La sortie, c'est par là ! Ma 350 Yamaha par Katayama
Takazumi Katayama Vue de l'arrière, la Yamaha trois cylindres présente un très net déséquilibre. Les cylindres sont en effet déportés sur la gauche à cause du cylindre supplémentaire par rapport à la twin classique. Il a donc fallu se livrer à de judicieux calculs pour ajuster le centre de gravité sur cette machine. Le ciel est couvert au-dessus du circuit de Zolder, en Belgique. La température est assez fraîche, et nous attendons Takazumi Katayama qui doit venir essayer pour Moto-Presse, grâce à une autorisation spéciale de l'usine, sa 350 cm3 trois cylindres championne du monde. Dans son camping-car spécialement aménagé pour se déplacer de course en course, Takazumi arrive accompagné de sa femme.

Derrière suit le camion du service course Yamaha qui apporte la trois cylindres. La moto est prête à tourner et Francis Lothaire, le mécanicien Belge spécialement chargé de cette moto, la fait chauffer doucement. Katayama enfile sa combinaison, ses gants, son casque et enfourche la selle. Progressivement, il fait monter les régimes pour chauffer le moteur, pendant que Francis place une bande de sparadrap sur le radiateur pour permettre à la température de l'eau de monter plus vite malgré le temps frais. Soudain, Katayama s'aperçoit qu'il manque une durite de trop-plein du vase d'expansion.

Francis n'avait pas jugé indispensable d'en mettre une pour quelques tours, mais Kata est intransigeant: si on n'en met pas aujourd'hui, on finira par ne plus en mettre pour les courses ! Francis court en chercher une et au bout de quelques minutes, Takazumi est en piste. Après quelques tours menés tambour battant, il s'arrête aux stands, satisfait. La moto tourne comme une horloge, et il commence à nous en raconter l'histoire.

Construire une trois cylindres alors qu'il existait une twin ne semblait pas indispensable. Mais Yamaha préféra aller de l'avant pour contrer Harley-Davidson qui avait remporté le titre en 76. Le résultat: Yam récupère le titre cette année. Le plus curieux de tout ceci est certainement que cette machine Japonaise n'a encore jamais foulé la terre du Japon ! Ma 350 cm3 trois cylindres n'a pas été construite au Japon, mais aux Pays-Bas. C'est le side-cariste Suisse Rudy Kurth qui en a conçu le moteur, et il n'y a plus eu ensuite qu'à en descendre la cylindrée de 500 à 350 cm3. Quand je l'ai essayée pour la première fois en février 1977, il y a à peine huit mois, elle n'allait pas très vite. De plus nous avions de très gros problèmes de tenue de route, car le moteur était installé dans le cadre d'origine d'une 350 bicylindre.

Le nouveau moteur étant beaucoup plus large, cela limitait même la garde au sol. Mais en fait nos plus gros ennuis venaient de la direction trop lourde qui rendait la machine très imprécise et dure à conduire. Nous avons donc fait faire un cadre par Nico Bakker, qui s'est avéré bien meilleur. Mais, malgré tout, la trois cylindres restait peu maniable. J'en ai fait la cruelle expérience lors du Grand Prix d'Italie, où il m'était impossible de suivre les bicylindres des hommes de tête. J'ai donc décidé par la suite d'utiliser soit la deux soit la trois cylindres, selon le profil des circuits.

