La sortie, c'est par là ! La 2 x 2 des jumeaux du 22
Franck (le barbu) et Patrick (le pas barbu). Savard 2 x 2 la première deux roues motrices françaises. Vingt-deux, elle débarque ! Qui ça ? Mais la première moto française à deux roues motrices, bien sûr ! Et bien entendu, nous étions présents pour ses premiers tours de roues sur le goudron, en compagnie de ses jumeaux de papa, tout près de St-Brieux (département 22, comme il se doit...).

A 36 ans bien sonnés, Franck (le barbu) et Patrick (le pas barbu) prennent encore un malin plaisir à mystifier leur monde. Tous petits déjà, à Champigny, les jumeaux Savard s'ingéniaient à tout faire ensemble, et à le faire bien.

Quand l'un devient champion de France de vitesse en 76, l'autre s'empresse d'en faire autant en 78, quand l'autre est champion de Ligue de kart en 83, l'un se sent obligé de le devenir aussi en 86. Enervants, les jumeaux !

En 79, on les remarque pour d'autres raisons: leur 125 de vitesse, sur base Morbidelli mais avec une partie-cycle maison, se met en évidence au Mans: Patrick fait 2°... derrière Franck. Décidément très énervants ces deux-là. Enervants, mais efficaces, et ça finit par se savoir: près de St-Brieuc, leur atelier moto spécialisé dans la préparation mais aussi la fabrication de pièces spéciales pour tous sports mécaniques, ne désemplit pas.
A la pêche aux sous
Une vue de profil permet de mettre en évidence l'architecture de cette version Supermotard, en attendant une évolution « rallyes africains ». Pendant l'hiver 85-86, on croit être enfin à l'abri de leurs facéties. Patrick part travailler sur l'Elf 3, le premier dont les triangles superposés soient remplacés par un train avant de type McPherson. Peine perdue, l'expérience ne lui donne qu'une idée, celle de corriger à sa façon ce qu'il considère comme un défaut sur la moto Elf, son asymétrie.

Avec Franck bien sûr. Le résultat, c'est en juin 86 la première maquette de leur moyeu directionnel. Et puis tiens, pendant qu'ils y sont, autant en profiter pour la rendre motrice, la roue avant. C'est à la mode en auto, et puis c'est tellement plus facile avec un tel train avant, plutôt qu'avec une télescopique. Reste plus qu'à trouver des sous pour réaliser un proto... Les frères Savard contactent alors Jean Stalaven.

Ce charcutier-traiteur est le plus gros industriel de la région (580 employés, près de 300 millions de francs de chiffre d'affaires), il a justement prévu de faire en 87 une pause dans son programme voile, et - coïncidence - Michel Mérel a précisément sollicité son soutien matériel peu de temps auparavant.
Une affaire qui tourne
Une vue de profil permet de mettre en évidence l'architecture de cette version Supermotard, en attendant une évolution « rallyes africains ». Très vite, l'affaire est conclue: Mérel devient manager (et pilote) d'une équipe bâtie autour de la moto 2 x 2 des deux frangins, et le budget ne tarde pas à être bouclé, par une aide exceptionnelle de l'Agence pour la Valorisation de la Recherche (150 000 F non remboursables), puis par l'appui du Conseil Général des Côtes-du-Nord. Signe de sagesse, les trois compères sont arrivés à persuader leurs partenaires financiers de la nécessité d'un soutien à (relativement) long terme.

