La sortie, c'est par là ! L'histoire de Victoria
Victoire et décadence
La plus connue des Victoria demeure la 350 Bergmeister animée par un V-twin et une transmission par arbre et cardan. Ici un modèle de 1955 restauré par Moto village. (Photo Didier Ganneau) Dans un article consacré à l'ex-Allemagne de l'Est (Moto Journal N° 938), nous avions déjà parlé de l'histoire mouvementée du couple EMW-BMW ; C'est l'exemple le plus frappant des déchirements que connut l'histoire motocycliste germanique. Mais il est loin d'être unique en son genre. La génèse de Victoria est un condensé de l'histoire Allemande de la moto. Tous les plus grands noms de marques et d'ingénieurs s'y retrouvent.

Créée à Nuremberg en 1886, la firme Victoria est l'un des constructeurs Allemands les plus anciens. Max Ottenstein et Max Frankenburger en furent à l'origine. Cette entreprise débuta, comme beaucoup de ses consoeurs, en fabriquant des cycles. En 1899, elle se lance dans la fabrication de motos en montant des moteurs Zedel, FN, Minerva et Fafnir dans des cadres de sa propre fabrication.

La 4,5 PS de 1904 témoigne de l'époque où Victoria ne fabriquait encore que des partie-cycles. Son moteur est probablement un Fafnir à admission culbutée et échappement latéral. (Photo Didier Ganneau) Après le premier conflit mondial, Victoria change de partenaire et monte des moteurs BMW dans ses cadres, ce sont les motos KR2 et KR3 produites entre 1923 et 1927, équipées d'un moteur de 496 cm3 qui développait 12 chevaux à 3500 tours. Pour que le travail sur le flat-twin soit encore plus parfait, Martin Stolle, ingénieur chez BMW, passe chez Victoria. La firme de Nuremberg fit évoluer ce moteur BMW dans ses propres ateliers en une version 600 cm3. Ce flat-twin, placé dans le sens de la route, fut surnommé "le maître des montagnes", Bergmeister dans la langue de Goethe.

Nombre de compétitions remportées par cette machine ne trahiront pas ce nom. En équipant ses motos de compresseurs, Victoria connut d'ailleurs d'importants succès en compétition. Un marché qui compte pour les constructeurs est celui des véhicules militaires. Et là aussi les motos Victoria ne trahirent pas leur réputation de solidité. la Bergmeister fut acquise par l'armée Allemande, de même que la KR 35 produite vers la fin des années 30. Cette moto était un deux-temps mono-cylindre de 342 cm3 développant 20 chevaux à 5000 tours et il était conçu sur la base d'un bloc moteur Horex-Colombus. Après la guerre, Victoria redémarre en produisant des moteurs auxiliaires de 38 cm3 pour vélos. C'est avec ce type de petit moteur qu'une autre firme Allemande est devenue célèbre. DKW, l'ancêtre de MZ, fabriqua en 1921 un tel moteur auxiliaire de 2,5 chevaux. En plus de sa fiabilité, de son coût peu onéreux et de ses qualités mécaniques, ce petit DKW sut sentimentalement s'attacher plus que les coeurs de ses propriétaires.

La 500 KR1 de 1921 utilise un flat-twin BMW disposé dans le sens de la marche comme sur les premières machines de la firme bavaroise. (Photo Didier Ganneau) En effet, on devait fixer ce moteur sur le porte-bagages de son vélo, juste derrière la selle, et une fois mis en marche, il aidait ainsi à pallier les faiblesses des jambes humaines. Ayant une petite tendance à chauffer, il devint vite célèbre sous le nom de "chauffe-fesses". Un moteur qui chauffa les fesses de tout un peuple, car en trois ans, il s'en vendit plus de 30 000 exemplaires. Chiffre énorme pour l'époque.

Mais revenons à Victoria. En 1948, la production de motos reprend. D'abord avec des deux-temps. De vieux modèles d'avant-guerre sont remis sur les tables à dessins, puis sont refabriqués. Même si les motos sont au début en retard par rapport à la concurrence, le nom de Victoria reste synonyme de robustesse. En 1953, les quatre-temps reviennent à la charge. Et la Bergmeister ressort des tiroirs, mais cette fois le bicylindre est placé en V et non plus à plat comme avant-guerre.

