La sortie, c'est par là ! Michel Rougerie
A fond jusqu'au bout !
Michel Rougerie.
Il était aimé, il était célèbre et il était l'un de nos plus grands pilotes: Michel Rougerie s'est tué stupidement pendant la seconde course du Grand Prix de Yougoslavie et tout le monde, d'un seul coup, a eu les larmes aux yeux.

Parce qu'il était l'un des plus anciens, parce que sa personnalité en avait fait l'une des figures du monde de la course, la nouvelle de sa mort a profondément marqué le monde finalement très sentimental de la compétition de vitesse.

Pour tous ceux qui ont eu le malheur de le vivre, ce GP Yougoslave laisse au coeur de chacun une immense impression de malaise.
L'incrédulité, l'inutilité, la stupidité...
Michel au début de sa carrière et, plus récemment, au départ du Bol d'Or: il devait piloter toutes les marques Japonaises: Honda avec une première grande victoire au Bol d'Or 1969 pour le compte de Japauto, Kawasaki avec cette H1R (n° 24) et Suzuki comme ici à Mettet. Il devait entamer cette saison en championnat 250 et 350 au guidon des motos d'Alain Chevallier. C'est à peu de choses près ce que ressentait tout le monde, dans le parc coureur de ce GP Yougoslave. Parce que l'accident s'était produit à quelques dizaines de mètres des stands, presque sous leurs yeux, tous les gens du Continental n'avaient guère plus d'illusions. Ils avaient vu Michel se relever et puis quelques secondes plus tard se faire percuter de plein fouet par une autre moto. Ils avaient vu son pauvre corps écrasé sur la piste sans aucune réaction et savaient bien avant même que n'en soit faite l'annonce officielle, qu'il n'y avait plus d'espoir.

C'est assez curieux de constater, quand un drame est en train de se vivre, cette espèce de rejet spontané et inconscient chez la plupart des témoins. A Rijeka très vite, tout le monde savait très exactement la conséquence définitive de l'accident de Michel. Mais que ce soit par pudeur ou pour repousser encore un peu ce qui paraît vraiment insupportable, on n'en parle pas. Visages souvent graves, conversations hachées, on continue à vivre comme si rien ne s'était passé. Ou à faire semblant... Même s'il n'est pas dans nos habitudes de parler à la première personne, j'avoue pour ma part, n'avoir pas très bien "vu" ce GP de Yougoslavie. Pour la première fois sans doute, le spectacle d'une grande course (et celle des 500 fut tout bonnement admirable) m'a laissé parfaitement froid sur le bord de la piste.

Pendant les 200 miles de Daytona (à gauche) et lors du Grand Prix de France 350 (à droite). En bas, Michel précède Barry sheene au cours du Grand Prix de Belgique 1977: Michel est ici en tête et aurait certainement remporté son premier GP s'il n'avait pas cassé à quelques tours de la fin. Il y a sans doute trop de choses qui revinrent d'un seul coup avec toujours la même affreuse conclusion: jamais plus. Il faut se dire et se répéter que c'est fini, que Michel est mort et que les courses, pour nous, ne seront plus tout à fait comme avant. Ne parlons pas du pilote ou de sa carrière, d'ailleurs assez exceptionnelle. Depuis cet accident imbécile de Rijeka, c'est surtout un homme qui va nous manquer. Michel Rougerie de toutes les manières, ne pouvait pas laisser indifférent.

Souvent critiqué, parfois détesté autant qu'il pouvait être adoré, Michel était un personnage attachant que son incontestable "frime" laissait parfois dans l'ombre. Il fallait aller plus 1oin que son image publique pour découvrir, non sans une certaine surprise, des traits de caractères fichtrement attachants. Son sens profond de l'amitié, son humour à froid, souvent très corrosif, pouvait en faire un compagnon parfait et finalement plein de charme.

Samedi soir dans la caravane de Thierry Espié, avec quelques copains, Michel avait été conforme à cette image que nous gardons de lui: mimant avec pittoresque telle ou telle situation, ou souverainement méprisant avec son ami Bertin: "Nous sommes des pilotes de moto... On cause pas à ceux qui conduisent des vélomoteurs..." Il m'avait emmené tout de suite après essayer la Hi-Fi qu'il venait de monter dans son mobil-home. Nous parlions musique et nous mettions au point l'emploi du temps pour le week-end prochain...