Sur un programme aussi ambitieux, l'investissement est échelonné sur trois ans, et sera réparti entre recherche pure et fonctionnement "au jour le jour" de l'écurie, en rallyes-raids et épreuves de Super-motard, avec un camion-atelier, un 4 x 4 et un 6 x 6. Le premier brevet est déposé en mars 87, il sera suivi d'une rafale d'autres, et la première moto (à moteur Kawa) dispute les 24 Heures de Bretagne en août 87. Ce premier proto aura servi à valider la technique, à dégrossir les problèmes, et pour 88 une deuxième version est lancée, motorisée par Husqvarna - suite à des accords négociés par Mérel - et surtout considérablement "épurée" dans sa construction. C'est celle-ci qui, après le Touquet, effectuait récemment ses premiers tours de roues sur le bitume, en vue du Supermotard de Montlhéry.
Méfiance naturelle
Vue de face. Le site, c'est l'espace mécanique du Griffon, sur l'ancien aérodrome de St-Brieuc, récemment adapté au kart et autres disciplines motorisées. Les visages, ils sont plus graves qu'à l'habitude: pour une fois les frangins n'en mènent pas large. Ils sont anxieux, et Franck, à qui revient plus précisément sur le terrain la mise au point châssis (bien que les compétences des Dupont soient strictement interchangeables), s'en explique:

- Dans le sable, sur la terre, on jouait sur du velours, tous les problèmes étaient masqués. Ici, ils vont être révélés. L'adhérence du goudron ne tolérera plus aucun à peu-près, la liaison rigide entre les deux roues va mettre en évidence tous les éventuels "loups" du bidule. Les efforts subis vont être bien plus considérables, au freinage, en accélération, mais aussi en latéral. On a beau avoir déblayé pas mal de terrain avec la première version, on joue quand même encore un peu les apprentis-sorçiers...

- Par rapport à la première moto (celle qui était exposée au Salon de la Compétition, en février), sur quoi ont porté les efforts ?

- Plein de choses. D'abord, comme on partait dans un flou total avec la première, on avait fait en sorte qu'un maximum de paramètres soient réglables indépendemment les uns des autres. Une fois cernés les grands principes, on a construit la seconde en fonction de la géométrie générale qui fonctionnait le mieux. Par exemple, la valeur retenue pour la chasse est tout ce qu'il y a de moyenne, ce qui au départ n'était pas nécessairement évident sur un Solex, par exemple, la chasse est pratiquement nulle. Ensuite, on a cherché à épurer la construction en facilitant l'accessibilité mécanique, en diminuant l'encombrement. Enfin, on a aussi tenté de corriger les quelques petits défauts de la première version comme le rayon de braquage ; désormais on a 35° à droite comme à gauche, une valeur "normale", alors que la première se contentait de 23°. Et puis, on a également cherché à rendre cette version plus "présentable" que l'ancienne, en soignant (un peu) le dessin des pièces. Elle fait quand même moins "bricolée", non ?
Le refus des idées reçues
De gauche à droite, Christophe le mécanicien, Patrick et Franck Savard et Michel Mérel posent derrière leur curieuse bestiole. - Elle doit être plus légère aussi ?

- Bien sûr ! D'abord elle est assez compacte, l'empattement fait environ 143 cm, c'est dix de moins qu'une moto habituelle comparable. On a surtout essayé, autant que le moteur l'autorisait, de profiter des avantages de notre architecture. C'est ainsi qu'on a dessiné un cadre plus "inférieur" que "supérieur", avec une semelle assez massive pour joindre les bras avant et arrière, mais une structure haute affaiblie dans la mesure où sa tâche est moins cruciale que sur les motos traditionnelles. Telle quelle, la moto pèse 102 kilos, c'est moins qu'une 500 cross d'origine. Surtout, contrairement aux apparences, les masses suspendues sont moins importantes qu'avec une fourche télescopique normale.

- J'imagine que la prochaine peaufinera encore toutes ces tendances ?

- C'est évident ! En construisant celle-ci, il y avait déjà des modifs que l'on aurait aimé introduire. Mais non, chaque chose en son temps, on les reportera sur la prochaine, la 4 temps des rallyes-raids qui devrait débuter à l'Atlas, à la mi-mai.

- Donc, les grandes options sont figées maintenant ?

