La sortie, c'est par là ! Vocation très "Spéciales"
Maître Jacques
A la fin des années 50, Jacques Roca fait ses premières armes en compétition moto. Nous sommes à Montlhéry, et la moto est une 125 Puch, un deux-temps bien sûr, auquel Maître Jacques restera fidèle toute sa carrière. Maître Jacques quand il pilotait, le sorcier du deux-temps lorsqu'il mécaniquait, Jacques Roca est aujourd'hui un spécialiste de l'habillage moto. Un personnage dans le monde du deux-roues... de tous les deux roues.

Début des années cinquante. Reprise économique, mais aussi temps des loisirs. Le vélo passionne et les foules se déplacent pour acclamer leurs champions favoris. Fausto Coppi est l'idole mondiale incontestée. Derrière lui, attendant leur heure, Charlie Gaul, Louison Bobet, Jacques Anquetil.

Dans le peloton, un autre Jacques: Roca. Brillant espoir du cyclisme Français, il est tout proche d'être intégré à l'une des équipes les plus prestigieuses: Saint Raphaël, dirigée par Raphaël Géminiani... A bonne structure, bons résultats ; ceux-ci arrivent en bloc dès 1956, avec notamment une victoire au Paris-Auxerre (classique très importante de l'époque), et une autre à Lurcy-Levy, devant Louison Bobet lui-même !

"Dès lors, j'étais considéré comme l'égal des plus grands. Ma carrière était toute tracée..." Son directeur sportif n'en doute pas, et 1a sélection pour 1e Tour de France tombe toute rotie. "Gonflé à bloc, j'abordais la saison 57 bourré d'espoirs !" Il était dit que la destinée de Jacques Roca sera liée à 1a guerre. Déjà, en 1937, dans les bras de son père, il dut fuir les ravages de la guerre d'Espagpe. Destination la France. La France qui, vingt ans plus tard, l'enverra faire 1a guerre en Algérie... A peine arrivé là-bas, sa Jeep saute sur une mine. Grièvement blessé, le jeune champion comprend dès son réveil à l'hôpital que sa carrière de coureur cycliste est terminée.

"J'ai été averti, avec tout le tact dont sait faire preuve un chirurgien militaire, que ma jambe était perdu." En effet, si l'amputation a été évitée de justesse, avec l'artère fémorale sectionnée, les nerfs et les muscles arrachés, l'espoir de remarcher normalement est bien mince. Rapatrié à Paris, les médecins civiles confirment le diagnostic. "Me restait alors deux solutions: la résignation ou la révolte. J'ai opté pour la seconde." et c'est naturellement sur une bicyclette que Jacques va entreprendre une rééducation forcenée, faisant des kilomètres par centaines, tous les jours !

En 1969, dans la chicane des tribunes, à Montlhéry, Jacques Roca, sur une Suzuki T 500 préparée par ses soins dans une partie-cycles Rickman-Metisse, précède André-Luc Appieto sur sa 500 Paton. A force d'acharnement, les muscles perdus de la cuisse seront compensés par ceux gagnés au mollet. La démarche restera floue, mais le pari est gagné: Roca est enfin sur pied ! Dans cette triste aventure, le cyclisme a perdu un authentique champion. Tant pis pour le vélo. Tant mieux pour la moto !

"Je voulais coûte que coûte poursuivre une carrière sportive. Comme mon père avait fait un peu de compétition moto, je me suis dirigé dans cette voie". C'est en 1959 que Jacques, associé à Esme, s'engage au Bol d'Or sur une 175 Morini. Vainqueur de sa classe, ce sera la toute première de ses... 200 victoires !

