La sortie, c'est par là ! Le dossier complet des inventions
Bleu-Blanc-Rouge
Lulu et Bébert au café des sports:
Lulu et Bébert devant un diabolo menthe au café des sports:

- T'en connais, toi, des bécanes Françaises ?
- Ben ouais, la mob et pis l'104
- C'est pas des motos ça, c'est des meules !
- Ben alors, j'sais pas
- Et BFG, Pif, But, Elf, ABF, DJ, Motobec, Pernod, Siccardi... ça t'dis rien ? Tu lis pas souvent Moto-Vérue, mon pote !
Vive la moto Française
La Elf-E. La moto Française, c'est vrai que depuis quelques temps, au travers des essais, des dossiers, des interviews, on vous en rebat les oreilles. Ce n'est naturellement pas par hasard, et ce n'est pas non plus pour le seul plaisir de se caresser la fibre tricolore. Non. Comme vous, nous aimons, nous adorons la moto. Et comme vous, nous sommes révoltés par le sort tout à fait injuste qui est le sien en France. En soutenant de notre modeste plume, ceux, et ils sont plus nombreux qu'on ne le pense, qui lui consacrent leur temps et leur énergie, nous espérons seulement pouvoir contribuer à la sortie de l'infernal cercle vicieux dans lequel elle se trouve enfermée.

Si on prend le problème de la moto en France, qu'on le dissèque un peu et qu'on en couche tous les éléments sur le papier, on s'aperçoit vite que c'est une histoire à se l'attraper et à se la mordre. A première vue, il ne semble pas que l'air de l'hexagone soit celui qui lui convienne le mieux, et pourtant je pense sincèrement, même si je suis un peu aveuglé par la passion, que peu de pays offrent à la moto un cadre aussi favorable. Et d'abord son audience. Il suffit d'aller au Salon de la Moto un mercredi après-midi, de faire la sortie des écoles ou des lycées, d'interroger quelques profs ou instituteurs, pour se faire une idée de la place incroyable qu'occupe aujourd'hui la moto dans l'esprit et la vie des jeunes, aussi bien filles que garçons d'ailleurs. Synonyme d'évasion et de liberté, objet d'amour voire de passion se situant à la limite du rêve et de la réalité, dans une société chaque jour plus structurée, la moto constitue l'une de ses indispensables soupapes de sécurité. Le développement considérable de la compétition conforte son dynamisme alors que les quelques créateurs de génie qui placent la France à l'avant-garde de la technique motocycliste, cultivent savamment le côté magique de son image. "Bon, ben alors, où est le problème ? C'est le rêve ton histoire !"

La Elf-E En pleine crise, alors que gouvernement et industriels s'arrachent les cheveux face au chômage, à la production qui se casse la gueule, tu leur présentes sur un plateau d'argent un créneau jeune, dynamique, passionné, qui plus est animé par des gens qui ont des idées à revendre. "Ben ouais, je sais, on devrait nous chouchouter, nous cajoler et au lieu de ça on nous tire dessus à boulet rouge. En fait, je crois que le problème c'est avant tout un problème de communication. Tu comprends, d'un côté il y a le gouvernement qui ne voit qu'un truc: vu qu'il n'y a pas d'industrie nationale, la moto, ce n'est qu'une grosse fuite de devises.

