La sortie, c'est par là ! Motocyclisme
Les premiers pas du Moto Club
Toute en lacets et en raidillons, la route qui mène des gorges de la Siagnole au site médiéval de Mons, l'un des villages les plus haut perchés du département varois, disparait sous une voute de verdure, au creux d'une nature apaisante. Ici tout est d'un calme virgilien. Mais soudain une violente pétarade vient troubler la sérénité des lieux, tandis que s'évanouissent les senteurs des lauriers et des térébinthes, chassés par la fumée aux relents de pétrole émanant du pot d'échappement d'une demi-douzaine de ces "engins diaboliques" ayant vu le jour quelques années auparavant dans la lointaine Albion et que l'on nomme les motocycles.

Chevauchées par une joyeuse troupe de jeunes Cannois, les machines vrombissantes se lancent allègrement à l'assaut du pays monsois qui domine de ses 800 mètres les pittoresques villages de Callian et de Montauroux, assoupis au bon soleil de Provence, que nos balladeurs distinguent en contrebas. En tête du groupe un certain Bermond et à ses côtés quelques fils de commerçants Cannois ou issus de familles aisées. Il y a là Vinsotri, Roux, Inghibert, Rospide, Pierre Nouveau (il deviendra vint-cinq ans plus tard Maire de Cannes).

A dire le vrai, leurs engins sont assez rudimentaires. On n'en est alors qu'au stade de la mise au point des motocycles et nos jeunes intrépides doivent se contenter de machines baroques de petite cylindrée, dont la roue avant est à peine plus large que celle d'un vélocipède et la roue arrière faite de caoutchouc plein. L'alimentation se fait à l'aide d'une batterie que l'on porte accrochée sur le dos et reliée au moteur par un simple cable servant à l'allumage.

Depuis plusieurs mois déjà Bermond et ses amis se retrouvent chaque dimanche, à la belle saison, pour d'agréables escapades sur les routes de l'arrière-pays. Et plus ils roulent, plus ils se grisent de vitesse, plus profonde s'ancre leur passion pour la moto, tandis que croît leur expérience, que s'améliore leur dextérité. Ils en deviennent même audacieux. Mais voilà que, parvenu sur la grand place de Mons, le petit groupe décide de tenir conseil, tout en admirant le magnifique panorama qui s'étend de Toulon jusqu'à Menton par delà les collines rougeoyantes de l'Estérel.

L'un d'eux propose tout à coup: "Dites, les copains, depuis que nous roulons tous ensemble, qu'est-ce qu'on attend pour créer un véritable club. Un vrai, comme les Niçois. Et on pourrait comme eux disputer des courses. Ce serait formidable, hein ! Qu'est-ce que vous en dites ?" Ce qu'ils en disent, c'est que tout le monde est bien d'accord et l'idée sitôt lancée est adoptée d'enthousiasme. Finies les sorties amicales du dimanche. Et vive maintenant la bagarre sur les routes, la course à l'exploit (Jusque là ces jeunes gens appartenaient au Club de la Pédale de Cannes où l'on pratiquait le cyclisme et le motocyclisme, mais pas en compétition)...
Le Sporting de la Place Massuque
Au début des années trente une scission va se produire au sein du Moto Club, à la suite d'un différend tout à fait banal, quelques uns souhaitent se lancer dans le moto-ball, d'autres s'y refusent. Les "dissidents" claquent la porte et décident de créer le Sporting Motor-Club de Cannes, dont la présidence va, ou plutôt reste, puisqu'il était déjà à la tête du Moto Club, à M. Mattiva, qui fait commerce d'horlogerie rue Georges-Clémenceau.

Immédiatement une équipe est constituée et le 8 janvier 1933 se déroule au Parc des Sports de la Bocca le premier grand choc de l'histoire du motoball azuréen. Le team Cannois reçoit le Motocycle Club de Nice, dont l'équipe commence à faire parler d'elle. Les Niçois présentent dans leurs bois l'excellent gardien Jeanneret, à l'arrière l'expérimenté Sartorio, et en attaque la triplette Martin, Lovisone, Rolland, avec Delrue comme remplaçant. De leur côté les Cannois ont fait confiance à Jean Labe pour garder leur cage, à Jean Tuson pour veiller en défense et mandaté à l'avant Joseph Saines, Louis Dotto et René Simon. On tient en réserve André Letort. Match organisé au profit des "oeuvres de bienfaisance de la Bocca" et pour lequel on a déplacé comme arbitre le président de la Fédération soi-même, M. Charpiot, dont on dit qu'il ne plaisante pas.

