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A tout Seigneur, tout Honneur |
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Xavier Maugendre, père de Kawasaki en France, vient de quitter la scène de la moto. Nous avons voulu lui rendre hommage et retracer quinze années consacrées à une marque. |
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Mercredi 5 mai 1982. A bord d'un Gallion amarré dans le bois de Boulogne, des gens. Vu de l'extérieur, une soirée, une fête comme une autre. A l'intérieur, près de deux cents personnes silencieuses. Une drôle de voix, éraillée et hésitante, tombe des haut-parleurs: "J'ai beaucoup donné aux courses de 24 heures dans ma vie et elles m'ont beaucoup rendu". Silence. "J'ai pensé que, pour m'en aller, 24 heures c'était un bon compte rond". Emotion. La voix reprend, troublée: "Je vous remercie tous d'être venus ce soir tourner cette page avec moi".
Confusion et retenue. Xavier Maugendre a fini son speech d'adieu, maladroit et ému. Pas terrible, mais touchant. Même pas un discours. Seulement des mots qui s'alignent confusément les uns derrière les autres, maladroitement, comme s'ils étaient les seuls à pouvoir franchir le mur du son d'une pensée troublée, de passions contenues et mélangées.
"On peut vendre ses actions, la passion et les engagements d'homme reste". Mot de la fin. Exit 15 années de vie. Dur, dur. Tout le monde voudrait applaudir longtemps, mais le crépitement des bravos tourne court, bloqué par la retenue pudique de celui qui, ainsi, quitte la scène de la moto.
Tout cela ne vous fait peut-être pas grand-chose si vous ne connaissez pas Xavier Maugendre. Un petit Breton, têtu, brun, passionné, boudeur, tendre et rageur de 43 ans qui a décroché un jour de 1967, l'importation Kawasaki pour la France. Entre cette date et aujourd'hui, plein de choses se sont passées, belles et dures. Pour lui, pour la moto. Maintenant, c'est fini, Xavier Maugrendre, ex-président-directeur général de Kawasaki-Motors-France ex-Sidemm, vient de vendre toutes ses parts de la société à la Trading Company Japonaise C. ITOH qui prend ainsi le contrôle total de Kawa-France, "En quinze ans, je me suis plus battu contre la marque que je représente que contre toutes les marques concurrentes".
Victime depuis 1976, de pressions très fortes de la part des Japonais, Xavier Maugendre soucieux avant tout de préserver le personnel et l'avenir de la société à décidé de "céder" ses actions à ce moment qu'il a jugé opportun. Pour nous, à Moto Revue, c'est une page importante de la moto qui vient d'être tournée. Des liens profonds ont toujours lié Kawasaki et notre revue par Coupe Kawa interposée. Nous en ressentons d'autant plus le départ de l'homme comme la fin d'une période riche en aventures, en espoirs, en événement, en drames aussi. Bref, une tranche de vie que l'on n'efface pas et sur laquelle nous tenons à revenir. |
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Sidemm 1967: 9 m2 |
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Grand prix auto à Monte Carlo, il y a longtemps. Maugendre est jeune étudiant. Latin et grec d'ailleurs, pour ne pas les citer. Du sérieux, du solide. Une culture à l'image du granit breton. Sur la piste, il y a Fangio, Moss, Ascari, Collins. Le môme Xavier en prend plein les mirettes. Lui qui n'a pas été vacciné avec une aiguille de carbu est enthousiasmé par le spectacle auquel il assiste.
Il laisse tomber la culture et passe un C.A.P. de mécanique auto, puis un brevet technique de mécanique avion. Il ne connaît plus que deux mots: boulons et compétition ! Xavier Maugendre travaille successivement chez Citroën aux laboratoires d'essais moteurs, chez Volvo au service après-vente puis chez Honda France où il retrouve Jean-Pierre Baibly qui vient lui-aussi de chez Volvo. Bailby sera par la suite directeur commercial de BWM moto en France et fait actuellement partie du directoire de l'affaire BMW aux USA.
Maugendre reste donc deux ans chez Honda tant que les choses ne se gâtent et qu'il ne quitte la société pour "incompatibilité" de vues sur la façon d'exercer ce métier. En gros, Xavier n'est ni d'accord avec les objectifs, ni avec les méthodes... Au même moment, on apprend qu'une marque Japonaise, Kawasaki, chercher un importateur en France. Judenne, qui travaille depuis avec Xavier, le branche sur le coup. En décembre 1967, il signe son premier contrat, crée la Sidemm et devient importateur Kawa pour la France.