Continuant à encenser la bagnole, il décrète donc sa mort. Et vas-y pour la vignette, le permis spécial, la TVA de luxe, l'assurance à une brique et autres gâteries du même genre. Il faut vraiment que les motards soient motivés pour continuer à acheter des bécanes. En face, devant un tel acharnement, les quelques industriels que la moto pourrait intéresser, se disent que ça ne vaut pas le coup et laissent tomber leurs projets. C'est ce qu'on appelle un cercle vicieux. Pas possible, une histoire pareille ! Prends ton bâton de pélerin, nous allons évangéliser tout ce beau monde. Et pour commencer, montrons leur que la moto Française, non seulement ça peut exister, mais ça existe déjà et qu'en plus c'est loin d'être ridicule".
L'école Française
Parce que la France est le plus grand marché du monde sans constructeur de moto, la BFG a été inventée. Ce qu'il y a de formidablement rassurant, c'est que malgré cette conjoncture pour le moins difficile, malgré la méfiance des milieux financiers, malgré la réticence des possibles sous-traitants, ils sont nombreux ceux qui refusent de baisser les bras et qui se battent avec acharnement pour que vive la moto Française, leur moto, notre moto. Certains en sont restés au stade des idées mais de nombreux autres ont plongé, et sont passés à la pratique. Ces derniers mois, nous avons essayé pratiquement toutes ces réalisations, enfin, celles qui roulent déjà, et nous pouvons l'affirmer, dans l'ensemble, il n'y a vraiment pas de quoi avoir honte de cette nouvelle école moto Française.

En gros, on y distingue trois courants. Il y a d'abord ceux qui, malgré les difficultés que cela représente, entendent se placer d'emblée sur le plan industriel en s'orientant directement vers la construction d'une machine de série. Ensuite ceux qui, parce que c'est leur tempérament et leur passion, choisissent de réaliser une machine de course, disons classique. Et puis, et c'est sûrement le trait le plus intéressant, le plus spécifique et aussi le plus prometteur de cette école Française, il y a ceux qui cherchent à innover et qui s'attachent donc à construire des motos d'avant-garde.

Même si certains parmi eux visent ouvertement la série, ils se servent tous du merveilleux banc d'essai constitué par la compétition pour établir la validité de leurs conceptions. Enfin pour que ce panorama soit complet et bien qu'on ne puisse considérer qu'ils constituent un véritable courant dans cette école de la moto Française, il convient de citer tous ces artisans qui à différentes échelles et à des degrés divers, s'emploient à construire des motos de qualité. Il y a ceux qui se contentent d'améliorer des machines déjà existantes, tels Godier-Genoud, Elite Motor etc, et puis ceux qui en empruntant des mécaniques Japonaises ou autres, s'attachent tels Martin, Lansac (un nouveau venu), National-Moto, Portal, Gauthier, Leuridan, Morena, Chevallier etc, à réaliser d'authentiques machines, sportives ou de course.
Vers la série
Le moteur de la BFG est fixé en porte à faux dans un cadre surprenant mais économique et rigide puisquil ne comporte aucune partie cintrée. La France est l'un des berceaux de la moto. Bien avant le début du siècle, des motos Françaises sillonnaient déjà les routes de l'hexagone et jusqu'au début des années 60, elle a nourri en son sein des marques aussi prestigieuses que Terrot, Peugeot, Gnome-Rhone, Jonghi, Monet-Goyon etc. On semble l'avoir oublié, car, l'expérience malheureuse des Motobécane 350-500 est là pour le prouver, la construction d'une moto de série Française apparait depuis comme une gageure, puisqu'il s'agit en effet ni plus ni moins que de se placer directement sur le terrain des constructeurs Japonais.

Or nous le savons tous, ceux-ci sont des maîtres d'oeuvre hors pair, et leur potentiel industriel est colossal. Disposant d'une technologie de pointe et d'une main d'oeuvre nombreuse et bon marché, ils inondent le monde de machines dont le rapport qualité/prix semble imbattable. Malgré cela, ils sont plusieurs en France, déterminés à relever le gant et à tenir tête aux grands orientaux. Pour y parvenir, chacun a sa recette. Pour BFG, dont la moto roule déjà bel et bien, c'est la ruse. Une ruse qui consiste à avoir recours à une mécanique d'automobile, en l'occurence celle de la GS Citroën, avec les avantages que cela procure: haute technologie, fiabilité exceptionnelle, prix de revient raisonnable et service après-vente facilité.