C'est qu'il faut non seulement tenir solidement en main les deux formations rivales, qu'aiguillonne l'ancestrale rivalité entre les tenants de la rive droite et ceux de la rive gauche du Var, mais également parce que le moto-ball n'a rien d'un jeu de fillettes. Doux euphémisme, on lit par exemple dans le règlement, annoté en toute innocence, que "si deux joueurs arrivent de directions différentes pour taper dans la balle et qu'une COLLISION APPARAIT PROBABLE, c'est le joueur en possession de la balle qui a le droit au passage".

C.Q.F.D. Mais on ne préjuge pas de ce qui se passera si la collision a bien lieu, étant donné que les joueurs n'ont d'autre protection que leurs jambières et leurs pare-tibias. Il y aura souvent de sérieux accidents et un jour même le Niçois Henri Jeanneret sortira du terrain sur une civière, atteint d'une double fracture du péroné. Mais cela n'empêche point ces téméraires de continuer à s'entre-choquer. A noter qu'on a tout de même prévu un remplaçant qui "en cas d'accident, dit le règlement, entrera en jeu au signal de l'arbitre".

Pour le reste, il est encore précisé que le ballon doit avoir 0,45 m de diamètre, que la partie se joue sur un terrain de football association, qu'il s'agira de marquer plus de buts que l'adversaire en manoeuvrant le ballon exclusivement avec le pied, que seul le gardien de buts pourra se servir de ses mains. Et après, à la grâce de Dieu.

Le public est friand de ce genre de spectacle et nombreux sont les amateurs de sensations fortes à se presser au Parc des Sports. Ce jour-là un nommé Louis Dotto va leur faire passer le grand frisson en marquant pour les Cannois l'unique but de la rencontre: 1 à 0 pour le Sporting. La première manche est pour Cannes. La seconde aussi, car quelques mois plus tard on ira "humilier" l'adversaire en passant un 4 à 1 sans appel aux motoballeurs du chef-lieu, sur leur terrain des rives du Paillon.

Par la suite les gars du Sporting Motor Club auront encore d'autres occasions de faire parler d'eux, à Hyères, à Marseille, à Aubagne, tout comme à Digne, à Valence, à Lyon ou à Macon. Mais il n'y a pas que le moto-ball et l'on s'intéresse tout autant à la course de vitesse ou d'endurance. En juillet 1933, le trio majeur Dotto, PEIRANO, Scotto s'aligne à Hyères au départ du circuit de vitesse, où jusqu'alors les Marseillais ont toujours fait la loi. Parcours difficultueux, comportant une soixantaine de kilomètres, qui impose à la fois vigilance et célérité, mais dont les Cannois s'accomodent fort bien.

Le "crack" Niçois Jacques Onda l'emporte chez les professionnels, mais Dotto et PEIRANO figurent aux premières loges chez les amateurs. Et comme Scotto, malgré quelques ennuis de machine, termine en bon rang, les Cannois mettent fin à la suprématie phocéenne et ramènent fièrement au club le beau challenge offert par le quotidien "Le Matin".
Le Moto Club refait surface
Août 1944 ! La Libération, la fin du cauchemar. Mai 1945 ! La Victoire, l'arrêt des hostilités. Le printemps revenu. Enfin !

La vie va pouvoir reprendre et peu à peu la Nation panse ses blessures. Le pays se réorganise, il va de nouveau possible d'aller de l'avant. Le sport lui aussi retrouve ses prérogatives. On se regroupe, on se compte. Le Sporting Moto-Ball est mort de sa plus belle mort, la guerre l'a tué. C'est alors que le Moto-Club de Cannes va tenter de refaire surface. Ce ne sera pas facile car pour l'instant on se heurte à un obstacle majeur, la pénurie d'essence. Bien que les combats aient cessé, le précieux carburant continue d'être rationné et chichement distribué: il faut prendre son mal en patience.