Face à ceux qui sont déjà des géants sur le marché, il débarque avec pas un sou en poche, un bureau de 9 m2 au fond d'une cour rue Barruel à Paris, un copain-caution-conseiller Jean Murit et une secrétaire à mi-temps Claudie Beltoise. Quinze ans après, Kawasaki Motors France vend 10 000 motos par an et emploie soixante dix personnes. |
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Petit deviendra grand |
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Au début de cette histoire, pas question de compétition. Xavier commence avec deux motos à vendre, une 250 A1R et une 650 quatre temps exposées depuis longtemps chez Garreau. Puis arrive le premier continguent de 370 Avenger A7, une moto fantastique. Dans son bureau minuscule qui est l'ancien atelier de Jean Murit (le magasin de ce dernier se trouvant de l'autre côté de la rue), Maugendre ouvre les caisses, sort les motos et les monte, range les pièces détachées et s'occupe du commercial. En un an, il vend cent motos.
En même temps, il faut constituer un réseau. Les concessionnaires ne se précipitent pas: "Kawasaki est un nom imprononçable, la Sidemm ne durera pas six mois". Maugendre est donc trop content de prendre les quelques multimarques qui veulent bien tenter le coup avec lui. Pas question de sélection ! Là encore, Jean Murit intervient en gagnant à la cause Kawa des grands concessionnaires de l'époque comme Betemps, Urvoas, Guignabodet, Donguy, Gasteau et d'autres. Commercialement, la politique de la Sidemm est déjà tracée telle qu'elle est encore appliquée aujourd'hui.
Justifiée d'abord par l'impossiblité d'investir dans un grand nombre de modèles, ensuite par la nécessité de convaincre des concessionnaires avec des arguments simples. Maugendre décide de n'importer que peu de modèles différents dans une seule couleur. Mais cette politique n'est pas dictée uniquement par des raisons bassement commerciales telles que ne pas alourdir les stocks en machines ou en pièces détachées pour les concessionnaires, par exemple, mais aussi par des raisons stratégiques. Implanter une nouvelle marque sur un marché déjà bien contrôlé par d'autres est un pari. A cela trois façons de le gagner: inonder le marché, casser les prix, ou se différencier.
Les deux premières solutions étant inenvisageables, Maugendre a choisi la troisième. Le nom Kawasaki sonnait déjà étrangement. Les motos avaient la réputation d'être surtout, dès l'apparition de la 500 Mach III en 69, des petites bêtes. Ce qui faisait à la fois leur pouvoir d'attraction et risquait de les confiner dans une certaine minorité. Maugendre a pourtant joué cette carte de la singularisation, de l'identification, de la différenciation. Aussi, en n'important que quatre modèles au début, dans une seule couleur chacun, les motos Kawasaki sont vite devenues indentifiables, repérables, reconnues.
L'Avenger était bleue, la Samouraï rouge, etc. Une Kawa rouge qui passait dans la rue était une Samouraï... C'est tout juste même si une moto seulement rouge avec un certain bruit, n'était pas automatiquement une Kawa Samouraï ! Aujourd'hui, bien que la gamme se soit étoffée, cette politique reste toujours valable et jamais une moto ne rentre en France dans plus de deux couleurs: "Pour un marché de 100 000 motos par an, offrir à la clientèle et surtout aux concessionnaires une gamme de presque cent modèles qui de plus changent une à deux fois par an est une aberration dangereuse".
Entre les besoins d'expansion à tout prix qu'ont les Japonais et les possiblités de notre marché, il y a une différence. Là où une société filiale est coincée, un importateur peut encore mettre un frein à ce délire exportateur et producteur néfaste à l'équilibre de notre marché et contraire aux intérêts des marchands et des clients. |
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Des étapes qui ont eu pour noms: H1, H2, A1 |
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L'histoire de Kawasaki en France restera liée à la sortie de certains modèles. Ceux-ci ont pour noms: H1, H2 et 900 Z1.
A chacune de ces motos a correspondu une étape de l'évolution de la Sidemm. En même temps d'ailleurs que leur engagement en compétition.
Quel que soit le côté passionnel de Xavier Maugendre pour la compétition, cette dernière répondait aussi à un autre besoin: faire parler de la marque.
Le budget de la Sidemm à l'époque interdisant la publicité, les modèles A7 et H1 étant plutôt sportifs, Maugendre étant plutôt attiré par la compétition, ce qui s'ensuivit est somme toute assez logique.
La 500 H1 est engagée dès 1969 aux 1000 km du Mans: Tébec et Ravel gagnent. Au Bol la même année, Kawa finit 2è, 3è et 4è et gagne en 250.
Le pli est pris et, dès 1970, Kawasaki sera étroitement lié aux grands moments du sport moto Français puis européen et mondial. |
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Ravel, Offenstadt, Léon, Pons, Godier-Genoud, Roche-Lafond et les autres... |
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Kawa et la compétition (comment ne pas en parler ?) c'est surtout des noms. Ravel d'abord avec cette première victoire étonnante, en 1970, au Critérium International du Mans au guidon d'une 500 H1R sortie de la caisse le matin même et préparée dans des conditions catastrophiques pas racontables. Baranne ensuite avec, grâce à Danièle Baranne, la venue du premier sponsor extra-sportif dans la moto en France et la création de l'Eucrie Kawasaki-Baranne, pilotes Ravel et Offenstadt. Le départ de la Coupe Kawasaki-Moto Revue le 1re mai 1971 à Bourg en Bresse. 43 participants au guidon de 350 Avenger participent à cette première vraie épreuve de promotion Française.