- Pas vraiment non. On a voulu "assurer" sur les premières machines, on a tiré au plus simple, au moins cher, au plus rapidement "vérifiable". Mais après tout ce travail de validation, il nous faudra encore tâtonner, expérimenter toutes les voies prévues par les brevets, en dégager les meilleures combinaisons. Par exemple, sans même parler de la bonne exploitation des épures de suspensions (dans l'immédiat les deux bras sont parallèles et de même longueur), les deux roues sont encore liées rigidement. Il faudra voir par la suite s'il n'est pas intéressant de répartir le couple inégalement, d'introduire un certain glissement ou même de ne rendre la roue avant motrice que temporairement. C'est, ce que fait Dave Watts, un Anglais qui a dernièrement adapté une transmission de ce genre sur une Maico de cross en gardant la télescopique. Il a fait en sorte que la roue avant ne soit entraînée que lorsque la roue arrière patine déjà. Tu vois, il y a vraiment de quoi s'occuper, quand on constate les développements actuels de la traction intégrale en automobile, et c'est pourquoi il était absolument nécessaire de se garantir un budget sur plusieurs saisons.
Sur la pointe des pieds
La première version, à moteur Kawasaki, n'était qu'une approche du problème. Le bras sypérieur avant, central, était particulièrement encombrant et le braquage fort limité. Encouragé à la modération par les doutes de Franck et Patrick, Michel s'engage prudemment sur la piste humide. Les premiers mètres sont très circonspects. Et puis, lentement, la confiance s'installe, le rythme s'accélère, et les deux frangins, qui pas un instant n'ont quitté leur bébé des yeux, se rassurent lentement, traquant le frémissement d'une roue, l'amorce d'une glissade. Un quart d'heure après, Michel tourne encore, de plus en plus vite. Freinages appuyés, sorties de courbes sur la roue arrière."On va l'arrêter, lance un des Dupond, il va tomber en panne d'essence". Michel est devant nous, on guette le verdict:

- C'est vraiment super, les gars ! Comme en terrain meuble, le plus marquant, c'est cette impression de facilité, de sécurité. Dans le mou, tu te permets de couper les gaz puis de rouvrir, tu te sens tracté, sans que l'avant n'enfourne dans le sable, c'est formidablement rassurant. Là, la sensation est différente, mais c'est toujours cette sécurité qui ressort. Tu as une stabilité, à l'accélération et surtout au freinage, j'ai jamais vu ça ! Tu sens que la moto est tout d'un bloc, sans que la roue arrière ne cherche à te passer devant, c'est fabuleux !

D'un autre côté c'est un peu effrayant aussi... Tu as une telle constance dans le comportement que la limite n'apparaît vraiment pas évidente. Dans ta tête, tu te dis qu'elle est effectivement repoussée très loin, mais que lorsque tu l'atteindras tu n'auras pas beaucoup d'échappatoires: plus que jamais, tu redoutes le décrochage de l'avant, tu as une conscience énorme du rôle vital de la roue avant. En plus tu gamberges, tu sais qu'au moindre blocage de roue arrière, l'avant bloquera aussi, et ça t'oblige à rester sur la défensive. Il faudrait pouvoir découpler l'avant et l'arrière à la demande, garder la liaison pour ce qu'elle apporte de sûreté, de stabilité, mais pouvoir la débrayer en cas de besoin.

C'est prévu, on s'en doutait réplique un des frères Pondu. On va te mettre un levier au guidon !
Réapprendre à piloter
La commande de direction à compas est inspirée de la moto Elf, c'est une des solutions les plus logiques avec ce type de train avant. Un simple joint de cardan pemret le braquage. Michel est intarissable:
- En tous cas, c'est vraiment fantastique, et tellement rassurant en fin de compte. Mais c'est fou, ça t'oblige à reprendre complètement ton style de pilotage. Tu ne places plus l'arrière en jouant des gaz ou du frein, tu passes tout d'un bloc, tu ne tournes qu'au guidon, c'est ton seul moyen de contrôle. C'est sûr, va falloir réapprendre à piloter !