Et ce choix s'est par exemple avéré judicieux à Assen ou à Boro, où la twin était beaucoup plus maniable. Le moteur comporte donc trois cylindres, dont chacun a un alésage de 54 mm pour une course de 50,2 mm. Il développe 72 chevaux à 11 500 tours/minute, ce qui permet à la moto d'être plus rapide de 15 km/h environ qu'une bicylindre. Par contre, les accélérations sont comparables, et je n'ai là aucun avantage. Cela vient peut-être du fait que le poids de ma machine est plus élevé, en partie parce que je dois emmener plus d'essence, le trois cylindres consommant à peu près 20 % de plus que le twin.
Les carbus magiques
Le trois cylindres est l'arme absolue sur les circuits rapides. Mais il est trop large pour les circuits sinueux car il réduit la garde au sol en virage. Au premier plan se trouve le distributeur, très vulnérable en cas de chute. Les carburateurs Américains Lectron n'ont pas de boisseau, mais une guillotine. Ils sont difficiles à régler mais permettent par la suite une utilisation sans aucun problème. Les carburateurs sont les Lectron fabriqués aux Etats-Unis, qui ont la particularité de ne pas comporter de boisseau mais une guillotine. Ils sont très difficiles à régler, et j'ai serré un nombre incalculable de fois lors de séances d'essai et même parfois en course. Mais quand ils sont bien au point, on n'y touche plus jamais. Je ne change par exemple jamais le gicleur principal, qu'il fasse un temps splendide ou que la pluie tombe en averse !

C'est un avantage appréciable qui permet de gagner pas mal de temps aux essais. D'un diamètre de 36 mm, ces carburateurs autorisent une bonne souplesse à haut régime, et une souplesse correcte entre 6 000 et 8 000 tours. Par contre il n'y a rien en dessous, et de ce point de vue on peut dire que le bicylindre lui est largement supérieur sur les circuits sinueux. Un autre avantage de ces carburateurs est de permettre un démarrage très facile, ce qui est précieux pour les départs des Grand Prix qui se font à la poussette.

L'embrayage comme la boîte de vitesses à six rapports sont les mêmes que sur la bicylindre de série. Au début, j'avais un peu peur que l'embrayage ne puisse supporter un surcroît de puissance, mais mes craintes se sont vite envolées: il n'y a aucun problème. Le freinage est excellent grâce à deux disques à l'avant et un à l'arrière. Il est nettement supérieur à celui de la twin.
Une tenue de route imparfaite
La suspension arrière du cadre Nico Bakker est tout à fait classique et reprend les principes du cadre Yamaha de série. Par contre, si l'arrière tient bien la route, l'avant est moins efficace. Nous en arrivons maintenant au chapitre de la tenue de route, de loin le plus délicat. Après le cadre de série, la partie-cycle réalisée par Nico Bakker a apporté un peu d'amélioration. Puis nous avons commandé un autre cadre à Bakker, en utilisant les enseignements glanés en course avec le premier. Mais il semble que Bakker se soit un peu trompé dans les dimensions, ce qui fait que je ne suis pas satisfait du tout. Comme je ne tiens pas à dire du mal de qui que ce soit, j'arrêterai là ma critique. Avant chaque course, nous faisons de nombreux essais pour essayer de parfaire la tenue de route. C'est pourquoi nous testons des amortisseurs, des fourches, des réglages de suspensions et de chasse, et il m'est donc difficile de dire comme on le fait dans un essai classique si la tenue de route est bonne ou non. Cela varie en fait selon les circuits et les réglages adoptés.

Et puis un circuit comme celui de Zolder que nous utilisons aujourd'hui n'est pas l'idéal pour un essai, car il est trop court (à peine plus de quatre kilomètres) et très bosselé ! Il serait intéressant d'avoir ici une bicylindre pour faire la comparaison et déterminer quelle est la plus rapide. L'utilisation de la trois cylindres est d'ailleurs assez limitée et il est souvent nécessaire d'avoir avec soi les deux types de moto pour pouvoir faire un choix. C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle Yamaha hésite à produire une version client de cette trois cylindres.

Il faudrait que les pilotes privés puissent disposer de deux motos et du stock de pièces détachées s'y rapportant, ce qui reviendrait très cher. Disons qu'actuellement il y a une chance sur deux pour que l'usine fabrique des répliques de cette moto.
La passe de deux en 78
Katayama est toujours très méticuleux. Il surveille personnellement tous les détails de la préparation de sa moto. L'an prochain, je disposerai à nouveau de cette moto pour tenter de renouveller mon succès au championnat du monde. Elle sera alors bien sûr dotée d'un nouveau cadre, que nous allons essayer pendant l'hiver. Cette année, Yamaha me prêtait la moto, et me fournissait les pièces et un mécano pour s'en occuper.

