La sortie, c'est par là ! En mémoire de Jarno et Paso
Le 20 mai 1973
Renzo Pasolini avait une tête de prof de sciences nat un peu farfelu. Il était la gentillesse incarnée. Quel contraste avec sa fougue au guidon d'une moto ! Saarinen, fou de joie, vient de gagner au Nurburgring en 350 cm3. C'est la première défaite d'Ago en 72, il fait une drôle de tête. Le troisième était Kanaya. Le 20 mai 1973, Jarno Saarinen et Renzo Pasolini se tuaient sur le circuit de Monza. Cet date marque une rupture dans l'histoire des championnats du monde car les pilotes commencèrent vraiment à se battre pour leur sécurité après cet événement funeste. Le Grand Prix d'Italie 1973 sentait la poudre. Les pilotes Italiens sur des motos Italiennes étaient en mesure de remporter trois courses: Renzo Pasolini sur ses Aermacchi en 250 et 350, Walter Villa sur Benelli en 350 (le grand retour de cette marque) et surtout Agostini sur MV en 350 comme en 500. "Ago" et "Paso" portaient tout le poids du Grand Prix car ils devaient contrer l'incroyable Saarinen et ses Yamaha, grands dominateurs du début de saison.

La course des 350 avait été animée par les trois Italiens. Au départ, les MV de Read et d'Agostini, étaient en tête mais avaient été rejointes par Pasolini et Villa. Quatre motos Itaiennes en bagarre, du délire. Pasolini avait signé le record du tour à 200 km/h de moyenne mais avait abandonné, boîte de vitesse cassée. Read avait aussi cassée et Agostini l'avait emporté. Walter Villa allait finir cinquième, après un arrêt au stand à l'avant-dernier tour car le moteur marchait mal. Sa Benelli, qui avait un piston çassé, perdit de l'huile sur la piste et ces traces maudites ne furent pas nettoyées. La course des 250 partait tout de suite après l'arrivée des 350.
Folie pure
Saarinen et Pasolini roue dans roue à Imatra en 1972, le champion du monde et son dauphin. Arbres et poteaux sont bien près. Monza était alors un des circuits les plus rapides du monde. Pas de chicanes, pas d'épingles, mais cinq grandes courbes et de longues lignes droites. Avec des rails de sécurité omniprésents à moins de cinq mètres de la piste, sauf dans 1a célèbre parabolique. Deux kilomètres après le départ, juste après avoir eu le temps de se lancer à fond, le paquet des 250 avec Braun, Saarinen et Pasolini en tête enquilla la "Curva Grande" qui porte bien son nom, la grande courbe.

On dit que Pasolini fut le premier à glisser sur la traînée d'huile, puis Saarinen, puis dix-sept autres pilotes dans le crash le plus apocalyptique de l'histoire de la moto. Pasolini fut vraisemblablement tué sur le coup en heurtant les rails de plein fouet. Saarinen avait tenté une manoeuvre désespérée pour se ralentir avant de chuter, mais il fut tué par une autre moto qui le percuta de plein fouet alors qu'il était en train de se relever.

Ce portrait de Saarinen, pris à Silverstone en 71, est évocateur: le vice-champion du monde prépare seul sa Yamaha TD2. Notez qu'elle est strictement d'origine, y compris le carter d'allumage de la 250 de série. Les guidons très inclinés étaient une exclusivité Saarinen, pour mieux contrôler les dérapages de l'arrière. Le choc de Monza fut immense et créa les conditions indispensables à l'évolution de la sécurité en Grand Prix, même s'il a fallut encore beaucoup d'années pour qu'elle devienne satisfaisante. Les mesures immédiates furent la création du tour de reconnaissance avant le départ et une protection accrue des rails, puis leur élimination progressive. La création de circuits modernes accéléra la disparition des circuits naturels, généralement rapides et bordés d'obstacles. Le prix à payer pour créer la rupture nécessaire à l'évolution des Grands Prix fut exorbitant: deux morts, et non des moindres, un champion Italien renommé et, surtout, l'étoile filante des championnats du monde, le surdoué absolu qui se rencontre une fois par génération, Jarno Saarinen.

