La sortie, c'est par là ! 500: le complexe Français
Les pilotes Français brillent dans toutes les cylindrées sauf une: celle des 500.
A l'heure où la catégorie reine s'affirme de plus en plus, sauront-ils combler leur retard ?
Pendant de longues années, les pilotes Français ont été légèrement en retrait des podiums des GP. Ravel, Appietto, Auréal, Tchernine, Bourgeois autant de noms qui ont comblés la période précédant le démarrage du sport motocycliste tricolore. Puis vint Patrick Pons.
Le phénomène Pons
Michel Rougerie. De gauche à droite: Christian Sarron, Bernard Fau, Patrick Pons. Après sa victoire en 72 en coupe Kawasaki, Patrick Pons se lance à fond dans la carrière de pilote professionnel. L'importateur Yamaha, Jean-Claude Olivier, fournit armes et bagages au champion naissant. Le tandem Pons/Sonauto résistera à toutes les tempêtes, connaîtra des hauts et des bas pour en arriver à la consécration suprême: le titre de champion du monde en 750 l'année dernière. Derrière la locomotive Pons, leader incontesté de la nouvelle vague de la vitesse, les wagons s'accrochent les uns après les autres alors que Michel Rougerie, prend son allure de croisière lancé sur d'autres rails qui le conduiront lui aussi à la renommée internationale.

Olivier Chevallier puis Gérard Choukroun, Hubert Rigal, Bernard Fau, Boinet, Soussan, Estrosi, Meilland, Plisson, Hutteau, Guignabodet et Patrick Fernandez, autant de "privés" qui annoncent un renouveau extraordinaire, une pépinière de pilotes doués reflétant le fabuleux engouement que connaît la moto en France. Quelques temps après, les tricolores hantent toutes les cylindrées s'approchant bien près de la consécration, seule une classe ne voit pas le rouleau compresseur Français suivre son chemin: les 500 ! Cette catégorie que l'on baptise catégorie "reine" attire tous les regards. Roberts, Sheene, Ferrari, ces noms font oublier ceux de Read et du "maître" Agostini.

Michel Rougerie et Bernard Fau se débattent avec plus ou moins de bonheur au milieu des Anglais, Américains, Italiens, Hollandais et autres. Le niçois Christian Estrosi se mêle à la bataille mais lui aussi connaît de bons moments et de moins bons ! Franck Gross, le petit dernier, à 22 ans se lance sans complexe en fin de saison 79 dans l'enfer des GP 500. Les Français sont là mais il manque l'étincelle qui jaillit en 50, 125, 250, 350 et 750. Avant d'analyser le cas des Français face aux 500, il est intéressant de savoir pourquoi les pilotes de notre hexagone se sont manifestés avec tant de force.
Le phénomène Français
Patrick Fernandez. Le championnat de France réservé aux coureurs ayant "gagné" leur licence internationale, est pauvre, très pauvre ! Les jeunes inter doivent donc s'accrocher pour réaliser leur passion ; une seule solution s'offre à eux. Il faut sortir de nos frontières, participer à toutes les courses dans tous les pays. Les GP sont presque inaccessibles, les engagements durs à obtenir et seuls les pilotes confirmés sont sûrs de prendre le départ. Les Français, s'ils n'ont réussi à se faire tout de suite un nom comme Pons ou Rougerie, doivent se battre.

Ainsi, les espoirs Français ont écumé nombre de circuits de seconde zone avant d'accéder à la grille de départ de ces fameux GP ; sans compter les multiples déplacements pour rejoindre le Continental Circus et les longs palabres pour briser la méfiance des organisateurs des courses comptant pour le championnat du monde, palabres souvent inutiles ! Moralité, les jeunes pilotes Français qui restent actuellement en piste ont un caractère forgé dans l'acier le plus dur. Ils ont tout connu: les déceptions et les joies, le plaisir de prendre un départ de plus et l'abattement en regardant les "grands" s'élancer. L'Angleterre est une terre d'asile pour nombre de pilotes voulant se faire connaître.

L'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la Hollande, autant de pays où pour une prime de départ couvrant à peine les frais de route un pilote peut participer, sans chercher ni gloire ni honneur, juste pour grimper lentement dans la hiérarchie mondiale, en espérant que pour le Grand Prix "ils" se souviendront de lui ! Fau, Soulas, Soussan, Saul, Meilland, Gross, Bolle, Rastel, Terras et d'autres encore ont alignés les kilomètres dans toutes les directions pour avoir le droit de se mettre au côté des Pons, Rougerie, Chevallier.