L'essai (MR 2480) nous a montré que malgré son caractère hybride, la BFG est une machine homogène, très bien adaptée au grand tourisme. Au niveau des projets, ceux de Siccardi (MR 2493) sont encore vagues mais intéressants. Important sous-traitant de l'industrie automobile il dispose des moyens nécessaires à la production en série, et à cet égard repésente un peu le chaînon manquant de l'industrie motocycliste Française. L'aventure de la moto l'intéresse, et s'il entend acquérir une certaine crédibilité par le biais de la compétition, il ne cache pas son ambition de construire des motos en série. Quant à nos deux "grands constructeurs", je veux parler de Motobécane et de Peugeot, il semble que sous l'impulsion de Dassault pour le premier et de William Desazars de Montgailhard, nouveau directeur général, pour le second, ils se décident enfin à envisager de construire autre chose que de simples cyclos.

Les projets de Motobécane sont encore très flous, mais chez Peugeot on avance des choses précises. D'ici à quatre ans on devrait voir commercialiser une 250 et une 400. Deux machines performantes qui pour compenser leur léger handicap de prix de vente par rapport à leurs concurrentes Japonaises, misent sur leur haute technologie (deux temps à refroidissement liquide et injection etc). le faible prix de leurs pièces détachées et leur énorme réseau de distribution et d'entretien.
A l'assaut des Grands Prix
La Pernod sera ainsi non seulement la première 250 à adopter une roue de 16 pouces à l'avant, mais aussi la première moto de vitesse à en être équipée à l'avant et à l'arrière. Cette année, on pourra voir trois motos entièrement Françaises sur la ligne de départ des Grands Prix comptant pour le championnat du Monde: le 50 ABF, la 125 Motobécane et la 250 Pernod. Trois machines qui ont un dénominateur commun, Jean Bidalot. Après avoir présidé en effet à l'élaboration de l'ABF en compagnie de Bernard Fourès, Bidalot s'est consacré ensuite au développement de la 125 Motobécane puis enfin à l'étude et à la réalisation de la Pernod 250. Disposant de mécaniques et de partie-cycles originales mais classiques, ces motos n'ont qu'un impératif, l'efficacité immédiate, une fonction, gagner des courses, une mission, prouver la valeur de la technologie Française. En ce qui concerne l' ABF et la Motobécane, la chose est entendue.

Techniquement, la Pernod n'est en rien révolutionnaire. C'est cependant une très judicieuse synthèse des solutions aujourd'hui considérées comme les plus efficaces dans le monde de la vitesse. Elles ont déjà prouvé qu'elles se situaient au meilleur niveau mondial puisque Plisson a terminé deux fois troisième du championnat du Monde en 78 et 79, au guidon de la première et qu'en 1980, Bertin a été sacré vice-champion du Monde au guidon de la seconde. C'est Bernard Fourès qui s'occupera des deux machines cette année et respectivement confiées à Yves Dupont et Jacques Bolle ; on espère encore mieux d'elles (ce ne peut être qu'un titre mondial !). Malgré cela, ce sont certainement les débuts de la Pernod qui vont mobiliser l'attention. Le tandem Espié-Bidalot a déjà fait ses preuves avec la Motobec et l'on en attend beaucoup.

Sa réussite serait naturellement un peu celle de son dynamique sponsor et elle pourrait donc prendre valeur d'exemple pour d'autres éventuels financiers extra-sportifs. Enfin, avant de clore ce chapitre, il faut, je crois, reparler de Siccardi qui travaille activement à la réalisation d'un prototype d'endurance. Une machine animée par un moteur 1000 cm3 trois cylindres, très performant, qui devrait être au départ du Bol d'Or 92 avec la ferme intention de faire un coup d'éclat.
La moto de demain
Disposant de très faibles moyens mais ne manquant ni d'idées ni de courage, Didier Jillet a réalisé une moto très intéressante. On pourrait presque dire, en France on n'a pas de motos, mais on a des idées. D'André De Cortanze à Eric Offenstadt en passant par Claude Fior, Didier Jillet, Max Sardou, Michel Guichard, Philippe Moch etc, elle est longue en effet la liste de ces chercheurs plus ou moins illuminés qui cogitent et trouvent pour la moto des solutions entièrement nouvelles. Au plan de la technique motocycliste, la France peut donc être considérée à juste titre comme un pays d'avant-garde. L'originalité est certainement l'un des atouts majeurs de la moto Française. Les Japonais c'est un fait, font preuve d'un remarquable savoir faire. Ne s'encombrant d'aucun amour propre, et c'est peut-être une forme d'intelligence, ils n'ont pas leur pareil pour plagier et améliorer ce qu'ils trouvent d'intéressant ailleurs.