Quelques premières places plus tard, Jacques jouit d'une double réputation: excellent pilote et mécano exceptionnel. Les dirigeants de l'usine Derbi ont déjà remarqué ce nouveau venu dans la vitesse. Ils cherchent à s'implanter en France et le fait que Jacques Roca soit d'origine Espagnole va faciliter bien les choses.
Une carrière brisée, une autre découverte
Grand espoir du cyclisme Français, Jacques Roca fut sélectionné pour le tour de France 1956. Il triompha même du grand Louison Bobet lors de la course Lurcy-Levy. Grand espoir du cyclisme Français, Jacques Roca fut sélectionné pour le tour de France 1956. Il triompha même du grand Louison Bobet lors de la course Lurcy-Levy, dont on voit ici le départ. Bombardé pilote officiel dès 1961, Roca peut désormais se battre à armes égales face à ses adversaires. Et il collectionne les victoires et les titres de champion de France (quatre de suite de 1962 à 1965). En 1966, Jacques Roca troquera son 50 contre une 175 Bultaco et une 350 Ducati. En fin de saison, il décroche deux titres supplémentaires. En fait, sa douzaine d'années en compétition lui apportera sept titres de champion de France de vitesse, quatre de vice-champion et un titre Européen de la montagne. Ses quelques prestations face aux gros bras étrangers ne sont pas passées inaperçues.

Tel ce Grand Prix de France 1967 à Charade où Roca terminera septième et premier privé en 250, avec son mono Bultaco à air derrière les deux Honda 6 d'Hailwood et Brians, les Yam 4 de Read et Ivy et MA bicylindres de Rosner et Wooman. D'autant que son copain Findlay, sur la Bultaco d'usine à refroidissement liquide, se trouvait à 20 secondes derrière ! Si Jacques Roca est d'abord connu comme pilote, il est autant respecté pour ses talents de préparateur sur les moteurs deux-temps.

"La mécanique, j'adore ça. Bien régler un moteur me procure autant de satisfaction qu'un pianiste jouant sans fausse note !" En 1968, il crée la toute première structure course pour Yamaha Sonauto et, en fin d'année, le hasard va lier la carrière de Jacques Roca à Suzuki France... "J'étais allé chez Pierre Bonnet, l'importateur Suzuki-Kreidler, pour obtenir des pièces spécia1es. Costumé et cravaté, il s'agissait de donner une bonne impression !"

A peine Jacques est-il sur le perron, qu'un motard arrive. Il s'était offert une T 500. Çette moto, gorgée de chevaux venait juste d'apparaître sur le marché, mais son propriétaire n'en avait jamais profité pleinement. Toujours en panne. Bref, sa visite sentait la poudre ! Du coup, Jacques se penche sur cette moto et effectue quelques réglages de base avec la trousse à outils puis l'entre-vue avec Bonnet commence. Quelques instants plus tard, 1e jeune homme est de retour. " Tout heureux, il était venu me remercier, annonçant que sa bécane tournait comme une horloge !"

En 1972, à Bourg-en-Bresse, Roca pilote une 250 MZ d'usine, qu'il put obtenir grâce à son employeur Pierre Bonnet, importateur de la marque à l'époque. De quoi impressionner Pierre Bonnet qui finit par avouer à Roca que personne encore n'était parvenu à mettre au point ce modèle... "Du coup, il m'a embauché d'office comme directeur technique !" A cette tâche est associée celle de dénicher des concessionnaires... "Aujourd'hui, il existe encore des spécialistes que j'avais nommés à l'époque !" Chez l'importateur Français de Suzuki, Roca continue à faire des prouesses techniques. "Mon plus beau coup aura été celui de la 750". En 1972, Suzuki dévoile son nouveau monstre: un merveilleux trois cylindres refroidi à eau, un pur joyau qu'on va s'arracher... une année, pas plus.

Ensuite, les ventes stagnent. L'importateur s'est largement planté en commandant un stock considérable... Huit cents 750 attendent d'être vendues, mais aucune ne part. C'est la catastrophe. "Alors on m'a demandé de trouver une astuce pour en écouler quelques unes..." Jacques a carte blanche et il va se livrer à sa première création en carrosserie. "Ce projet me trottait dans la tête depuis longtemps." A présent qu'il a les coudées franches, son imagination débordante laissera pour résultat la 750 à coque Roca. Un habillage plastique style course, très racé, avec réservoir d'huile intégré dans le dosseret.