Pas trop concernés, provisoirement, par les angoisses métaphysiques de leur pilote, les frangins poursuivent leur enquête:

- Tu as encore le phénomène de sous-virage de l'autre jour ?

- Non, plus sur l'asphalte. Mais il faut dire que les courbes sont moins serrées qu'en TT ; et les vitesses de passage supérieures. Non, rien ne cloche vraiment, simplement, il faut que je tourne encore beaucoup, pour mieux appréhender la limite. Je crois que ça va prendre un moment !

Malheureusement, ce ne sera pas pour aujourd'hui. Une fois encore, une fois de plus, c'est en effet le moteur qui va interrompre les essais. Les frangins remballent, on verra tout ça à l'atelier.

- L'essentiel, disent-ils en choeur, c'est qu'on n'ait pas découvert de gros "bug" de conception. C'est quand même ce dont nous avions peur: on nous avait prédit tant de malheurs, un train avant super-lourd, des réactions de direction: à croire que tout le monde avait déjà essayé ! En fait, tu vois, ça roule, et plutôt bien. Il y a encore beaucoup à faire, c'est sûr, mais même le petit problème du départ, on ne le ressent plus.
Au feu (presque) vert
Depuis le pignon de sortie de boîte, une chaîne remonte à l'articulation du bras supérieur avant, une autre court dans ce bras, et de là une troisième redescend à la roue. - C'était quoi, ce problème ?

- En virage très serré, Michel avait l'impression que l'avant cherchait à lui échapper. En première analyse, c'était probablement dû à la différence de développement des pneus sous fortes inclinaisons et forts braquages combinés. Comme les deux roues sont en liaison directe, il y avait ripage de l'avant (le moins chargé), ce qui n'était guère rassurant pour le pilote. En fait à vitesse normale, cela semble ne plus apparaître.

- Il n'y a plus qu'à la faire courir, alors ?

- Hélas non, intervient Michel Mérel. Vis-à-vis de nos partenaires financiers, nous avons quand même au moins moralement une obligation de résultats: nous ne disposons pas d'un budget de seul développement. Alors je crois que dans les épreuves où nous estimerons avoir une chance de l'emporter (en Super-motard par expmple) nous engagerons en priorité une moto conventionnelle, et nous réserverons la 2 x 2 aux courses plus aléatoires comme l'Atlas, les Pharaons ou le Dakar. Elle fera ainsi plus de kilomètres, ce sera le meilleur moyen de la fiabiliser.

Voilà. Toute l'équipe a bien conscience de ce qui l'attend encore. Elle ne se berce pas d'illusions: elle sait que le chemin est encore long, que le concept "2 x 2" doit encore tout prouver, et que sans doute le salut passera par le relais d'un grand industriel. Avant d'en arriver là, les "pélerins" doivent encore démontrer le bien-fondé de leurs idées, sur le seul terrain qui leur soit accessible, celui de la compétition. Mais qui sait ? Peut-être, dans quelques années, aura-t-on découvert que la promotion de la moto toute entière passe par la banalisation de son usage, et, pourquoi pas, par la mise entre toutes les mains d'engins réellement "tous terrains", c'est-à-dire capables d'attaquer les dunes - ou la ville - en compagnie de parfaits novices. Ce jour-là, peut-être pourra-t-on alors en remercier quelques prophètes bretons... D.G.
La 2 x 2 vue par... le constructeur
Tous les entraxes sont réglables, pour assurer les tensions de chaines. Le pivot de roue est déporté vers l'arrière, et le moyeu tourne sur deux gros roulements. Tous les entraxes sont réglables, pour assurer les tensions de chaines. Le pivot de roue est déporté vers l'arrière, et le moyeu tourne sur deux gros roulements. L'industriel ne que pousser des hauts cris en découvrant une moto 2 x 2. Son bilan de prix est vite fait dans sa tête, l'idée est écartée plus vite que son ombre. Et pour peu qu'il demande l'avis de son service commercial, le louque pour le moins déroutant de l'engin a tôt fait de conforter ces messieurs dans leur opinion. C'est un peu dommage. D'accord, deux roues motrices, ça ne peut que coûter plus cher à fabriquer, quel que soit le mode de transmission choisi.