Mais pour ce qui est de la conception proprement dite, des idées originales, je pense que nous n'avons pas de quoi rougir. Ces idées sont donc notre force, mais le tout est de savoir si elles ont les moyens de rester Françaises ou si elles sont vouées à se "Nipponiser". Une fois lancées, si elles ne trouvent pas chez nous, le soutien industriel et financier nécessaire à leur matérialisation, cela semble à peu près inéluctable. Qui pourra reprocher à un chercheur de vendre ses brevets à un constructeur Japonais pour les voir appliquer quand il sait qu'autrement ils sont condamnés aux oubliettes.

Il faut donc espérer qu'industriels financiers et gouvernants réalisent, rapidement, tout l'intérêt qu'il y aurait à aider ces bouillonnants cerveaux. L'aide à la création, c'est à l'ordre du jour, non ? Cela étant dit, il est intéressant de constater que bien que leur approche des problèmes leur fasse prendre des formes assez différentes, toutes ces nouvelles conceptions vont à peu près dans le même sens.

La DJ 1200 due au talent de Didier Jillet est un monument de technique. Non que ces messieurs les chercheurs s'amusent à se pomper les uns les autres, mais parce que c'est bien connu et c'est logique, à un certain niveau de l'évolution technique, il y a toujours un type de solutions qui s'impose. Beaucoup de ces idées, essentiellement pour des raisons financières, n'ont pas dépassé le stade de la planche à dessin, mais heureusement, d'autres ont eu la possibilité de se matérialiser sous les traits de machines que l'on peut cataloguer de révolutionnaires et qui ont pour nom Elf-E, But, Pif, DJ 1200 et autre Benelli-Moch. Bien sûr, la théorie est une chose, et la pratique en est une autre.

La mise au point d'un prototype présentant des innovations radicales est forcément longue surtout lorsqu'on prend le parti de ne pas sacrifier ses idées à l'efficacité immédiate (bénéficiant pourtant de moyens considérables, l'exemple de la 500 Honda de GP est là pour en attester). Si cela a fait dire hâtivement à pas mal de gens que certaines de ces réalisations n'étaient que de vulgaires coups de pub, les essais que nous en avons effectués, nous ont, quant à nous, apporté la conviction que sur le terrain, l'évolution technique représentée par ces machines était tout à fait positive.
Histoire à la gomme
C'est un moteur de Peugeot 204 qui équipe la DJ 1200 (environ 100 Ch ici). Deux carbus Weber double corps alimentent le monstre. L'embrayage est un monodisque à sec Sachs et le carter de chaîne fait office... de bras oscillant. Pratiquement tous les pilotes et tous les constructeurs s'accordent à le dire, à partir d'un certain niveau le problème n'est plus tant aujourd'hui de trouver des chevaux que de réaliser des partie-cycles capables de les exploiter tous aux mieux. C'est particulièrement flagrant en GP 500 (les problèmes rencontrés l'an passé par les pilotes de Yamaha TZ 500) mais également, bien qu'à un degré moindre, en endurance et dans les cylindrées inférieures. Un peu comme en Formule 1, c'est par les pneus que les gros problèmes sont arrivés et continuent à se faire jour. Avec leur extraordinaire adhérence, les slicks sont en effet très exigeants vis-à-vis de la partie-cycle.