Par contre, je devais acheter mes 250 et 750 cm3, l'usine ne m'apportant aucun soutien dans ces deux catégories. J'espère qu'il en ira différemment l'année prochaine. J'ai essayé à Anderstorp, lors d'essais privés avant le Grand Prix de Suède, la 500 quatre-cylindres. C'est une machine fantastique qui me semble faite pour moi !

Si tout va bien j'en aurai une l'an prochain, car j'aimerai beaucoup faire partie de l'équipe d'usine Yamaha ! A l'heure qu'il est, rien n'est encore décidé, mais il n'est pas interdit d'espérer !
Katayama: un forcené du travail
Pour augmenter la garde au sol, les pots ont été placés bien au centre afin qu'ils ne touchent pas quand on penche la moto dans les virages. La forme du cadre rappelle par sa géométrie celui de la 750 OW 31. Quand Takazumi Katayama fut sacré champion du monde en 350 cm3 voici deux mois, le Japon connut un soudain engouement pour les courses de motos. De partout, on cherchait à joindre le nouveau champion pour chanter ses louanges, pour le faire connaître du public, pour savoir qui était cet inconnu capable de faire briller si haut les couleurs du pays du soleil levant.

Mince, élancé, la chevelure bouclée, Katayama est d'un naturel assez ouvert. Il parle volontiers, mais reste toujours sur la réserve car il refuse obstinément de faire confiance à quelqu'un avant de le connaître bien. Pour lui, une chose passe avant tout: le travail. Et plus encore que le résultat final, c'est avant tout le travail qui occupe l'esprit de Takazumi.

Il en est d'ailleurs conscient, et l'explique comme s'il s'excusait: "tous les Japonais sont des forcenés du travail. Après la guerre, le pays manquait de tout, et il a fallu fournir un immense effort pendant de nombreuses années pour sortir du pétrin. Le travail est devenu notre raison de vivre. Comme tous les Japonais, je ne connais pas les loisirs. Je ne sais réellement pas quoi faire en dehors du boulot ! Impossible de changer de pensée. Travail, travail, travail..."

Heureusement pour lui, Katayama trouve son plaisir dans son métier: pilote de course. Son envie de courir lui est venue très tôt au Japon, alors qu'il était chanteur de rock. Il enregistra même plusieurs disques avant de se lancer dans la compétition. Mais les courses Japonaises commencèrent bientôt pour lui à devenir sans intérêt.

"Il n'y a que des courses nationales au Japon. Aucun étranger ne peut y participer. Bien que je sois Coréen, comme mes parents, j'ai toutefois pu courir parce que j'étais né et domicilié au Japon. Mais ces courses locales deviennent vite sans intérêt."

C'est alors que Takazumi va découvrir l'Europe. Champion du Japon, il se voit offrir un séjour de quelques mois et dispute ses premiers Grands Prix en 1975. Mais il doit revenir après ces brèves expériences dans son pays d'origine. La fin de l'année est passée en méditations, puis en préparatifs: c'est décidé, en 1976 il courra en Europe.

"Ce qui me faisait le plus peur, c'était les frais. Il ne faut pas chercher plus loin la raison pour laquelle peu de pilotes Japonais viennent en Europe. Ken Nemoto par exemple a dépensé l'année dernière rien qu'en trois mois 200 000 francs ! Le prix des motos et des pièces, leur transport ainsi que celui de quatre personnes (pilote, femme et deux mécanos), une maison à louer, un camion, plus des déplacements énormes car très longs, et voilà vingt briques d'envolées !"

Heureusement, ses bons résultats permettent à Kata d'équilibrer son budget. Et le voici bagarrant sur les circuits Européens, à la poursuite d'un titre de champion du monde. Bagarrant dur. Très dur même selon certains qui le jugent à moitié dingue. Qu'en pense-t-il ?

"Oui, c'est vrai, je conduis dur. Et alors ? Il faudrait savoir si je suis pilote de course ou non ! Mais attention, durement ne veut pas dire dangereusement. Ça n'a rien à voir. Durement, c'est bien. Trop durement, c'est la chute. Et je ne tombe pas plus que les autres. Alors..."