Ce qui ne veut pas dire que les Français les plus connus entre 74 et 78 n'aient pas eu de périodes de vache maigre ! Maintenant, ceux qui ont su et ont pu s'accrocher, commencent à récolter le fruit d'un dur travail. Ils sont nombreux et le niveau de pilotage des Français est de très bonne qualité mais aucun n'a pu s'introduire dans le cercle très fermé des écuries officielles Japonaises, celles qui font et défont les champions du monde !
Made in England
Barry Sheenne et Virginio Ferrari. Pour les Japonais, la moto c'est l'Angleterre. Nous savons pourtant que la Grande-Bretagne n'est plus ce qu'elle était mais le Japon ne l'a pas compris ! Ainsi trois des quatre services courses des usines nippones sont installés en Angleterre ; Suzuki, Kawasaki et Honda laissent Yamaha faire bande à part à Amsterdam en Hollande. Conséquence de cette implantation: les pilotes d'usine sont très souvent Anglais ou de toute façon anglo-saxons (Australiens, Sud-Africains ou Néo-Zélandais).

Barry Sheene pilote d'usine, quoi de plus normal, mais certaines nominations au poste le plus envié des parc-coureurs sont peu justifiées surtout que le réservoir Britannique n'est pas à un niveau comparable au réservoir Français. Il existe donc bien un barrage Anglais pour les tricolores. De plus, les importateurs de notre hexagone n'ont pas eu les mêmes réactions que leurs homologues. Suzuki-France n'a pas de politique précise en GP et Michel Rougerie n'a du qu'à son entêtement la chance de piloter en de rares occasions une machine d'usine.

Honda-France s'est rendu maître de l'endurance mais Christian Léon n'a pas vu se réaliser un rêve qu'il devait sûrement caresser secrètement: être au guidon de la nouvelle 500 de GP, Kawasaki-Sidemm a toujours été dans la course mais ses efforts ont porté principalement sur l'endurance au détriment de la vitesse, ce que les Anglais n'ont pas laissé passer ! Seul Yamaha-Sonauto a vraiment pris la vitesse à bras le corps avec les résultats que l'on connaît et Christian Sarron s'est retrouvé au guidon d'une 500 d'usine mais le jeune clermontois n'était pas alors au mieux de sa forme. Une seule machine d'usine pour six ou sept pilotes pouvant postuler aux titres mondiaux c'est peu, surtout que cette machine fut une 500, catégorie où les Français ne sont pas légion.
Formule Un
Hervé Guilleux. Il est donc raisonnable, au vu des résultats tricolores l'année dernière, d'espérer pour l'un ou plusieurs de nos meilleurs représentants un guidon officiel. Mais il semble bien que la catégorie des 500 cm3 devienne le point de mire unique des usines donc des spectateurs et bien sûr des pilotes ! Les places vont devenir très chères. Christian Estrosi, Franck Gross, Hubert Rigal, Rodre et d'autres encore font figure d'outsiders sérieux mais ils seront, comme les précédents, derrière les pilotes d'usine disposant de motos plus rapides.

En effet, tout tend à rendre les cylindrées 50 et 350 presque moribondes. La Fédération internationale a même projeté de les barrer purement et simplement de ses tablettes ! La bagarre entre les usines Japonaises s'est déroulée cycliquement ; en 50, 125 et 250 au milieu des années 60 pour se terminer par les 500, puis trois des quatre grands se retirent de la compétition. Le début des années 70 sera marqué par l'hégémonie Yamaha, Suzuki revenant en 75 en 500, Kawasaki porte son effort sur les moyennes cylindrées en 78 et 79 puis Honda arrive l'année dernière avec sa 500 quatre temps.

Quatre marques, quatre motos différentes, la lutte va être chaude ! Maintenant, seules les 500 comptent. Le problème est qu'aucun Français ne s'est vraiment affirmé dans cette cylindrée et dans un premier temps, ils seront absents de la composition des écuries officielles. Nous en arrivons donc à une situation relativement similaire à celle de l'automobile. Une catégorie dominant les autres, une sorte de Formule Un moto, et puis des catégories secondaires.
L'avenir
Franck Gross. Que vont faire les Français ? Michel Rougerie est un habitué des 500 cm3. Mais il attend encore une moto d'usine et peut-être sa motivation va-t-elle s'amenuiser alors que les écuries officielles se mettent lentement en place ! Bernard Fau s'est illustré dans cette catégorie l'année dernière avant de décrocher en milieu de saison, manquant par trop de moyens.