Cependant ils sont nombreux à s'être rassemblés à "La Régence" lorsque le 20 octobre 1945 on décide de "remettre çà". Tous les anciens sont là, ou presque: Denys Poirier, Alexis Maige, Albert Gastaldi, Antonin Laugery, Noël Ghibaudo, Georges Blanc, Louis Dotto, Charles Ginoux, ANTOINE ET ARMAND PEIRANO. Mais aussi beaucoup de figures nouvelles qui bien vite deviendront familières: Eugène Schultz, Georges Ghibaudo, Jean Tuson, Auguste Arnaud, Antoine Asquier, Robert Billard, Julien Seneca, Marcel Gleyze, Albert Romieu, Julien Llorca, Paul Dutron, Albert Gougassian, Marius Rivoira, les frères Antoine et Victor Gioanni, Jehan De Quay.

Et d'autres encore qui ont nom Tixier, Lanza, Chabert, Rebour, Metairy, Pouly, Peraudo, Clot-Lamy, Porte, Daza, Peretta, Kirpitch, Beyle, Derenne, les Rospide, Jean le père et Rolland le fils, etc... Avec un effectif pas loin d'être pléthorique, le club est bien décidé à accomplir de grandes choses. En tout cas, le moral y est. Seul manque à l'appel Antoine Zappa, que la guerre a marqué. Il préfère demeurer dans l'ombre et ne brigue plus aucune responsabilité. On lui trouve un successeur, M. Louis Legal, un homme d'une grande distinction qui partage équitablement son temps entre l'agence maritime qu'il dirige Quai Saint-Pierre et le sport motocycliste, son violon d'Ingres.

Pour l'assister à la vice-présidence, Alexis Maige et Albert Gastaldi, les deux vieux briscards. Au secrétariat, Denys Poirier, qui depuis longtemps a fait ses preuves et à la trésorerie Charles Ginoux, devenu définitivement Cannois après avoir porté longtemps les couleurs du Moto Club d'Hyères. Il deviendra bientôt l'un des rouages moteurs du Club, puis de la Ligue de Provence, en assumant les lourdes servitudes du secrétariat général. Quant à Louis Dotto il va continuer de se hisser dans la hiérarchie dirigeante et voici qu'on le retrouve président de la Commission Sportive, poste qui lui va comme un gant. "The right man in the right place", diraient les anglais.

Le 3 avril 1946, le M.C.C. met sur pied un véritable "meeting" de moto-cross qui a pour théâtre les carrières de Rocheville, où l'on a pu tracer grâce à la compréhension du propriétaire des lieux, M. Allavena, une piste au profil tourmenté, mais bien étudiée et convenablement aménagée. Le public est venu en masses compactes se délecter aux prouesses des champions Niçois, Dracénois, Marseillais, Avignonnais et Lyonnais, mais les Cannois, avec leurs chefs de file ARMAND PEIRANO et Jean Tuson, polarisent l'attention en cette journée de retrouvailles, qui sera d'ailleurs parfaitement réussie.

Il n'aura pas fallu longtemps pour que le sport motocycliste regagne à Cannes tout son ancien lustre et en cette même saison 1946 à la recherche de l'inédit, le M.C.C. va faire disputer en plein Boulevard Carnot ce qu'un organe régional appelle de manière quelque peu métaphorique une "course à la mort". En fait un kilomètre arrêté et les concurrents, dont certains connaissent la notoriété, devront essayer de réaliser sur la distance le meilleur temps. Quelques-uns pousseront des pointes à près de 200 km/h, et l'immense public qui là encore a envahi les tribunes ne sera pas déçu.