En 1965, lors du Grand Prix de Rouen, Roca est en pleine discussion avec le futur champion du monde, Angel Nieto. Il est sur le 50 Derbi officiel, avec lequel il remporta quatre titres de champion de France. La ligne générale est affinée, bien orientée sport. Naturellement, Jacques n'a pas pu s'empêcher de retoucher le moteur... Ramage et plumage égalent carnage: c'est un succès immédiat, tout le stock épuisé en quelques semaines. Bonnet doit même en recommander d'autres !

Fort de cette réussite, Jacques Roca va peaufiner sa réalisation en ajoutant des jantes stylisées, des coloris délirant et un carénage intégral...

Tel celui proposé au salon 1973: la spéciale Roca entièrement... plaquée or ! "Le travail d'un bijoutier, une vrai merveil1e en exemplaire unique !" Cette moto a été retrouvée récemment aux Etats-Unis, bichonnée par un acteur célèbre qui ne désire pas du tout s'en séparer !
Une haute distinction pour ses préparations
En 1972 lors des 1000 kilomètres du Mans, Jacques Roca emmène la meute des 750 sur sa Suzuki. On peut reconnaître avec le numéro 39 Hubert Rigal, sur sa Kawasaki 750 H2. L'histoire d'amour entre Jacques et cette moto ne s'éteindra jamais ; ni en 1973 quand, pour le Bol d'Or, alors qu'il a préparé des mois durant une machine bien capable de gagner, les organisateurs lui interdiront le départ pour un retard à la pesée: "Du coup, j'ai, de rage, déchiré ma licence" ; ni en 1975, quand il a bien failli mourrir à son guidon... "C'était au Tour de France (moto !)... j'étais bien placé au général et puis une camionnette m'a coupé la route."

Roca retrouvera les hôpitaux pour un bon moment, "mais avec l'habitude, c'est pas pareil ! "Beaucoup plus tard , quand il quittera Suzuki sur " des divergences des vues avec un nouveau venu dans la maison", les concessionnaires de la marque voudront lui témoigner leur affection... Comme cadeau, ils lui offriront une magnifique 750 Roca, toute neuve et retrouvée intacte. "Le plus beau présent de ma vie. Jamais je n'oublierai leur geste."

Aujourd'hui Jacques Roca est devenu à son tour concessionnaire multi-marques. Il n'a pas perdu sa manie de la transformation. Il ne peut s'empêcher de retoucher les motos ; son coup de crayon lui a d'ailleurs valu la Hit Bike Cup (distinction honorant la moto la plus joliement préparée). Actuellement, maître Jacques planche sur un projet qui lui tient particulièrement à coeur... "Faire de la 900 Honda CBR la reine des reines. Cette moto peut-être l'arme absolue pour dix ans !"

Vous pouvez passer voir les différents stades de conception de la bête au magasin de Jacques à Clamart, 34 avenue Paul Vaillant Couturier. Pour vous recevoir, il a même prévu un espace rencontre avec fauteuils, distributeurs de boissons, vidéos et revues à volonté... "Parce que les motards, ils aiment bien causer, raconter leur balades, parler de leur moto." Et aucun doute, les fanas de moto, Roca les connaît bien !

Jacques Roca. En seize années de compétition moto, de 1959 à 1975, Jacques Roca a plus qu'honorablement rempli sa carrière, engrangeant 200 victoires, sept titres de champion de France, quatre titres de vice-champion et un titre Européen de la montagne.

1962, 1963, 1964, 1965: champion de France 50 cm3 sur Derbi.

1966: champion de France 175 cm3 sur Bultaco et 350 cm3 sur Ducati.

1971: champion de France 50 cm3 sur Kreidler.
Informations tirées de Moto Journal.
Par Michel Bidault.
Haut de Page