Si les cadres, les freins, les suspensions arrière ont à peu près suivi le mouvement, il reste malheureusement un élément et non l'un des moindres qui n'arrive plus à faire face à la situation, c'est le train avant, autrement dit la fourche télescopique. Bien que toujours plus soignée dans sa réalisation et agrémentée d'astuces du genre système anti-plongée (Suzuki) ou tés à axe décentré (Bimota), elle n'en demeure pas moins un système notoirement anti-mécanique. Associant pour le meilleur, mais surtout pour le pire, les fonctions direction et suspension, elle consent en débattant des variations de chasse et d'empattement importantes qui se manifestent notamment par une plongée importante au freinage. Son rendement est par ailleurs sensiblement amoindri tant du point de vue de l'amortissement que du guidage, par les frottements parasites engendrés par le coulissement des plongeurs dans les fourreaux.

Enfin, l'une de ses plus grosses tares est actuellement de freiner l'évolution des pneumatiques en n'acceptant pas le montage d'envoloppes suffisamment larges. Il est un fait que la disproportion entre les boudins avant et arrière est aujourd'hui très préoccupante puisque sur une 500 de GP cela va par exemple du simple au double (20 cm de large à l'arrière pour 10 cm seulement à l'avant). Sous la pression des chevaux toujours plus nombreux, les pneus arrières ont grossi démesurément alors que toutes les tentatives de monter des pneus plus larges à l'avant, donc plus lourds et plus rigides (plus un pneu est large, plus il doit être rigide pour ne pas rouler sur la jante), se sont invariablement heurtés au dribblage et autre signe de mauvaise volonté de la part de la fourche télescopique.

C'est gênant en premier lieu sur l'angle puisque cette disporportion engendre un paralaxe important, forcément néfaste à la tenue de route (l'axe reliant les points de contact de pneux au sol n'est plus parallèle à l'axe de la moto et celle-ci avance donc en crabe). D'autre part, au lieu de laisser libre cours à leur savoir faire pour fabriquer des pneus avant réellement performants (large pour mettre de la gomme par terre sur l'angle et rigide pour assurer un guidage précis), les manufacturiers se voyent contraints de réaliser des enveloppes souples et étroites (le fameux "pneu amortisseur" Michelin SV 12) dont la qualité première est de "gommer" les défauts de cette satanée fourche télescopique.

Un système donc assurément condamné par le progrès, même si la ruse, consistant à substituer à l'avant une roue de 16 pouces à celle de 18, semble devoir lui accorder un léger sursis. Une roue plus petite permet en effet de monter un pneu plus large (12 cm au lieu de 10) sans augmenter le poids non suspendu et en conservant une bonne maniabilité grâce à une inertie et à un effet giroscopique plus faibles.
La loi du triangle
Suspension AV triangulée avec une biellette de direction en haut et un frein à disque sur la jante. La fourche AV de la But avec sa roue tirée. Un très court amortisseur est monté au niveau de la colonne de direction. La fourche télescopique vit ses dernières heures. Soit ! Mais par quoi va-t-on la remplacer ? C'est là que nous poussons notre cocorico, car c'est un fait que la plupart des solutions sérieuses de remplacement sont Françaises. Ce sont en tous cas les plus ingénieuses et celles dont la mise au point est la plus avancée. Leur physionomie est bien différente mais elles correspondent à une même démarche ; en gros celle qui a permis à la F 1 de franchir un cap décisif il y a quelques années: réaliser un type de suspension qui s'accomode des exigences de pneumatiques et non plus l'inverse. Plus ou moins inspirés de l'automobile, les différents systèmes, triangulés pour la plupart, se fixent à peu près la même ligne d'action.