Au départ de ce "contre la montre" on a pu applaudir quelques champions passablement cotés: l'Italien Lovisone, le Suisse Berlie, le Belge importé de Russie Tchetveroukine, le champion de France des 250 cc Robert Braccini, le trio des "pros" Niçois Georges Monneret, Jean Behra et Jacques Onda, quant à la représentation Cannoise, elle est apparue elle aussi des plus relevées, avec en pointe l'inévitable Louis Dotto, qui semble s'être définitivement donné au side-car. Devenu professionnel, n'a-t-il pas sur sa "Motosacoche 350 cc" enlevé en l'espace de quelques mois la course de côte du Mont-Agel, la course de la Lanterne, celle des Muses, celle de Falicon, les circuits de Lyon et d'Avignon, la classique Nice-Marseille-Nice et pour faire bonne mesure l'internationale Nice-Milan et retour. Pas mal du tout comme palmarès.

D'autres coureurs Cannois présentaient également de valables lettres de créance. Jean Rospide, avec sa Terrot 175 cc, détenait le record de la course de côte des Alpilles, mais aussi de celles de la Turbie, du Val de Cuech et de la Mi-Corniche. Et avec cela triple recordman en side-car du Mont-Ventoux, de la côte du Castellar et du Mont-Chauve.

ANTOINE ET ARMAND PEIRANO, Jean Tusor, Robert Abreveux, Albert Gougassian, Jehan De Quay, Georges Schultz, Albert Romieu, Rolland Rospide, Jean Anfosso, Noël Ghibaudo et même une concurrente féminine qui n'avait pas froid aux yeux, Mme Brement, constituaient le gros des troupes Cannoises.

Le spectacle tint tout ce qu'il promettait et le bon public vibra, s'enthousiasma et trembla... de crainte qu'un chien errant ne vienne se faufiler sur le parcours, au risque de faire chuter les motards: à la vitesse folle où ils filaient sur l'asphalte du boulevard Carnot, cela eut débouché sur une tragédie.

Ces craintes étaient fondées et n'avaient rien d'une plaisanterie, tellement que les organisateurs avaient par voie d'affiches et de presse ainsi que par des appels répétés lancés par le speaker de service nettement averti que tout chien surpris à divaguer sur le circuit serait immédiatement capturé par le "ciapacan" (Ciapacan: en provençal, celui qui attrape les chiens) et dirigé illico sur la fourrière. Les toutous se le tinrent pour dit et aucun n'osa s'aventurer sur la chaussée ou même songea lever le patte au pied d'un des platanes du boulevard...

... Après ce véritable régal pour les connaisseurs aussi bien que pour les profanes, le M.C.C. tint à "varier le menu" en proposant aux Cannois et Cannetans de faire (ou refaire) connaissance avec le moto-cross, genre de compétition assez particulier car il exige un parcours tous terrains où les difficultés naturelles doivent abonder: sentiers, ravines, bosses, passages de rivière, escalades de raidillons et autres amusettes nécessitant de la part des pilotes dextérité, équilibre, vista et tout à la fois prudence et témérité.

Le 3 mars 1948, les amateurs montaient en foule vers la carrière de Rocheville de nouveau choisie comme champ d'action. Spectacle étonnant que celui de ces grappes humaines juchées sur des terre-pleins, ne perdant pas une séquence, virant de bord avec un ensemble touchant au fur et à mesure que les motards accéléraient ou virevoltaient. Des acteurs dignes d'admiration, audacieux, insouciants, véritables casse-cou, mais ne perdant jamais leur "self-control" pendant tout cet infernal ballet.

Une ronde endiablée dont sortait vainqueur ARMAND PEIRANO, qui reléguait au rayon des utilités tous ses opposants: Astree, Sabatini, Brunacci, Augert, Rottano, Aiqui, les frères René et Marcel Zandrini. Ce même ARMAND PEIRANO qui devait confirmer sa toute puissance l'année suivante et pendant encore un bon bout de temps.

Plusieurs événements d'importance marquaient le début de 1949. Tout d'abord le Club quittait la "Régence" pour venir s'installer place de la Gare, dans les locaux de la brasserie "La Taverne Royale", où l'accueillaient les sympathiques et avenants maîtres de céans MM. Antonini et Gaby Rieu.