Comparer Katayama à un kamikaze n'a pas pris beaucoup de temps ! Il en rit de bon coeur:

Katayama est toujours très méticuleux. Il surveille personnellement tous les détails de la préparation de sa moto. Ici il examine la bougie que lui tend son mécanicien Francis Lothaire. "Un kamikaze est à l'origine un vent de dieu, et ce n'est que lors de la dernière guerre mondiale que cette expression a été appliquée à un être humain. A l'origine, on baptisa ainsi ces vents car ils avaient repoussé à trois reprises la flotte Chinoise alors que celle-ci n'était qu'à vingt kilomètres des côtes Japonaises. Puis on donna ce nom aux pilotes d'avion dont les réserves en carburant ne leur permettaient que de faire l'aller et pas le retour. Ils devaient donc mourir obligatoirement.

En Occident, cela semble un peu bizarre de sacrifier ainsi sa vie, mais chez nous les morts sont heureux. La mort au Japon est joyeuse. Bien sûr, tout cela a considérablement évolué avec le temps, et seules quelques personnes situées politiquement à droite conservent cette vision des choses. Je trouve ça un peu dommage car la plupart des gens ne pensent plus maintenant qu'à travailler. Mais les temps changent..."

Avec un titre de champion du monde, Takazumi voit l'avenir en rose. Il espère courir pour Yamaha l'an prochain en temps que pilote d'usine, mais rien n'a été encore décidé. La catégorie 500 cm3 surtout le tente, car c'est celle où le niveau de pilotage est le plus élevé. Et Barry Sheene est beaucoup plus estimé par Katayama que North ou Ballington. Mais un jour viendra où il faudra faire autre chose que des courses tous les dimanches:

"Quand exactement, je n'en sais rien. Sans doute quand je commencerai à m'ennuyer. Mais il est trop tôt pour faire déjà des projets. D'abord parce que je peux gagner pas mal d'argent en courant, et il me sera peut-être possible de tenter quelque chose d'important que je n'imagine pas actuellement. Ensuite parce que maintenant je me concentre sur la course à 100 % et que je n'ai pas le temps de penser à autre chose ! Mais je suis heureux en vivant pleinement dans la compétition, et je ne vois pas pourquoi j'irai me torturer l'esprit à essayer de voir l'avenir alors que le temps s'en chargera pour moi !"
Le mécanicien de Katayama:" c'est un pilote extra !"
Francis Lothaire est le mécanicien chargé de veiller sur la 350 trois cylindres de Katayama. Francis Lothaire est le mécanicien chargé de veiller sur la 350 trois cylindres de Katayama. Avant, il a préparé les machines de nombreux pilotes, dont Victor Palomo et Edmar Ferreira. Maintenant, il travaille pour le département course de Yamaha installé à Amsterdam, ce qui est une consécration pour un mécanicien.

Que pense-t-il de Katayama ?

"Les bruits les plus divers ont couru à son sujet, sourit-il. On a dit qu'il était un tyran, qu'il était très dur et parfois injuste avec ses mécaniciens, mais tout ceci est faux."

En voyant Takazumi apporter à midi un sandwich à Francis, et l'invitant à venir boire un café dans son camping-car, on imagine en effet mal un semeur de terreur !

"Il est toujours très gentil, très prévenant, ajoute Francis. Mais c'est un travailleur infatigable et il conçoit mal que les autres ne soient pas comme lui. Pour Takazumi, le travail passe en premier, même si cela signifie trois nuits blanches passées dans l'atelier. Pour un mécanicien, c'est parfois un peu dur, mais ça fait plaisir de collaborer avec un pilote comme lui. On sait qu'on ne travaille pas pour rien, et il est toujours plus agréable de se fatiguer quand on sait que son pilote fait le maximum. Et ce n'est pas tous les jours qu'on a la possibilité de travailler avec un champion du monde !"
Informations tirées de MOTO-presse N° 1 du 7 au 14 septembre 1977.
Par Ph. Debarle.
Haut de Page