Pourquoi faut-il que la vie soit parfois si moche ? On ne se rend plus compte, parce que l'habitude est dangereusement vite prise de ces foutus dangers qui planent sur cette course que nous aimons tant. Et il faut que la fatalité se mette à cogner très fort pour que l'on constate et que l'on ressente trop tard toutes les réalités des choses. Notre ami Jean-Luc Roy, dont vous avez pu lire les articles pendant des années, a choisi depuis peu sa seconde grande passion: le tennis. C'est peut-être lui qui a raison: parce qu'il est sûr de conserver pour toujours les amis qu'il s'y fera...
L'accident
Il pilotera également les Harley-Davidson (n° 7) au guidon desquelles il sera vice champion du monde derrière Walter Villa. A fond jusqu'au bout ! C'est au second tour de la course que devait se produire l'accident. Après quelques minutes tambour battant, tout le plateau des trois et demies s'étirait en une longue file Indienne sur les trajectoires très précises du circuit de Rijeka. Michel occupait alors la 5ème place et paraissait parfaitement capable de rejoindre, à quelques mètres devant lui, les leaders qui avaient pour nom Lavado, Mang, Ekerold et Cornu.

Dans la grande enfilade en contrebas de la ligne droite des stands (là où était tombé Christian Sarron pendant les essais libres) l'arrière de la moto partait en glissade et Michel chutait, comme au ralenti, sans se faire le moindre mal. On pense alors que tout va bien se passer malgré la meute des suivants qui évitent adroitement l'obstacle que constituent pilote et moto.

Michel est alors debout. Selon toutes vraisemblances, il aurait fort bien pu attendre sans bouger que tout le paquet soit passé pour gagner le bord de piste. Mais les réflexes humains sont difficilement contrôlables. Vraisemblablement, en voyant arriver sur lui cette vingtaine de machines, Michel a le réflexe de tout le monde, il court pour se mettre à l'abri et déclenche, immédiatement, le drame inévitable: si Pazzaglia réussit à l'éviter à la dernière seconde, Roger Sibille, collé à la roue de l'Italien, n'a le temps de rien voir.

D'un seul coup, Michel est sous ses yeux en plein centre de la piste et Roger le percute à plus de cent cinquante kilomètres à l'heure. Miraculeusement indemne, il se relèvera immédiatement et aura alors une réaction bizarre: il court comme un fou pendant près de cent mètres avant de s'arrêter très loin de la piste. Le service de sécurité, qui se trouvait en position sur le lieu même de l'accident, devait intervenir dans les meilleurs délais: Michel était alors transporté rapidement à l'hôpital de Rijeka où il était aussitôt placé en réanimation. Mais rien, dès lors, ne pouvait être tenté.

Tous ceux qui ont pu voir le choc proprement dit, même sans la moindre notion de médecine, savaient qu'il n'y avait rien à faire. Claudio Costa, le médecin Italien de la clinique mobile AGV, et son ami traumatologue se sont très vite précipités à l'hôpital de la ville: l'un et l'autre connaissaient Michel depuis de longues années et l'avaient maintes fois soigné pour des blessures plus ou moins graves. Ils n'ont pu, l'un comme l'autre, que confirmer scientifiquement les impressions de chacun. Vertèbres cervicales brisées, cage thoracique enfoncée, Michel est très certainement mort sur le coup.
Une carrière exceptionnelle
Michel Rougerie. Michel Rougerie était né le 20 avril 1950 à Rosny-sous-Bois. Comme tous les gosses de famille modeste amoureux, il doit travailler très jeune pour pouvoir s'offrir ce que ses parents, malgré toute leur bonne volonté, n'ont pas les moyens de lui fournir: une moto. Tour à tour employé chez Fleury Michon ou sur les marchés de banlieue, Michel parvient à se mettre de côté suffisamment d'argent pour acheter ce qui sera sa première vraie moto: une 350 cm3 qu'il transportera, dans une vieille Estafette, pour sa première course. Car déjà, il n'a que dix-huit ans, Michel ne rêve que compétition.