D'accord, une 2 x 2 aura toujours du mal à ressembler à une moto traditionnelle. Mais bon, il suffirait que la course apporte sa caution morale. Ce ne serait pas la première fois qu'un élément cher et esthétiquement neuf ferait son chemin de la sorte. On constera d'ailleurs que, une fois admis le principe de la suspension avant non téléscopique, la transmission elle-même ne choque guère l'oeil. Quant au problème de coût, s'il est bien réel, il doit être relativisé.

Il ne faut pas voir uniquement ce qu'une telle construction coûterait en plus, il faut aussi dégager ce qu'elle pourrait coûter en moins. Par exemple, par la refonte globale de l'architecture d'une moto, la simplification de son cadre, etc. Vous me direz, ça, c'est indépendant de la transmission avant: cela tient plus au type de suspension choisi, Elf peut revendiquer le même gain, et les constructeurs ne sont peut-être pas prêts à revoir profondément leurs méthodes de fabrication, OK. Mais c'est quand même un bon moyen de faire enfin avancer le schmilblic, non ? Et qu'on en finisse avec cette fichue télescopique. Et puis on peut rêver: s'il s'avérait que la conduite d'une 2 x 2 se montre plus évidente, plus rassurante que celle d'une moto habituelle, les constructeurs pourraient y voir l'occasion d'élargir considérablement le marché potentiel du deux-roues dans son ensemble. Voilà bien le genre d'argument auquel ils ne sauraient rester insensibles...
La 2 x 2 vue par... le dynamicien
Etudiée sous l'Occupation à l'abri du groupe lyonnais Merlin Gérin Debuit, cette machine aurait pu devenir la moto militaire française de l'après-guerre. Son 500 Ultima était couplé à une boîte 3 vitesses à réducteur, et monté dans un cadre-coque en tôle. On n'en sait guère plus à son sujet, entre autres quant à son mode de transmission, sinon que Michel Durand l'a exhumée dans son inestimable ouvrage « La Moto dans l'Armée Française » et que cette photo (sans doute unique) est extraite de ce bouquin. Le spécialiste de la dynamique aura d'une moto à deux roues motrices une vision négative au premier abord. Il est en effet établi désormais que, pour un engin monotrace, un critère fondamental de stabilité est le survirage. Cette théorie va totalement à l'opposé de ce qui prévaut en automobile, où inversement, le sous-virage est synonyme de stabilité. Qu'est-ce que cela signifie en pratique ? Grossièrement, que quitte à décrocher, il est préférable sur un deux-roues de décrocher de l'arrière. Cela, l'instinct le savait déjà, depuis longtemps en TT, depuis peu sur le goudron, mais la théorie est récemment venu appuyer la pratique, notamment par des études fondamentales menées chez Michelin.

On comprend donc que les dynamiciens soient sceptiques quant à l'intérêt d'une 2 x 2. Pour eux, c'est à priori la porte ouverte aux dérobades de roue avant, sans oublier que dans leur optique, ce qu'on est susceptible de gagner en adhérence longitudinale on le perd obligatoirement en adhérence tranversale. Cependant, il faut garder à l'esprit que la stabilité n'est pas nécessairement génératrice d'efficacité. Bien au contraire les avions de chasse modernes les plus performants sont des engins notoirement instables, que seule l'électronique permet de faire voler droit, même les réflexes humains n'en sont plus capables.