D'abord offrir de très nombreuses possibilités de réglage notamment en dissociant les différentes fonctions (suspension et direction) et les différents paramètres (chasse, déport, empattement, assiette etc). Assurer un guidage aussi précis que possible. Etre stable et rester stable dans toutes les attitudes en consentant peu ou pas de variations de chasse et d'empattement et en minimisant sensiblement la plongée de l'avant au freinage. Permettre le montage d'un gros boudin tout en conservant un amortisseur efficace et une bonne maniabilité. Pour cela adopter un système amortisseur à haut rendement, exempt de frottements parasites et utilisant la flexibilité variable. Une astuce qui permet, malgré le supplément de charge d'avoir une suspension suffisamment souple dans les petits et moyens débattements mais qui se raidit en fin de course pour éviter de talonner. La direction s'opérant par renvois et biellettes tirées, elle peut être légèrement démultipliée si elle se fait trop lourde. Autant de points spécifiques du train avant mais qui doivent être parfaitement intégrés à l'architecture générale de la moto pour prendre toute leur valeur.
Pépé l'illuminé, Dédé la science, Pif la soudure
Hervé Guilleux pose entre les versions 250 et 350 de la But. La moto enfantée par Eric Offenstadt n'a peut-être pas connu la carrière qu'elle aurait méritée. Même si d'autres réalisations sont également dignes d'intérêts, trois machines synthétisent essentiellement le courant de la moto Française d'avant-garde. Ce sont la But, la Elf et la Pif. Trois engins bizarroïdes derrières lesquels se cachent trois personnalités aussi masquées que différentes. Surnommé Pépé, Eric Offenstadt, c'est un peu le chercheur fou des bandes dessinées. Ni vraiment technicien, ni vraiment mécano, lorgnon sur le bout du nez, il fouine partout, s'intéresse à tout, a des idées sur tout. Dans le tas, il y en a des bonnes... et des moins bonnes. André De Cortanze est ingénieur automobile.

Il travaille dans les bureaux d'études Renault et a eu l'occasion de montrer sa science dans la conception de nombreuses et efficaces voitures de course. Un théoricien accompli, capable de calculer jusqu'au moindre écrou et secondé sur le terrain par un mécanicien émérite: Alain Chaligne. Quand on se pointe à Nogaro, Pif, Claude Fior de son vrai nom, on le trouve presque toujours dans son atelier, une baguette de soudure à la main. Lui la théorie, il ne connait que de loin. Sa méthode, c'est l'empirisme.

Pour les travaux pratiques, il ne doit pas aller loin ; le circuit est à 50 mètres. Une modification, un nouveau réglage, en piste et l'on voit ce que ça donne. Pour illustrer le chapitre précédent, quoi de plus intéressant donc que de procéder à l'examen des différents trains avant conçus par ces messieurs.

Comme à l'avant l'étrier de frein AR est monté flottant. A noter la fixation coulissante de la roue sur le bras oscillant tubulaire. L'examen de leur train avant va constituer une illustration intéressante du chapitre précédent. Espèce de fourche Earles inversée, le système à roue tirée de la But est assez séduisant mais présente toutefois une lacune par rapport aux deux autres: direction et suspension ne sont pas dissociées. De plus, son dispositif anti-plongée "artificiel" puisque réalisé mécaniquement à partir de l'étrier de frein, est moins fonctionnel que celui de la Elf-E et de la Pif. Découlant uniquement de la longueur et de la position relative des triangles superposés, ceux-ci sont en effet des systèmes "naturels".

Au freinage, sur la But, il se crée une réaction verticale qui modifie la raideur du ressort et donc perturbe le fonctionnement de la suspension. Le train avant de la Elf-E est le seul à ne consentir strictement aucune variation de chasse ou d'empattement. Son hérédité automobile est très marquée. C'est un avantage sur le plan fonctionnel et au niveau des possibilités de réglage mais un handicap sur le plan de l'encombrement. Les deux bras latéraux superposés sont en effet assez gênants. Limitant la garde au sol et le rayon de braquage, ils interdisent en effet dans leur forme actuelle le montage d'une roue de 16 pouces ou d'un pneu trop gros.