Dès qu'il est en possession de sa moto, et bien qu'elle ne soit absolument pas destinée à cet usage, il n'hésite pas à s'engager dans la côte Lapize où il découvre une des réalités immuables de la compétition: pour vaincre, il faut des motos dans le coup. Mais le virus est bel et bien attrapé. Il laisse tomber l'école d'électronique qu'il avait commencée et se tourne alors vers une course qui renait de ses cendres et qui devrait, pense-t-il, lui donner les moyens de prouver de quoi il est capable: le Bol d'Or. C'est sans doute à cette période que la chance fait son premier clin d'oeil à Michel: Daniel Urdich, un jeune pilote qui est inscrit avec un coéquipier, constate peu de temps avant la course que ledit copilote ne possède qu'une licence junior.

Il propose donc à Michel de partager le guidon de sa machine et c'est avec joie que Michel passe quinze jours à travailler sur la moto. C'est là qu'intervient le hasard pour la seconde fois: les Anglais sont sur place avec deux machines officielles mais le règlement stipule que seuls les pilotes Français peuvent prendre le départ de la course. Christian Vilaseca, le patron de Japauto, parvient de son côté à convaincre les Japonais et c'est à des pilotes Français que sera confiée la moto officielle: à dix-neuf ans, pour ce qui est pratiquement sa première grande course, Michel se retrouve au guidon d'une moto d'usine.

D'autres, moins talentueux, n'auraient sans doute pas su saisir comme lui la possibilité qui s'offrait. Mais Michel ne se rate pas et remporte, au milieu d'une ambiance qui est en train de faire renaître le Bol d'Or, sa première grande victoire.
De la 125 Bultaco à la H1R
Moto-Revue N° 2513 du 3 juin 1981. Convaincu que le matériel est au moins aussi important que le pilotage, Michel achète pour la saison suivante une 125 Bultaco monocylindre qui est, à l'époque, l'une des seules machines compétition-client. Mais la machine s'avère pour le moins capricieuse et Rougerie père, qui se charge de la mécanique, commence sérieusement à s'arracher les cheveux. Malgré ces résultats peu encourageants, Michel se réinscrit au Bol d'Or 1970 qu'il terminera, à cause d'une stupide panne de batterie, à moins de dix-huit minutes du premier.

Pour la saison suivante, Michel réussit à se procurer l'une des meilleures machines de l'époque, la Kawasaki H1R, tout en signant un contrat avec l'importateur en France des Aermacchi Italiennes. Il dispute donc les catégories 125 et 350 sur les Aermacchi et la catégorie 500, celle qui a déjà toute son attention. Si les résultats sont assez médiocres avec les petites cylindrées, Michel connait sa première consécration en remportant, devant l'autre Kawasaki de Michel Betemps, le titre de champion de France national 1971 en 500.

Mais, intelligemment, Michel ne tarde pas à comprendre qu'il faut, en moto comme ailleurs, se spécialiser rapidement. Persuadé qu'il ne peut à la fois briller en 125 et en 500 cm3, il signe pour 1972 un contrat exclusif avec l'importateur Aermacchi dont il pilotera les motos en petites et moyennes cylindrées.

Il envisage même, dès que possible, de participer à un grand prix de vitesse pour voir vraiment ce qu'il peut y avoir à faire: si le championnat national lui permet d'afficher haut et fort ses ambitions personnelles, les résultats en grand prix sont plus modestes: il est neuvième en 125 et en 350 pour le grand prix de France et ne peut faire mieux que douzième au grand prix de Belgique.

L'accord Aermacchi-Rougerie est reconduit pour 73 avec, cette fois-ci, une ambition bien précise: puisque les choses sont devenues trop faciles sur le territoire national, Michel part à la conquête du Continental Circus.
1973: l'année de Monza
La dernière photo de Michel en course: quelques secondes plus tard, Roger Sibille (ici numéro 55) ne pourra rien faire pour éviter son ami.
Associé un instant à Olivier Chevallier (qui sera remercié très rapidement par Leconte) Michel connaît son premier gros pépin sur le circuit de Monza: c'est là que la course des 250 tourne soudainement au drame et que deux des plus célèbres et des plus populaires de tous les pilotes vont trouver la mort: Renzo Pasolini et Jarno Saarinen.