L'ingénieur maison Norbert Riedel (un nom à retenir, car il fut l'un des plus grands ingénieurs Allemands dans le domaine motocycliste), n'avait peur d'aucune innovation et adopta sur cette machine une transmission par cardan, une fourche télescopique et une suspension arrière coulissante. Le moteur lui était culbuté et la transmission se faisait par arbre. Norbert Riedel travailla avant la guerre dans une autre firme motocycliste, également implantée à Nuremberg: la société Ardie.

De 1949 à 1952, Riedel essaya de voler de ses propres ailes et à Immenstadt-im-Allgäu, en Bavière, il tenta pendant quelques années de produire ses propres machines. Il n'y réussit pas et passa chez Victoria. Mais ses infructueux essais démontrèrent néanmoins ses extraordinaires qualités d'ingénieur, bien en avance sur son temps.
Une famille d'abeilles
Norbert Riedel un des plus grands ingénieur moto Allemand, avait conçu l'Imme avant d'aller chez Victoria en 1953. Ce vélomoteur était très en avance sur son temps: suspension avant monobras, suspension arrière de type Cantilever, pot d'échappement faisant bras oscillant, boite trois vitesses à commande au guidon... Ce merveilleux fou pensant avait produit en 1950 une machine révolutionnaire, l'Imme R 100, un vélomoteur léger sur lequel il avait adapté toutes ses idées créatives: suspension avant monobras, suspension arrière de type cantilever, pot d'échappement faisant bras oscillant, boîte de trois vitesses à commande au guidon... L'Imme pouvait ainsi monter des pentes de 20 %. Au fait, que signifie Imme en allemand ? Abeille.

Travailleuse et dure à la tâche comme... la Vespa, qui en Italien est synonyme du même insecte. 12000 exemplaires de l'Imme furent produits. Victoria fut longtemps synonyme d'innovations techniques. Pour une moto de 200 cm3 dénommée la Swing, Victoria et son ingénieux ingénieur Norbert Riedel avaient mis au point une boîte de vitesses commandée par un sélecteur électrique. En 1955, la firme sort un scooter monoplace aux performances certes modestes, mais l'engin est robuste, efficace et peu onéreux.

Dans la même ligne que l'Imme. Trois adjectifs d'ailleurs aussi applicables pour l'ensemble de la production Victoria. Ce scooter, le Nicky, ne dépasse pas 55 km/h, mais grimpe des pentes de 20 %, pèse seulement 60 kilos et ne consomme que 1,5 litre aux 100 km. Mais il est déjà trop tard, la crise européenne de la moto sonne le glas des projets motocyclistes même les plus ingénieux. En 1958, les constructeurs motos Allemands sont obligés de conjuguer leurs forces.

Comme dans le domaine de l'automobile, où l'alliance de plusieurs marques donna naissance à Auto Union, Victoria se regroupe avec DKW et Express pour former la Zweirad Union, l'union du deux-roues. Seules les petites cylindrées sont maintenues et produites sous le nom de Victoria. Mais en 1966, Zweirad Union disparaît à son tour. La fin d'une époque.
En 1923, Martin Stolle quitte BMW et réalise cette évolution de son flat-twin pour la Victoria KR2. (Photo Didier Ganneau) En 1923, Martin Stolle quitte BMW et réalise cette évolution de son flat-twin pour la Victoria KR2. (Photo Didier Ganneau)
La 500 KR 50S de 1931 utilise un mono Sturmey-Archer. (Photo Didier Ganneau) La 500 KR 50S de 1931 utilise un mono Sturmey-Archer. (Photo Didier Ganneau)
Martin Stolle, passé chez Victoria, fit évoluer la base de flat-twin jusqu'à cette version 600 cm3. Loupé technique et commercial, la 500 KR9 de 1937 est un twin semi-culbuté avec admission par soupapes latérales et l'échappement culbuté. (Photo Didier Ganneau)
Informations tirées de Moto Journal.
Par Philippe Bovet. Photos Philippe Bovet, Didier Ganneau et Alain Nicolas.
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