En contrepartie, le démontage très rapide de la roue, uniquement fixée par un écrou central constitue un atout important en endurance. Le système conçu par Claude Fior constitue une adaptation intelligente de la suspension triangulée à la moto. Son seul inconvénient semble, dans l'état actuel, être une variation de chasse angulaire encore un peu trop importante, qui oblige à limiter sensiblement le débattement et donc à raidir excessivement la suspension.
... et ce n'est pas tout
Michel Balloche, pilote officiel motobécane, au guidon de la première version de la 125 en 1975. Le train avant est bien entendu la pièce maîtresse de la structure de ces trois zombies. Pourtant alors qu'il constitue l'essentiel de l'originalité de la Pif, le reste de sa partie-cycle restant assez classique, la But et surtout la Elf-E présentent des architectures plus révolutionnaires dans leur ensemble. Avec la Elf-E, la volonté d'André De Cortanze est de réaliser une moto légère et dotée d'un centre de gravité très bas. Pour cela il a tout simplement commencé par supprimer le cadre en rendant son moteur porteur, c'est-à-dire en lui faisant supporter les suspensions, et a placé le réservoir d'essence dessous.

Au plan des suspensions son engin est très élaboré puisqu'il reprend le principe de la flexibilité variable à l'arrière où elle se justifie autant sinon plus qu'à l'avant, puisque les variations de charge y sont plus importantes. Tout comme à l'avant, un bras unique en alliage coulé permet de dégager complètement un côté de la roue. On note encore sur ce laboratoire à roulettes un frein avant original faisant appel à un disque unique en fibre de carbone, et une carrosserie intégrale faisant office de carénage. Le gabarit de la Elf-E est très réduit pour une machine d'endurance. Elle est plus basse qu'une 500 de GP et à moteur (presque !) identique, plus légère qu'une Honda d'usine d'une quinzaine de kilos.

Elle est donc logiquement très maniable et prend de l'angle avec une grande facilité. Caractéristique qu'elle partage avec la But dont la place du moteur dans le chassis-coque procure un centre de gravité également très bas mais aussi très reculé. Position délibérée qui favorise la motricité mais oblige à avoir un empattement long et rend donc la moto un peu indolente dans les balancés rapides. A signaler que la But ne doit pas son originalité seulement à sa partie-cycle, mais aussi au moteur HO a double alimentation qui l'a équipée épisodiquement.
Il n'est pas loin le temps
Le 50 ABF modèle 77 que pilotait J. Hutteau et auparavant P. Plisson. Elles ont déjà fait couler beaucoup d'encre, ces "motos révolutionnaires". La critique étant, c'est connu, plus aisée que l'art, elle n'a naturellement pas manqué de s'exprimer, parfois justifiée, la plupart du temps sans fondement, avec sa volubilité habituelle. S'il est vrai qu'aucun de ces engins malgré une mise au point souvent déjà longue, n'est encore parvenu à réaliser la performance éclatante qui pourrait faire taire définitivement toutes les mauvaises langues, ils atteignent incontestablement aujourd'hui un degré de compétitivité suffisant pour que nous puissions apprécier le bien fondé de leur conception. Il est tout proche, croyez-moi, le temps où ils prouveront leur supériorité et où tout le monde n'aura plus alors qu'à les imiter pour rester dans le coup.