Mais également le Moto-Club de Cannes changeait de président. M. Louis Legal ayant décidé de mettre fin à son mandat, c'est Louis Dotto, jusqu'alors responsable de la Commission Sportive et certainement le plus compétent de tous sur le plan technique comme administratif, que l'on portait à la présidence. Ainsi "un Louis chassait l'autre". Et l'actif Charly Ginoux se voyait confirmé dans sa fonction absorbante, mais primordiale de secrétaire-général, poste qu'il avait occupé jusqu'ici à la satisfaction de tous.

Enfin le club se donnait un président d'honneur tout ce qu'il y a de haut placé en la personne de l'ex-empereur d'Annam, S.M. Bao Daï, qui avait fait du château Thorenc, au pied de la Californie, sa résidence d'exil doré, et qu'on voyait souvent dans les rues de Cannes pilotant un impressionnant sidecar 1000 cc Vincent H.R.D.

Le 3 avril 1949, le M.C.C. mettait au point un nouveau "meeting" qui tenait son originalité dans sa formule: "Tout pour le cross". Non seulement les champions de la cylindrée étaient de la partie, mais on avait également fait place aux spécialistes de la course à pied et aux cyclo-crossmen.

Chez les "pédestrians" s'affrontaient, faisant étalage de beaucoup de cran, les Giorda, Sciau, Grattarola, Michel, Pentacchini, Tette, Maestrelli, Lavergne. Le cyclo-cross était l'apanage des Patuni, Codecassa, Rospide, Gauthier, Gioanni, Rovera, qui tenaient le haut du pavé dans cette discipline.

Au total une entrée en matière fort appréciée du public. Mais le "plat de résistance" fut assurément la lutte échevelée que se livrèrent les Cannois Tuson, Zandrini, Gleyze et PEIRANO, le Marseillais Tric, le Niçois Astrée, l'Anglais Zianoyan. Une fois de plus ARMAND PEIRANO mettait tout le monde d'accord...

... Il y eut aussi le Rallye-souvenir Jean Rospide, organisé à la mémoire de l'un des pionniers du motocyclisme régional. On avait pu voir ce jour-là, sanglé dans son blouson de cuir, casqué et botté comme ses semblables, un certain Francis Audibert qui, après avoir flirté dans son jeune temps avec l'athlétisme, le football et la boxe, en passant par le tour de chant, s'était mis en tête, à quarante-cinq ans bien sonnés, d'ajouter une corde supplémentaire à son arc en sacrifiant lui aussi au gout du jour, la moto.

Ordinairement, on le voyait beaucoup mieux dans un tout autre genre. C'est lui qui, micro en main, annonçait, présentait et commentait la plupart des organisations sportives régionales, avec autant de bonhommie que de volubilité. De compétence aussi.

Ce jour-là donc, il avait voulu jouer les Frégoli, changeant complètement de peau pour le plus grand amusement de ses amis du Moto Club qui doutaient fort de ses capacités de pilote. Ce qui l'avait prodigieusement vexé et quelque peu émoustillé. Et il s'était bien promis de mettre les rieurs de son côté.

Fonçant dès le départ avec sa petite cylindrée, poussant à fond la manette des gaz et n'hésitant pas à prendre les plus gros risques il s'était littéralement envolé et on ne l'avait plus revu jusqu'à le ligne d'arrivée. Qui l'aurait cru ? Et lui, tout heureux du bon tour qu'il venait de jouer, il souriait béatement en sachant qu'il en avait bouché un coin à plus d'un en mettant tout bonnement à son actif cette épreuve de 300 kms qui de Cannes menait à Gourdon, Grasse, Draguignan, Rians, Fréjus et retour vers les Allées de la Liberté. Sa Terrot 125 cc l'avait ainsi mené à bon port et de plus il ramenait au siège un joli trophée, la Coupe des Constructeurs, récompense d'une victoire d'équipe obtenue avec le concours de ses camarades d'écurie, les frères ARMAND ET ANTOINE PEIRANO...

... Bougon, grognon, râleur, rouspéteur, toujours insatisfait, il régnait sans partage sur son petit monde pétaradant, imposant à ses collaborateurs un rythme infernal. Malheur à celui qui ne pouvait ou ne voulait pas suivre, il était sur le champ désavoué et mis au rencart. Mais lui-même payait abondamment d'exemple, esprit tourmenté, carcasse inusable aussi solide que les mécaniques vrombissantes qu'il chevauchait victorieusement dans son jeune temps.