Fau risque de suivre cette année encore la même voie et parle même de se retirer s'il estime ne pouvoir défendre ses chances de manière sérieuse. Christian Sarron disposera cette saison: de la nouvelle 500 Yamaha compétition-client. Il devra alors se servir de tout son talent pour garder le contact avec les motos d'usine. Patrick Pons aura lui aussi une 500 Yamaha compétition-client. Sa hargne légendaire ajoutée à l'émulation provoquée par la présence de Roberts, Ferrari, Sheene et autre Ballington peuvent nous réserver de bonnes surprises.
Problème
Christian Estrosi. Nous avons donc là affaire à des pilotes s'étant déjà frottés aux 500 cm3 ou aux 750 cm3 ; il semble bien que cette notion de supérieure, égale ou inférieure à 500 soit importante. Patrick Fernandez par exemple est classé comme pilote de moyennes cylindrées, c'est-à-dire 250 et 350 cm3. Son passage en 750 n'est pas resté dans les mémoires même si ses motivations pour cette cylindrée n'étaient pas à l'époque celles qu'il connaît actuellement pour les quart de litres et cylindrées avoisinantes.

Que donnerait Patrick Fernandez en 500 cm3 ? Il n'est pas question de différencier le talent de Fernandez de celui d'un Roberts ou d'un Ferrari mais plus de savoir si les pilotes formés sur des motos légères et disposant d'une puissance de l'ordre de soixante chevaux pourront facilement passer le cap et retrouver toutes leurs qualités sur des motos plus lourdes et nettement plus puissantes (+ de 100 ch). Il en va de même pour le quadruple champion du monde 250/350, Kork Ballington qui s'engage dans une saison difficile avec d'une part la découverte d'une catégorie nouvelle pour lui avec des adversaires qu'il connaît peu ou pas et d'autre part une Kawasaki 500 toute neuve et qui fera cette année sa première apparition.

Rude tâche pour le Sud-Africain ! Rude tâche également pour tous ceux qui franchiront la même marche. Il n'y a donc pas un mais plusieurs problèmes qui se posent aux pilotes Français s'ils veulent réussir leur examen de passage. Inutile de compter sur les protagonistes habituels, la course n'est pas une partie de plaisir et ils ne les attendront pas !
Le tournant
Hubert Rigal. Cette saison 1980 peut être d'une importance capitale pour nos couleurs. Ne pas prendre au sérieux la prédominance marquée des 500 sur les autres catégories serait une erreur à brève échéance ; un pilote professionnel ne peut se permettre de disparaître de l'actualité et l'actualité va sans doute être envahie par ces fameuses 500 ! Tout le travail de fond réalisé par les pilotes Français depuis quatre ans peut tout simplement devenir inutile ; alors reste maintenant à se remettre une fois de plus à l'ouvrage sur une cylindrée où les places seront très disputées.

Comment ne pas penser au formidable goulet d'étranglement formé par une catégorie unique où chacun voudra figurer ? Comment ne pas penser à la longue marche des pilotes automobiles qui doivent gravir quatre à cinq échelons pour accéder à la Formule Un en passant d'abord par une formule de promotion, puis par une autre coupe de promotion mais cette fois-ci monoplace puis la F 3, la F 2 et enfin la F 1. Mais combien sont-ils les privilégiés du Grand Cirque à quatre roues: une vingtaine ? N'y a-t-il pas en France, deux dizaines de pilotes espérant être de la fête ?

Car la fête, depuis plusieurs années et il faut l'espérer pour encore quelques autres, est grande et belle accueillant un nombre important de participants. Sept catégories avec les side-cars, c'est sept chances de réussir, sept chances de se faire plaisir ; s'il n'en reste qu'une, que deviendront les Français ! Ils seront quelques-uns à tirer leur épingle du jeu mais les autres, ceux qui n'ont pas voulu ou n'ont pas pu (les 500, catégorie coûteuse, très coûteuse) être de la partie, regrets éternels et direction l'oubli...
Complexes
Nous ne sommes pas habitués à mélanger les noms de nos pilotes à ceux qui font la une des journaux spécialisés ou non. Il ne faut pas se faire d'illusions ; Robert Sheene, Ferrari, Hartog, sans oublier Uncini, Rossi, Mamola, que pensent-ils de la menace Française. Pour le moment, rien...!

Tout reste à faire et en premier lieu que les pilotes Français abordent la saison sans aucun complexe ; complexe de l'étranger, complexe des 500, complexe des motos d'usine, il faudra oublier, faire le vide et repartir de zéro. Ce n'est qu'à ce prix que la France reviendra alors à son juste niveau, mais nous n'en sommes heureusement pas là et les moyennes cylindrées sont encore tranquilles pour cette année mais attention, l'ogre 500 a les dents longue !
Informations tirées de Motoplay N° 1.
Texte François Gomis. Photos Gomis / Canon, D.P.P.I.
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