Michel, par un coup de chance incroyable, sera bousculé sur la ligne de départ et ne pourra pas remettre sa moto en marche. Le destin, ce jour-là, souriait à Michel Rougerie.

Sans songer un instant à remettre les choses en question, Michel poursuit sa saison et trouve presqu'immédiatement la juste récompense de son obstination: 5ème en Belgique, second en Tchécoslovaquie et en Hollande, il est 8ème au championnat du monde catégorie 250.
1974: l'apprentissage comme pilote d'usine
Cinq images de Michel: en vacances avec le team Pernod à la Guadeloupe cet hiver et en course. Avec la sept et demi en France et en Espagne devant Patrick Pons ou, à droite, devant Mick Grant en catégorie trois cent cinquante. En bas, enfin, la grande époque de Michel au guidon des Harley officielles. Son contrat renouvelé avec Leconte, Michel connaît cette année les séquelles du petit différend qui oppose l'importateur et la maison mère Italienne: faute de pièces détachées, il rate ainsi plusieurs courses dans lesquelles dès les essais, il avait prouvé ses possibilités personnelles. Privé de Bernard Fargues (frère ennemi de Michel et mécanicien de talent) il accumule les problèmes techniques et ne peut faire mieux, en fin de saison, que septième en 350 et neuvième en 250. Mais pour l'année suivante, et parce que Walter Villa a besoin d'un second pilote, Michel est incorporé au team Italien.

C'est de cette époque que date l'étonnante popularité de Michel de l'autre côté des Alpes: nos amis Italiens, parce que Michel défend les couleurs d'une marque nationale et qu'il le fait avec panache, en font presque l'égal de leurs idoles personnelles. Cette saison, grace au soutien de l'usine, sera certainement l'une des plus brillantes de Michel: à la fin de l'année, il totalise un nombre de points qui lui aurait permis, de nos jours, d'être sacré champion du monde de la catégorie. Mais à l'époque, on ne retient que la moitié (plus un des résultats) et c'est Walter Villa qui est champion du monde.

Par deux fois, en Finlande et en Tchécoslovaquie, Michel finit en tête d'un grand prix: c'est la première fois depuis belle lurette qu'un Français remporte un grand prix à la régulière... En outre, les excellentes performances de Michel permettent à Harley Davidson qui a racheté l'usine Aermacchi de remporter le titre des constructeurs. Mais les problèmes personnels, avec Walter Villa, ne font que croître et empirer: Michel, entre autres, ne comprend pas plus qu'il n'admet la préférence dont fait l'objet le pilote Italien. C'est le désaccord et sous le prétexte fallacieux du manque de moyens, le renvoi pur et simple pour la saison 76.
Pilote Elf
Toujours en vacances avec Thierry Espié, Patrick Fernandez et Roger Sibille. Le nom de Michel Rougerie, pour la plupart des amoureux de ce sport, est presqu'indissolublement lié à celui du pétrolier Elf. C'est grâce à lui, en effet, que Michel peut attaquer la saison suivante au sein de l'écurie qui porte son nom. Il y est alors le compagnon de Philippe Coulon et du Suisse Kneubuhler et connaît, malgré les services éclairés de Pierre Fleouters et Gérard Montigny, ses deux mécaniciens, quelques ennuis techniques en début de saison. Il lui faut mettre au point ses compéclients pour en faire les égales des meilleures motos officielles. Et dès que la mécanique marche, Michel Rougerie reste le plus dangereux de nos pilotes de vitesse: vainqueur du GP d'Espagne 750, second de la même catégorie en Italie, il termine à la quatrième place de ce championnat qui n'est alors que championnat d'Europe.

