La sortie, c'est par là ! Leslie Graham
Champion de père en fils
La descente de Bray Hill est l'un des très nombreux passages difficiles du Tourist Trophy. Lorsque les machines l'abordent, on entend leur moteur tourner au régime maximal et s'emballer à cause des pertes d'adhérence de la roue motrice, dues aux irrégularités de la chaussée. A la fin de cette interminable descente, les machines butent presque au pied de la montée et les suspensions talonnent en fond de course. Leslie Graham, ex-pilote de la R.A.F., en avait vu sans doute bien d'autres à bord de son avion de chasse pour avoir peur des soubresauts de sa machine sur cette portion du circuit.

C'est donc sans l'ombre d'une hésitation qu'il s'élance à tombeau ouvert sur sa MV 4 cylindres pour arracher quelques dixièmes de seconde à Duke et à Amm, qui se trouvent devant lui. C'était le 12 juin 1953. Les débris de la machine, que l'on récupérera après l'accident, ne permettront pas de déterminer avec certitude la cause de celui-ci. Il semble toutefois qu'il ait été provoqué par le blocage de la fourche télescopique Earles.

Leslie Graham sur sa 350 Velocette après sa victoire au Grand Prix de Suisse en 1951. Il devait se tuer deux ans après en disputant l'épreuve des 500 du Tourist Trophy (cl. Publifoto). Graham, souffrant d'un bras à la suite d'une chute lors des essais, se trouva dans l'impossibilité de redresser le lourd bolide lancé à plus de 200 km à l'heure et alla s'écraser contre le parapet de la route. Peu de jours auparavant, il avait remporté brillamment l'épreuve des 125 sur une MV, battant Haas sur NSU, c'est-à-dire le plus dangereux de tous ses adversaires.

Leslie Graham, né à Wallasey (Grande-Bretagne) en 1911, était vraiment un pilote complet. De petite taille, très râblé, il avait un visage ouvert, des manières très courtoises, un grand courage et une remarquable compétence technique. Il débuta à dix-sept ans sur une JAP 350, qu'il abandonna pour une Rudge, délaissée à son tour pour une Supreme, mais les débuts de sa carrière ne furent pas particulièrement brillants, malgré une participation assidue aux épreuves d'avant-guerre.

Après le conflit, durant lequel il servit comme lieutenant de la R.A.F., Graham entra en 1947 dans l'équipe officielle A.J.S. et pilota la 350 monocylindre de la firme ainsi que la nouvelle bicylindre 500 appelée "Porc-épic" à cause des ailettes dont étaient hérissées les culasses. Cette moto s'améliorait de course en course. Après une neuvième place obtenue au Tourist Trophy de 1947, elle devient tout à fait compétitive et se trouve parfaitement au point en 1949, au moment de la création du Championnat du monde.

C'est en selle sur cette moto que Graham tient tête aux Norton au Tourist Trophy jusqu'à 2 kilomètres de l'arrivée, c'est-à-dire jusqu'au moment où des ennuis de magnéto le ralentissent et l'obligent à laisser la victoire à Daniell. Il prendra sa revanche à Berne, où il s'imposera devant la Gilera 4 cylindres d'Artesiani ; sa saison se poursuit par une deuxième place à Assen, entre 2 Gilera, celles du vainqueur, Nello Pagani, et du troisième, Artesiani. Vainqueur en Ulster, il est sixième à Monza, après avoir été victime d'une sortie de piste pour éviter Bandirola, tombé à la sortie d'un virage.

Leslie Graham en 1951 dispute un Grand Prix sur une 350 Velocette (cl. Quattroruote). Il réussira néanmoins à remporter le titre de Champion du monde, avec un seul point d'avance sur Nello Pagani. Cet avantage si faible sera à l'origine de longues polémiques portant sur les dispositions contestables du règlement alors en vigueur. D'après celui-ci, en effet, le point d'avance de Graham sur Pagani avait été acquis sur le circuit du Bremgarten comme récompense attribuée à l'auteur du tour le plus rapide ; en réalité, ce tour avait été réalisé par Frend, mais le règlement ne prenait pas en considération la performance effectuée par un coureur qui s'était retiré, comme c'était justement le cas de Frend.