Caractère soupe au lait, mais coeur d'or et tempérament généreux sachant se démener sans retenue lorsqu'il s'agissait de rendre service à son prochain. Avec cela beaucoup de bon sens, un courage à toute épreuve qui lui permettait de toujours faire face dans les situations les plus inextricables et de foncer sans cesse, sans regarder derrière lui. Critiqué, jalousé, admiré, craint et respecté, tel était ce dirigeant d'une essence un peu particulière, dont la race malheureusement s'éteint peu à peu.

Mais la vie continuait et il en fallait bien d'autres pour abattre l'indestructible Dotto. Au fil des ans, omni-présent et omnipotent, il avait fini par s'identifier à ce point à ce club à qui il consacrait les moindres instants de son existence, que certains, avec une pointe de malice, parlaient maintenant du "Dotto Club de Cannes". Et dans le fond cela faisait plaisir à ce farouche défenseur du sport motocycliste, véritable personnage comme on n'en voit plus. Son labeur opiniâtre et son enthousiasme jamais refroidi devaient trouver un jour de juin 1970 leur juste récompense. Ce jour-là, en présence du colonel Crespin, représentant le Ministre de la Jeunesse et des Sports, Louis Dotto recevait des mains du président Rodil del Valle l'insigne d'or de la Fédération Internationale (F.I.M.).

Cela s'était passé dans des circonstances peu ordinaires, car le récipiendaire venait de réaliser un nouvel exploit. Il avait réussi à persuader le grand état-major de la F.I.M. de tenir à Cannes ses assises internationales. Les responsables avaient afflué sur la Croisette de toute l'Europe occidentale, mais aussi d'U.R.S.S., de Finlande, de Suède, des Etats-Unis, du Canada, d'Argentine, du Chili, du Pérou, d'Uruguay, du Vénézuela, du Guatémala. Formidable rassemblement des plus grands pontes mondiaux du sport motocycliste. Cette fois Louis Dotto croyait rêver.

A peu près un an plus tard le club se trouvait de nouveau en fête: le 11 septembre 1971, les motards Cannois prenaient possession d'un "home" bien à eux, une Maison de la Moto dont on espérait depuis un demi-siècle la réalisation. Durant tout ce temps, le club avait souvent changé de siège, obligé de déménager selon l'humeur du patron de bistrot qui l'accueillait. Depuis quelques années pourtant, il semblait avoir trouvé à la Brasserie du Central, rue Mimont, un coin à sa mesure. Mais il y avait un "hic". Cette artère étant bordée de nombreux immeubles résidentiels, les occupants n'appréciaient nullement les soirs de réunion - et il y avait toujours beaucoup de monde à ces assemblées - le charivari des arrivées et départs d'une horde de motards faisant ronfler à qui mieux mieux leurs mécaniques.

Cela avait créé des incidents, il y avait eu des protestations, des empoignades. Et bientôt quelques irrascibles allèrent jusqu'à déposer plainte auprès des services de police. Il ne restait d'autre solution que d'immigrer une fois de plus et si possible de se fixer une fois pour toutes en un lieu définitif. C'est alors que Louis Dotto - évidemment - parvint à dénicher du côté de l'avenue du Camp-Long, presque à la limite de la cité, une vieille remise désaffectée d'une belle superficie, cent mètres carrés au sol, dans une impasse peu fréquentée. Au moins là on ne dérangerait pas (trop) les riverains. Et une fois retapée la remise ferait un centre d'accueil presque parfait.

Seulement les locaux vétustes, les murs lépreux et la toiture délabrée nécessitaient une sérieuse rénovation. Qu'à cela ne tienne. On allait mettre la main à la pâte avec un bel empressement. Quand on est chassé de sa maison, il n'y a pas d'autre solution que d'en construire une autre. La perspective d'avoir enfin à soi un vrai toit sur la tête joua comme un stimulant. Et du président au plus obscur des membres chacun retroussa ses manches. On se mua en maçons, charpentiers, peintres, menuisiers, électriciens, décorateurs.