Jarno Saarinen créa une surprise colossale dans les Grands Prix en un temps très court. Passé inaperçu en 1969, il se fit remarquer début 70 par ses performances en 250 avec une TD2 Yamaha qu'il préparait lui-même. A mi-saison, il dut rentrer en Finlande pour passer un examen final clôturant ses études d'ingénieur. Il était déjà assuré de la quatrième place au championnat du monde. En 1971, il effectue donc sa première saison complète en Grand Prix, avec le soutien de l'importateur Yamaha en Finlande.

Il remporte ses premières victoires et termine troisième en 250 et deuxième en 350 cm3. En fin de saison, à Oulton Park ou à Silverstone, il réalisa quelques courses inouïes qui le firent déjà aimer des Anglais. Mais sa réputation était encore confidentielle.
Saarinen le glorieux
Jarno Saarinen avait réussi l'exploit de susciter affection et admiration. Cromwell et lunettes pour cette image prise à Assen en 1970, première année où il se fait remarquer. Le début d'année 1972 fut absolument fantastique: Saarinen bat coup sur coup Agostini et sa 350 MV Agusta réputée invincible sur les deux plus difficiles circuits du monde, le Nurburgring et Clermont-Ferrant. L'habileté du Finlandais sous la pluie est démoniaque. Chez MV, on se met à douter d'Agostini et on embauche Phil Read pour contrer la menace de Yamaha.

Jarno et Soili Saarinen, le couple adulé des Grands Prix vivait protégé par le clan des Finlandais et se mêlait peu aux autres pilotes. En bon nordique, il était capable de s'écrouler ivre-mort à chaque fois qu'il fêtait une victoire. Saarinen dispose en effet de motos d'usine à refroidissement liquide, derivées des TD2 et TD3. Les Italiens construisent à toute vitesse une nouvelle quatre cylindres MV qui, dès le GP d'Autriche va se montrer supérieure à 1a Yamaha. Saarinen ne remportera qu'un autre GP en Tchécoslovaquie et devra se contenter de la deuxième place au mondial, derrière Ago. En 250 par contre, il en va tout autrement: Yamaha a prévu de donner une moto d'usine à Gould, Sheene, Kanaya et Saarinen. La menace principale vient des Yamaha privées de Braun ou Phil Read, et surtout de l'Aermacchi de Pasolini, mise au point en 71.

Très vite, Sheene est hors du coup (ce sera le seul faux pas de sa carrière) et malgré deux victoires chacun, Gould et Pasolini cèdent à mi-saison à la pression d'un Saarinen incroyablement sûr de lui et dominateur. Trois victoires successives en juillet, suivies d'une autre en août viennent s'ajouter à cinq podiums pour lui attribuer le titre dès l'avant-dernier GP de la saison.

En moins de deux mois, Saarinen a pris une dimension mythique, rien ne lui résiste et sa baraka lui permet d'ajouter une série impressionnante de victoires en catégorie illimitée dans les classiques Anglaises de fin de saison, dont la célébrissime Course de l'Année à Mallory Park. Partout où il passe ; Saarinen déclenche un ouragan. Benelli lui fait les yeux doux et lui prête une 350 et une 50O avec lesquelles il bat Agostini à Modène. On parle d'un contrat avec cette marque pour la saison 1973. En fait Saarinen sait déjà que Yamaha a décidé de s'attaquer à la catégorie 5OO et a construit pour lui une toute nouvelle quatre cylindres deux-temps.
Mortelle randonnée
Pasolini au guidon de la Benelli quatre cylindres sur un circuit en ville en 1968, entre deux murs de bottes de paille. Il fit sa réputation à Rimini, Riccione, Cesenatico, des circuits qui ne pardonnaient aucune erreur. En 1971, Pasolini effectua la mise au point de la nouvelle 250 Aermacchi twin deux-temps, un pari pour cette usine habituée aux monos quatre-temps. Cette photo a été prise à Hockenheim et le jet à visière adopté par Paso lui était caractéristique. Malgré une blessure au pied à Ontario en Californie, où il chute aux essais de la course la plus riche du monde, il effectue des essais secrets au Japon en fin d'année, juste avant de se marier avec Soili, sa compagne depuis le début, qui n'est pas pour rien non plus dans son succès. Jarno/Soili, c'est un couple mythique en Grand Prix, elle le suit partout, elle est belle, et ils parcourent le monde en amoureux dans un petit camping-car Volkswagen.