Pour ne parler que d'engins terrestres, les pilotes automobiles eux aussi recherchent et exploitent savamment l'instabilité chronique de leurs autos, réglées survireuses pour favoriser la maniabilité, en l'occuernce la mise en rotation dans les courbes serrées. La stabilité, ils en font leur affaire par d'incessantes corrections au volant, sauf en grandes courbes, où ses artifices aérodynamiques permettent de retrouver l'autostabilité en rétablissant un équilibre sous-vireur. Bien que la situation ne soit pas directement comparable, rien n'interdit de penser, que deux roues motrices puissent être capables d'infirmer la théorie, en moto aussi. Surtout si l'on découvre que les avantages apportées en matière de motricité font plus que compenser les désagréments (éventuels) du principe.
La 2 x 2 vue par... l'historien
Rokon était un constructeur américain spécialisé dans les deux-roues à usage professionnel. Si les motos à traction avant sont légion dans l'histoire, celles à deux roues motrices sont nettement moins courantes. Cela tient sans aucun doute à la lourde hérédité entre le vélo et la moto, qui a dissuadé la plupart des concepteurs de placer la colonne de direction autre part que sous le nez du pilote.

Or, c'est sûr, en matière d'implantation, ce passage obligé ne facilite guère les choses. Rendre la roue avant motrice, ce n'est rien, on loge un moteur dans le moyeu (la Magola en est le plus brillant exemple), ou au-dessus de la roue (comme sur le Solex), le tour est joué. La solution est très intéressante sous un angle utilitaire, dans la mesure où elle dégage de l'espace à l'arrière pour des jambes ou des bagages (au choix).

Elle permet aussi, accessoirement, de motoriser un vélo... Non, le plus dur, c'est de rendre les deux roues motrices. On peut certes envisager la bimotorisation, un moteur à l'avant, un à l'arrière, mais l'histoire de la moto - qui ne manque pourtant pas de farfelus et huluberlus en tous genres - n'y a à notre connaissance jamais pensé, preuve que la solution est réellement très shadok !

En revanche, le moteur central a connu quelques rares adeptes, pour qui la principale difficulté consistait à digérer suspension et direction antérieures. Les trois exemples les plus connus ont, à leur manière, contourné l'obstale.

- Rokon et M.G.D. en se passant de suspension avant.
- Tomascheck en usant d'un artifice aux capacités limitées.

C'est ce qui fait tout l'intérêt de la solution Savard. Oser remettre en question la fourche télescopique , il est évident que cela arrange bien les choses... sans pour autant les rendre simples ! Et il est certain que dorénavant, les suspensions à bras superposés étant mieux maîtrisées et ne hérissant plus personne, de telles expériences vont se multiplier. Pour le plaisir des amateurs de techniques !
Rokon
Rokon était un constructeur américain spécialisé dans les deux-roues à usage professionnel. Dans les années 70, la firme a produit plusieurs motos à transmission automatique, dont ce Trail Breaker MK IV à transmission intégrale, destiné aux forestiers, pompiers, agriculteurs, etc. La disposition en était similaire à celle des frères Savard, mais facilité par l'absence des suspensions: les gros pneus de 8,50 x 12 gonflés à 250 grammes se chargeaient de l'absorption des chocs. Un unique frein à disque mécanique, sous la selle, assurait les ralentissements de l'engin, pesant 84 kilos et capable de 45 km/h avec son Chrysler 134 cm3 de 9 ch.
La SWM corrigée par Helmut Tomascheck
C'est en septembre 1981 qu'est apparue au GP d'Allemagne de trial cette SWM corrigée par Helmut Tomascheck. Celui-ci, qui en 1980 roulait déjà avec une Ossa de même conception, prévoyait à l'époque de commercialiser un kit, que nous avions détaillé dans MJ 533.

La roue avant était mue par un flexible de 12 mm de diamètre, tournant (à 70 km/h) à 10 000 t/mn pour limiter le couple à transmettre. Gilles Burgat avait alors essayé l'engin et lui avait trouvé une adhérence stupéfiante en dévers.
C'est en septembre 1981 qu'est apparue au GP d'Allemagne de trial cette SWM corrigée par Helmut Tomascheck.
Informations tirées de Moto Journal N° 843 du 28 avril 1988.
Par Didier Ganneau. Photos D. G. et J.A. Museau.
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