve son explication dans le fait que la Four était une machine de luxe. Seuls des amateurs fortunés ou des fanas les ont possédées et ils ont préféré les conserver plutôt que les revendre à bas prix une fois leur mode passée. Enfin des enthousiastes ont pu en acquérir à des prix intéressants, lorsque parvenues à bout de potentiel ou remplacées par de nouveaux modèles, les forces de police qui les avaient utilisées les ont mises en vente par lots.
Des cow boys et des Indian
La dynamo, le carburateur masqué par un cache-filtre à air chromé, la magnéto (une option) et le delco sont placés à gauche du moteur. Ces deux derniers éléments ont été retournés pour les éloigner du robinet et du bouchon d'essence. A l'origine, ils faisaient face à la route et il suffisait que de l'essence coule dessus pour risquer de voir partir la belle Américaine en fumée. La pédale au dessus du marche pied commande l'embrayage. Près de mille machines sont répertoriées roulantes auprès de 1'Indian Four Cylinder Club et de nombreuses autres auprès de l'Antique Motorcycle Club of America. Ces clubs assurent la fabrication de pièces détachées parmi les plus usuelles, ainsi les vieux quatre pattes sont assurés d'avoir encore de beaux jours devant eux. Mieux, on réalise aujourd'hui des pièces spéciales qui permettent de corriger, en partie du moins, les tares originelles de la Four, car au-delà de ses qualités c'est une machine qui est loin d'être exempte de défauts. D'abord, la Four, avec son "Delco" (le distributeur d'allumage qui va donner son nom à tous les autres) et ses vis platinées placées sous le réservoir, à la verticale du bouchon gauche, risque de s'enflammer au démarrage si de l'essence vient à couler à cet endroit.

Remède ? Soit on monte une plaque protectrice, ou mieux, on inverse l'arbre de commande de manière à placer le distributeur en sens inverse, avec la tête sous le partie arrière du réservoir. Ensuite, la boîte de vitesses s'apparente plus à un organe de GMC (le célèbre camion du Général Motors) qu'à celui d'une motocyclette. Elle craque terriblement au passage des rapports. L'embrayage vaut celui du camion pré-cité et demande de décomposer le passage des vitesses en laissant chûter le régime pour que les pignons crabottent sans grincer des dents. Ah cet embrayage au pied ! Non seulement il faut apprendre à bien s'en servir, mais en plus il colle à froid et mieux vaut le décoller avant le démarrage en usant du kick lorsque le moteur n'a pas tourné depuis la veille.

Enfin les cylindres arrière ont une nette tendance à chauffer dès que la machine roule longtemps à très basse vitesse. Voilà pour les tares. Mais comme on n'écrit pas les légendes sur le revers des médailles, l'Indian Four possède heureusement un côté face. Son moteur longue course présente une souplesse phénoménale associée à un couple de bulldozer. Son coffre est tel que dès qu'on roule à la vitesse d'une bicyclette, on n'a plus besoin d'utiliser la boîte, on enroule tout sur le rapport supérieur. En plus, la vache, avec ses douze cents centimètres cube largement dépassés, accélère fichtrement. On se sent une sorte de Buffalo Bill chevauchant son bison, avec la même impression que rien ne pourra vous arrêter, surtout pas les freins ! Des freins d'un diamètre et d'une section ridicules pour la masse de l'engin, qui vous feraient regretter ceux d'une Harley...

Si la position de conduite est très relaxe avec la large selle bien suspendue, le confort de suspensions est plutôt précaire et vous invite plus aux Highways qu'aux départementales dégradées. Le comportement de la partie-cycle, avec ses énormes sections de pneus n'invite pas plus à la gaudriole, mais tout le monde sait que les USA sont un pays sans virages... Heureusement, comme le guidon cornes de buffle vous dispense un certain bras de levier on emmène le monstre, avec prudence il est vrai, mais sans y perdre son scalp. La Four est une machine d'outre-monde, d'outre-temps et d'outre-moeurs, c'est un engin qui déroute à la conduite.

A son guidon, on redevient un tout petit garçon devant un univers à découvrir. C'est encore indistinct, mais plein de sensations inconnues vous révèlent qu'on va certainement prendre un très grand plaisir à dompter le bison. Avec le temps on va finir par s'y faire, c'est juste parce qu'on a pris de mauvaises habitudes et qu'on est déformé par la facilité des motos d'aujourd'hui qu'on peine un peu. Il y a quelque chose de grand dans ce monstre de métal qui révèle confusément le pourquoi du comment de la légende de la Four et ça vous remugle des parfums de l'âge héroïque, alors qu'il y avait encore des Cow boys et des... Indian.
Informations tirées de Moto Revue ou Moto Journal.
Par Harald Ludwig. Photos H.L. et archives
Haut de Page