Chouchou de Yamaha, Saarinen attaque la saison 73 en catégorie 750 avec sa petite 350 fétiche, et remporte haut la main les deux courses les plus longues, les plus prestigieuses et les plus richement dotées de l'époque: les 200 Miles de Daytona puis celles d'Imola. A Daytona, il a joué placé, aidé par les casses des 750 Kawasaki et Suzuki trois cylindres. A Imola par contre, sur un tracé technique, il a ridiculisé tous les pilotes aux guidons de vraies 750, en menant la course de bout en bout.

C'est dans ce climat que démarre la saison des Grands Prix. Saarinen est survolté, la nouvelle 500 Yamaha est arrivée et, dès la première course au Castellet, l'incroyable survient: Saarinen s'impose d'entrée devant Agostini, qui chute à mi-course alors qu'il était largué. On n'avait pas vu Ago par terre dans un GP depuis 1966 ! L'humiliation continue en Autriche quinze jours plus tard où ni la MV d'Ago, ni celle de Read ne terminent la course.

Pasolini à côté d'Agostini, sur la ligne de départ du circuit d'Imola. On a du mal à imaginer combien leurs duels ont captivé les foules Italiennes et drainé des milliers de spectateurs sur tous les circuits où ils s'affrontaient. La presse les dressait l'un contre l'autre mais tous les deux s'estimaient et prenaient plaisir à s'affronter. Inutile de dire que Saarinen survole les 250: trois Grands Prix, trois victoires en France, Autriche et Allemagne. A Hockenheim, justement, sa chance tourne: alors qu'il est en bagarre avec Phil Read pour la victoire en 500, la chaîne de la Yamaha casse. Read gagne mais, une nouvelle fois, Agostini ne parvient à rien marquer. La rencontre suivante est programmée à Monza, en Italie, dans le fief de MV et d'Agostini. Saarinen veut les battre à tout prix, il travaille comme un fou aux essais, pour gagner quelques kilomètres/heures en pointe.

Il va même obliger ses mécaniciens à adapter un carénage de 350 sur la 500. L'un d'eux passera une nuit à marteler une plaque d'alu pour caréner sous le moteur. Ce week-end là, Saarinen était tendu: Monza en 500, c'est la course qu'il voulait gagner à tout prix, la victoire qui aurait humilié Agostini, Read et MV Agusta pour de bon. Car Saarinen était immensément orgueilleux et fier, au sens noble du terme. Son goût pour la bagarre s'ajoutait à sa fibre patriotique pour lui donner une motivation insensée. Il impressionnait par sa capacité à prendre des risques et à les gérer, par son approche froide de la compétition. Il avait compris la technique de glisse de la roue arrière avant tout le monde mais n'en disait rien. Il voulait aussi que le milieu moto se professionnalise. Fin 72, il avait failli quitter la compétition parce qu'il jugeait que les organisateurs exploitaient les pilotes. Nanti de son diplôme d'ingénieur, il ne s'inquiétait pas pour son avenir. La création d'un vrai team d'usine Yamaha en 1973 lui avait apporté cette dimension professionnelle qu'il désirait, avec les revenus financiers qu'il entendait tirer de la course.