Le vieil hangar de l'impasse Béraud connut dès lors une activité fébrile qui se prolongea pendant plusieurs mois. Mais petit à petit le maison prenait forme, avec sa grande salle de réunion, ses bureaux et ses dépendances très fonctionnelles. On avait même prévu l'indispensable buvette et le coin des archives. Et le tout mis en valeur par des peintures aux tons aussi agréables que discrets. Vint enfin le jour tant attendu, celui où le Maire de Cannes, M. Cornut-Gentille, coupa le ruban symbolique, donnant une âme à cette Maison de la Moto qui serait un second foyer pour ces champions valeureux: le club était enfin dans ses murs.

A partir de là, beaucoup d'événements allaient se produire, enrichissant l'histoire du Moto Club de Cannes de nouveaux chapitres édifiants. Une nouvelle génération de coureurs s'affirmait au grand jour et les Etienne Delamarre, Gérard Terrier, André Kaci, Lucien Ortiz, Roger Baragatto, Richard Sangapian, Hubert Rigal, Georges Edwards, Christian Boschini, FREDERIC ARMAROLI prenaient le relais des Tomesani, Gougassian, Tuson, Gleyze, Sauvan et autres Latrille, versés dans le "cadre de réserve".

En 1972 c'était le plein renouveau avec plusieurs manifestations à marquer d'une pierre blanche. tout d'abord, après une interruption d'une douzaine d'années, la remise en route du Grand-Prix de vitesse de la ville de Cannes, ensuite l'imposant rassemblement du 23 mai mobilisant sur la place des Ecoles, à la Bocca, pour la première Concentration du Soleil, plus de 800 motards venus de tous les horizons. Enfin la fameuse course de côte de la Californie, ce qui soit dit en passant n'avait pas été du goût des résidents dont les belles villas jalonnaient le parcours.

Dix mille spectateurs payants et une armée de petits malins qui avaient oublié de passer aux guichets ceinturaient le nouveau circuit du Grand Prix de vitesse tracé dans les artères bordant les Ets Balitrand, à la Bocca, où toutes les conditions de sécurité paraissaient remplies au maximum. La vedette était allée ce jour-là à un jeune coureur Tropézien, Patrick Fernandez, vainqueur en catégorie des 175 cc après une éblouissante prestation qui avait au plus haut point enchanté tous les présents. Quelques années après, Patrick porterait la casaque du Moto Club de Cannes et offrirait sur un plateau à ses nouveaux mentors un titre de champion d'Europe.

La Concentration du Soleil devait faire date: on était venu de Hollande, de Belgique, d'Allemagne, de Suisse, d'Italie et même... de Corse. Parmi les concurrents un bon pépé de 70 ans et un gamin de 14 ans: comme quoi il n'y a pas d'âge pour la moto.

Dans la course de côte de la Californie s'étaient mis en évidence les Niçois Jean-Pierre Delmeule et Patrice Galliana, ainsi que les Cannois Georges Edwards, Roger Baragatto et Louis Chesta. Cette épreuve avait fait pas mal de bruit. Pas seulement à cause du lancinant vrombissement des moteurs lancés à plein régime, mais en raison des réactions suscitées chez tous les partisans de la quiétude, et cela se comprend. Finalement les plaignants obtinrent gain de cause et l'année suivante la course de côte, désormais interdite, émigra sous le ciel de Mandelieu, dans la montée du Grand-Duc.

Enfin l'année 1972 se singularisait encore avec un "great event" loin de passer inaperçu. A l'occasion de la sortie à Cannes du film de Jérome Lapperrousaz "Continental Circus", dont le rôle principal était tenu par le champion du monde motocycliste, le bel Italien Giacomo Agostini, tous les "fans" du "play-boy" de la moto avaient envahi la Croisette. Devant le Palais des Festivals, temple des vedettes du septième art, celui qu'on appelait "l'ange-noir" - paradoxalement entièrement vêtu de blanc ce jour-là, pantalon de serge au pli impeccable, chandail de laine à col roulé - répondait à l'assaut d'un bataillon d'admiratrices. Il avait donné la préférence à l'actrice Américaine Barbara Trentham, splendide créature blonde aux yeux pervenche, et l'avait gentiment installée sur le siège arrière de son bolide, comme s'il s'apprêtait à l'enlever pour une expédition galante.