50 ABF modèle 80: nouveau modèle à cadre coque. C'est Yves Dupont qui participe au championnat du Monde 81 à son guidon. Pour les avoir tous essayés récemment je suis convaincu qu'ils apportent chacun, d'ores et déjà, un progrès considérable sur certains points cruciaux du comportement d'une moto de course. Ne consentant que de faibles variations d'assiette ils permettent de freiner plus court puisqu'il y a moins de transfert de masse sur l'avant et de rentrer plus fort dans les virages puisqu'il ne faut pas attendre que la moto se restabilise avant de la balancer. Les pneumatiques travaillant dans de meilleures conditions, le guidage est plus précis et aidé par un centre de gravité abaissé, on prend plus d'angle. Si mon jugement vous laisse incrédule, je vous signale que c'est aussi l'avis de Hervé Guilleux qui a piloté la But, celui de Walter Villa qui a longuement essayé la Elf-E et enfin celui de Marc Fontan, notre champion du Monde d'endurance qui s'apprête à faire une saison de GP, avec une "Pif-Yamaha". Lisez prutôt ce qu'il en dit:
Fontan: "Hip-Pif-Pif, Hourra !"
Il n'est pas impossible que cette conception, alliée à un moteur d'usine Yamaha, fasse cette année des étincelles dans la catégorie 500 au plus haut niveau. "Cet hiver, nous avons effectué de nombreuses séances d'essais avec la 500 Yam à partie-cycle Pif. Des essais positifs et très encourageants, puisque sur les différents circuits où nous avons tourné, le Mans, Nogaro, le Castellet etc., nous avons dans l'ensemble enregistré un gain de près de 2 secondes au tour par rapport à la version standard qui nous servait de comparaison et disposait du même degré de préparation moteur.

C'est bien sûr au freinage en entrée de courbe que l'avantage est le plus flagrant. A Nogaro par exemple, au bout de la ligne droite on freine à 140 m contre 160 à 170 m avec une 500 classique. L'adaptation à la moto ne pose pas de problème. Il faut seulement s'habituer à rentrer plus fort dans les virages et même à ne pas avoir peur de freiner sur l'angle.

L'amortisseur unique Koni est monté verticalement et articulé sur un basculeur possédant plusieurs positions d'ancrage. En effet non seulement la moto ne plonge pas mais en plus la roue de 16 pouces permet de mettre plus de gomme par terre. Maniabilité et stabilité sont comparables à celles de la version standard, mais la Pif est plus vive, plus précise. Je peux te dire une chose, c'est que lorsqu'on s'habitue à la moto et qu'ensuite on est amené à remonter sur un modèle normal, on fait carrément la grimace. Pour l'instant nous ne sommes attachés qu'à établir la supériorité de cette partie-cycle, mais si comme je le pense, nous l'adoptons pour la saison, un gros travail de préparation et de mise au point sera encore nécessaire. Bien que le poids de la Pif soit d'ores et déjà inférieur d'une dizaine de kilos à celui de la TZ d'origine (environ 127 kg contre 137) nous n'avons, par exemple, pas encore vraiment cherché à gagner du poids. Bien que nous n'ayons pas l'intention de faire de la figuration, cette année devra tout de même être considérée comme une année de mise au point pour la moto".
Vers des lendemains qui chantent ?
La fourche rigide en tôle d'acier caissonnée est articulée aux deux triangles superposés par des rotules. Animée par une flamme encore discrète mais vigoureuse, la moto Française renaît de ses cendres. 1981 devrait marquer un tournant important dans ce renouveau. Les écuries de course ont un moral de vainqueur, les machines d'avant-garde semblent enfin prêtes à faire la démonstration de leur valeur et les projets de production en série n'ont jamais été aussi nombreux et aussi sérieux.

Par ces quelques lignes j'espère avoir apporté la preuve à ceux qui en doutaient que la moto tricolore ne manque, à son service, ni d'idées, ni de compétence, ni de diversité, ni de bonne volonté, mais tout juste d'un peu de compréhension. Qu'industriels et pouvoirs publics reconsidèrent un peu leur jugement à son égard en cessant de se laisser abuser par l'image galvaudée que persiste à vouloir en donner la "grande" presse, et je suis persuadé que la moto Française pourra enfin accéder à la place qu'elle mérite et dont nous aurons tous, motards ou pas, à nous féliciter.
Informations tirées de Moto Revue.
Par Jean-Lou Colin
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