Etrangement, les questions de sécurité ne semblaient pas être au premier rang de ses préocupations, et assez cyniquement, il avait laissé entendre qu'il courrait désormais pour le fric. Mais il était mythique avant même sa disparition parce qu'il avait mis fin à la domination d'Agostini, parce qu'il avait apporté un nouveau style de pilotage et une nouvelle jeunesse dans les Grands Prix, parce qu'il avait pris tout le monde par surprise. Début 73, il avait déjà un statut de star alors que, somme toute, il n'avait remporté que neuf Grands Prix et un titre mondial.

Sa disparition a figé pour l'éternité sa réputation d'homme exceptionnel. Sa carrière dominante qui s'amorçait aurait pu grossir la liste de ses records mais n'aurait pas ajouté grand chose à ce qu'il était déjà après seulement trois saisons de compétition. Un des plus grands, tout simplement.
Paso, éternel second
Difficile de regarder cette photo sans émotion: c'est le dernier départ de Saarinen (n°3) et de Pasolini (n°2). Dans quelques secondes, le crash va avoir lieu. Dieter Braun (tout au bout) peut remercier ses grandes jambes, il passera en tête dans la Curva Grande et ne verra rien de la chute. Kanaya (n°5) sera blessé comme Jansson (n°4) dont on dit qu'il percuta Saarinen. Lansivuori (n°8), Pfirter (n°32) et Villa (n°7) s'en sortiront. Petit taille, chevelure ondulée, lunettes d'écaille, Renzo Pasolini n'avait pas un physique d'aventurier risque-tout. Mais, au guidon d'une moto, il était diabolique. Choisi pour piloter les sublimes quatre cylindres Benelli après le retrait de Tarquinio Provini, blessé en septembre 66, Paso devint rapidement la coqueluche des fans Italiens car il était le seul capable de battre Agostini et sa MV. A l'époque, les courses en ville sur la côte adriatique étaient nombreuses.

Rimini, Cattolica, Pesaro, autant de parcours où l'audace de Paso déchaînait les foules. Curieusement, en Grand Prix, Pasolini ne connut guère de réussite avec les Benelli. Ainsi en 1969, malgré trois victoires, ses absences dues à de nombreuses blessures permettent à Kel Carruthers de remporter le titre des 250 sur la même Benelli que lui.

En 1970, pasolini quitte Benelli pour rejoindre l'équipe Aermacchi et mettre au point une toute nouvelle 250 twin deux-temps. En 1971, la moto s'améliore et, en 72, Pasolini réalise sa meilleure saison de Grand Prix, gagnant trois fois et finissant deuxième au mondial derrière Saarinen.

Saarinen et la 500 Yamaha à Monza. Le bas de carénage est un bricolage. J'adore cette photo, même si le cadrage surprend. On sent la recherche de vitesse que Christian Lacombe a bien su saisir. Une version 350 de l'Aermacchi (devenue Harley-Davidson) devait lui permettre de rivaliser à nouveau avec Agostini. Sa disparition à Monza ne lui laissera pas le temps de mener à terme la mise au point des Harley dont, ironie du sort, Walter Villa allait tirer parti pour remporter ses quatre titres mondiaux de 74 à 76.

Dans le coeur des Italiens, Pasolini occupe une place à part. Il a focalisé sur lui tous ceux que les victoires faciles d'Agostini et la domination des MV Agusta agaçaient. Avec Angelo Bergamonti, autre champion disparu en 1971, alors qu'il venait d'intégrer le team MV Agusta, Pasolini incarnait la fougue, la passion, face au travail et au calcul incarnés par Agostini.

Et surtout, Pasolini n'était pas une star, même si son talent était immense. C'est probablement pour cela que, face à Agostini qui forçait l'admiration, il prit naturellement la place du pilote humain qui, lui, suscite avant tout l'affection.
Informations tirées de Moto Journal.
Par Jacques Bussillet
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