Mais tout cela n'était que frime, simulacre, cinéma, ainsi qu'il en découle lorsque deux vedettes se rencontrent. Et puis le champion transalpin était reparti vers d'autres aventures, sportives celles-là.

1973 aussi marqua dans la vie du Club, avec la confirmation de deux jeunes talents: FREDERIC ARMAROLI et Georges Edwards. Le premier avait vu le jour à Royan, dans la Charente-Maritime, le 16 août 1953. Il avait tout juste quinze ans lorsqu'il poussa la porte du Moto Club, mais trop jeune, il n'avait pas encore la permission de conduire. aussi se contentait-il dans les rallyes et concentrations de jouer le rôle de passager sur le "tan-sad" de qui voulait bien le véhiculer.

Le jour de ses dix-sept ans son rêve, posséder un engin bien à lui, put se matérialiser. Ayant jeté son dévolu sur une Honda 350 cc FREDERIC avait économisé sou par sou l'argent gagné pendant l'été, où il sacrifiait ses vacances estudiantines pour se livrer à toutes sortes de travaux plus ou moins rémunérateurs, tour à tour livreur, manutentionnaire, plagiste, garçon de restaurant.

Dès son entrée en compétition, dans les premières semaines de 1973, il expédiait un beau pavé dans la mare, faisant lever les sourcils à ses dirigeants et méditer ses adversaires. Dans le circuit de Magny-Cours (Nièvre) comptant pour le championnat de France des 500 cc, il l'emportait sans coup férir. Et pourtant il s'était aligné face aux gros cubes avec sa Honda 350 cc de cylindrée inférieure. Son audace, sa maîtrise, sa détermination aussi avaient payé et il poussa même la coquetterie jusqu'à laisser derrière lui le tenant du titre, le Parisien Gorry.

Exploit suivi de deux secondes places dans d'autres épreuves tout aussi réputées et malaisées, le Critérium du Castellet, dans l'antre de Paul Ricard, derrière le Toulonnais Garron, puis le circuit de Nogaro, dans le Gers, suivant de près le Bordelais Borret.

Le 20 mai, à Montlhéry, il inscrivait à son actif le Critérium des 500 cc et le 27 du même mois il se classait troisième du circuit de Charade, près de Clermont-Ferrand. Le 16 juin, nouvelle victoire à Magny-Cours et une semaine plus tard, au Mans, sur le fameux tracé Bugatti, bien qu'ayant lourdement chuté la veille et tant bien que mal "rafistolé" sa mécanique endommagée, il terminait en huitième position une épreuve des plus ardues.

Pas mal pour ce garçon de vingt ans, sérieux, pondéré, intelligent, qui savait faire preuve de courage et de volonté. En quelques mois il venait de passer de l'ombre la plus totale jusque sur le devant de la scène. Mais ce n'était pas tout. Ayant additionné tout au long de la saison des points précieux pour le titre national, il ne lui en manquait que quelques-uns pour accéder à la première place du podium: ce serait bientôt chose faite.

Restait à disputer un nouveau critérium sur la piste de Nogaro. Pour être sacré champion, il se devait de gagner au moins l'une des deux manches. Ce fut pour lui l'occasion de remplir jusqu'au bout sa mission, sans défaillance: avec une suprême élégance il mettait les deux manches à son actif. Alors qu'il venait à peine de célébrer son vingtième anniversaire, FREDERIC ARMAROLI se parait d'un titre de champion de France en circuit fermé et une carrière prometteuse s'ouvrait devant lui...
Quelques photos d'Antoine Peirano
La Fabuleuse Histoire du Sport Cannois (Tome II).
Synergie Editoriale Des Auteurs Indépendants pour le Comité des Sports de la Ville de Cannes.
1 boulevard Victor Tuby - 06400 Cannes
ISBN 2-906663-00-X (Edition complète)
ISBN 2-906663-01-8 (Tome I)
ISBN 2-906663-02-6 (Tome II)
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