Vainqueur: Alain Meyer, puis Patrick Pons (72), Jean-Claude Meilland (73), Bernard Sailer (74), Eric Saul (75), Christian le Liard (76), Marc Fontan (77), Pierre-Etienne Samin (78), Gérard Petit (79), Bertrand Piaton (80) et Jean Patrick Vella (81). 1972 et 73 et 74, c'est vitesse tous azimuths et débuts de l'endurance. C'est Pons, Ravel, Léon et Offenstadt mais aussi Fau, Vial, Rigal, Choukroun, Gougy, Huguet, et tant d'autres. En 74, l'usine demande à ses représentants de mettre l'accent sur la vitesse en Angleterre et aux USA, sur l'endurance en France. C'est le début de l'ére Kawasaki-Godier-Genoud, puis Kawa-Performance.
Entre-temps, la Sidemm est passée de 2 à 30 personnes et a déménagé rue de l'Eglise dans le 15è, après un bref passage rue des Malmaisons. Au commercial, d'autres ont rejoint Xavier, Jean-Claude Heinrich, Judenne et Marie-Martine Guérin. Après les 350, les 500, la 750 H2, arrive en 1974 celle qui allait faire tourner la tête à beaucoup: la 900 Z1 quatre cylindres quatre temps. Engagée dans l'endurance dès cette année avec Godier-Genoud, elle remporte le Bol d'Or. Dans les six mois qui suivent la course, les chiffres de vente sont doublés. 1975, même succès.
En 1976, c'est le triplé historique des Kawa-Godier-Genoud au Bol et l'apparition de Serge Rosset, le père de Performance. Point d'orgue de cette passion de Maugendre pour l'endurance (il n'a jamais quitté les stands durant une course de 24 heures), le doublé au championnat du monde 1981 avec Roche-Lafond et Chemarin-Huguet. |
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Commerce, sport et politique |
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Ainsi pendant quinze ans Xavier Maugendre a-t-il conjugué sport, commerce et politique au présent. Politique au sens noble du terme, au-delà des partis, du superficiel. Politique dans le sens de l'engagement profond, de l'intégrité, de la motivation. Le succès commercial de Kawasaki en France, c'est lui. Les succès en compétition, c'est lui aussi. La raison, c'est celle-là: l'engagement. Et l'engagement d'un homme, au-delà des idées, est un acte politique. Cette passion, cette intégrité expliquent l'attachement du personnel de Kawasaki envers cet homme qui a su fêter chaque victoire le lundi, avec tous au son d'un bouchon de champagne qui pète.
Ceci explique aussi le Protest Day observé au moment du départ de Maugendre par tous ceux qui ont travaillé pour lui. Motivation, base de la cohésion et de l'efficacité: que sera l'avenir ? La Politique, c'est aussi l'action de Maugendre en tant que président de la Chambre Syndicale des importateurs. Huit ans de cette fonction l'ont fait apprécier par ses prises de positions nettes et non-partisannes. Au travers de cette charge, s'est exprimé le même caractère entier, le même amour pour la moto. Prenant, souvent, au nom de la Chambre, position sur les événements mettant en cause le marché de la moto, Maugendre savait parler pour tous et non pour sa seule marque.
Dès 1976, il a plusieurs fois affirmé l'opposition de la Chambre Syndicale à la réforme du Permis telle qu'elle se dessinait. Les petites phrases ne manquent pas. "Je souhaite qu'avant qu'un nouveau système soit adopté on résolve les problèmes actuels", "limiter cylindrée et vitesse ne résoudra aucun problème", "il est regrettable qu'à aucun moment, les tenants du nouveau permis n'aient pris en considération les conséquences extrêmement négatives qu'il entraînera pour l'ensemble du marché de la moto", "il est regrettable qu'une fois encore on ait choisi d'avoir recours à l'imposition plutôt qu'à l'éducation", etc.
Une vie est un tout, un succès ne vient pas sans raisons. En 1980, Kawasaki a réalisé 40 % d'augmentation de chiffres d'immatriculations, seule marque à ne pas régresser. 400 points de vente, dont beaucoup d'exclusifs, défendent cette marque à laquelle ils se veulent attachés plus sentimentalement que d'autres. Quand Baldé, vice-champion du monde 250 s'aligne au départ du Grand Prix de France, ce n'est pas un engagement solitaire. Il n'est pas tout seul à vibrer au baisser du drapeau. Motivation, concertation, dialogue, engagement, participation: ça paraît tout simple, et pourtant...
Chez Kawa, dans l'escalier qui mène aux bureaux, il y a un grand tableau blanc. Chaque lundi, "quelqu'un" y inscrivait les résultats sportifs du week-end ainsi que des messages divers concernant la marque. C'est souvent à la disparition de ce genre de "petits" détails que l'on voit que partir c'est mourir un peu... Salut, Xavier ! |
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