Nello Pagani se consola avec le titre de la classe 125, et Leslie Graham eut ainsi l'insigne honneur d'être le premier champion du monde dans la classe 500. En 1950, l'A.J.S. Porc-épic n'est plus comme l'année précédente à la hauteur des Norton et des Gilera, qui ont fait de notables progrès. Cela n'empêchera pas Graham de s'imposer, aussi bien dans la course des 350 que dans celle des 500, dans un Grand Prix de Suisse disputé sous la pluie. Ses autres résultats de la saison sont une quatrième place au Tourist Trophy, une deuxième place à Monza, dans l'épreuve des 350, où il est battu au sprint par Duke, et encore une quatrième place au Tourist Trophy et une deuxième en Ulster dans la classe 500, derrière le même Duke. A la fin de cette saison-là, Graham entre chez MV Agusta, qui cherche précisément un homme de sa trempe pour mettre au point ses asthmatiques 500 4 cylindres.

Graham fut engagé par MV en 1951 ; on le voit ici pendant le Grand Prix d'Italie en 1952 (cl. Farabola). Le pilote Anglais conserve toutefois la liberté de courir pour Velocette en 350 ; sur cette machine, il est vainqueur en 1951 à Berne et deuxième au Tourist Trophy, remporté par Tommy Wood sur Moto Guzzi. Sous les couleurs de MV, en revanche, il n'obtient aucun résultat notable dans la classe 500 et termine troisième à Assen avec la 125. Mais les efforts déployés par Graham porteront leurs fruits en 1952, et la 4 cylindres MV deviendra dangereuse pour les Gilera et les Norton officielles.

Graham termine deuxième du Tourist Trophy, très près du vainqueur Armstrong sur Norton, quatrième à la Solitude, premier à Monza et premier en Espagne, devançant dans ces deux dernières circonstances Umberto Masetti, qui sera le vainqueur du Championnat du monde avec la 4 cylindres Gilera. Toujours en 1952, Graham court dans la classe 250 et termine troisième à Berne sur une Benelli, quatrième au T.T. et troisième en Ulster sur une Velocette.

Dans la classe 125, sous les couleurs de MV, il est troisième à Monza et deuxième à Barcelone, derrière la Morini de Mendogni. Et nous voici à la fatidique année 1953, qui verra la fin de la carrière de Leslie Graham dès la première épreuve de Championnat à l'Ile de Man: victorieux dans la classe 125, il périra tragiquement lors de la course des 500 dans les circonstances que nous avons relatées. Bien des années plus tard, le nom de Graham retentira de nouveau sur les circuits, puisque son fils, Stuart, a décidé de suivre l'exemple paternel. C'est un jeune homme fluet et réservé, qui fera beaucoup parler de lui en 1966 et en 1967, avant d'abandonner la compétition. En 1966, en effet il réussit à inscrire son nom au palmarès du Tourist Trophy, où il s'installe à la deuxième place avec sa Honda 250, derrière Hailwood ; il est ensuite quatrième au Sachsenring et deuxième à Monza, derrière Hailwood, qui domine pratiquement toutes les courses de championnat de la saison. Rappelons le magnifique duel qui opposa Stuart et Renzo Pasolini dans l'épreuve des 350 à Assen, le premier sur une A.J.S, comme son père, l'autre sur une Aermacchi.

Dans le sprint final, Pasolini terminera troisième et Graham, quatrième. Toujours en 1966, Stuart termine quatrième à Hockenheim, cinquième à Assen et deuxième en Belgique derrière Agostini, sur une Matchless 500. En 1967, il est engagé par Suzuki: dans la classe 50, il sera troisième à Clermont-Ferrand, premier au Tourist Trophy, troisième en Belgique et deuxième à Fisco au Japon.

En 125, le titre est conquis par Bill Ivy, mais Graham remporte de remarquables succès: vainqueur à Imatra, deuxième au Tourist Trophy, en Tchécoslovaquie, troisième en Hollande et en Ulster. Mais, en 1968, découragé par la difficulté de trouver des machines suffisamment compétitives, Stuart Graham met fin à une carrière déjà brillante et qui s'annonçait très prometteuse. Il était âgé seulement de vingt-six ans puisqu'il était né en 1942 à Nantwich, dans le Cheshire (Grande-Bretagne).
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