Et l'année suivante, toujours sous les couleurs Elf, Michel devient l'un des privés les plus redoutables du Continental Circus: vainqueur en Espagne, second en Hollande et troisième en Tchécoslovaquie, il finit à la quatrième place du championnat du monde. Mais il est pratiquement le seul, surtout, à avoir pu inquiéter l'intouchable Ballington et sa moto d'usine. En 500, la catégorie qu'il aime plus que toute autre, il connaît les problèmes classiques des pilotes privés mais démontre, par quelques coups d'éclats fantastiques, qu'il reste le plus impressionnant de nos pilotes. 1978, pour Michel sera sans doute l'année la plus importante de sa vie: après un début de saison éclectique, mais malgré tout significatif, Michel entrevoit à mi-saison des possibilités immenses.

Pat Hennen, l'autre officiel Suzuki avec Barry Sheene, a été la victime d'un très grave accident pendant le Tourist Trophy: devant son indisponibilité évidente pour le reste de la saison, le team manager Britannique cherche un successeur au pilote Américain. Pour quelques courses et sans que rien ne soit rendu officiel, Michel peut disposer de la moto d'usine avec laquelle, tout comme en 1969, il ne rate pas ses premiers essais: plusieurs fois pole position devant tout le gratin mondial de la vitesse, Kenny Roberts en tête, Michel espère fermement être celui qui sera choisi. Malheureusement, peu aidé par l'importateur Français, et contrecarré par le team Britannique qui lui préfère un pilote Anglais (il s'agira de Tom Herron) Michel voit s'échapper la moto officielle.

Les deux années suivantes, pour lui, seront celles de la difficulté. A Imola, au cours d'une course sans grand intérêt pour le championnat du monde, Michel est victime d'une chute apparemment bégnine qui sera pourtant lourde de conséquences: atteint à la tête, il souffre constamment de migraines et de troubles visuels qui sont évidemment catastrophiques pour un pilote de vitesse. Il mettra très longtemps à s'en remettre et certains esprits mesquins n'hésitent pas à le qualifier de "fini". Mais Michel s'accroche ; en 80, avec l'aide du fidèle Fargues, rappelé à la rescousse, il connaît une saison techniquement correcte qui ne fait que le renforcer dans ce qui a toujours été pour lui une quasi certitude: en 500, plus qu'ailleurs, il n'y a rien à faire sans moto d'usine.
1981: le retour aux moyennes cylindrées
En Suède, au guidon des Suzuki officielles. C'est au courant de l'hiver que Michel décide d'abandonner, au moins provisoirement, la catégorie reine ; il sait que la meilleure des compé-clients s'avère notoirement insuffisante contre les motos officielles et décide, dans le cadre de sa nouvelle écurie, Pernod, une association qui avait toutes les chances de porter ses fruits. Alain Chevallier, qui sait mieux que personne mettre au point des machines de course, dispose d'un budget qui lui permet de fournir deux montes à Michel Rougerie.

En deux et trois et demie, Michel revient donc avec joie à ses premières amours. Et les premières courses de la saison, bien que mal récompensées sur le plan résultats, pour des questions matérielles souvent stupides, prouvent que l'homme n'a rien perdu de ses qualités et que les motos sont très très capables de lui permettre de reprendre sa vraie place.

A Rijeka, après des essais décevants au début, Michel avait trouvé le bon rythme et affichait une certaine confiance pour la course. "Peut-être, disait-il à un ami commun, que cette fois-ci tout va bien se passer jusqu'au bout et que je vais enfin faire cette place..." Effectivement, Michel avait pris un excellent départ et revenait très vite sur les hommes de tête du moment... Mais la chance, ce jour-là, avait d'un seul coup décidé de l'abandonner.
Alain Prieur
Ça ne vaut pas le coup d'avoir des amis si c'est pour les perdre... Je comprends mieux Michel maintenant qui me disait toujours qu'il ne voulait pas d'amis pour qu'on ne le pleure pas. Je l'aimais, c'est tout. Je n'ose pas appeler ses parents. Et puis, j'aurais tant voulu le revoir.

J'ai perdu quelqu'un qui m'était cher même s'il le rendait parfois très mal avec ce fichu caractère. Je m'étais habitué à parler de la mort avec lui comme d'une chose inéluctable à laquelle il ne faut pas s'attacher. Il en était même arriver à me dire que s'il mourrait un jour il voulait être enterré sur une musique de Johnny. Voilà. Maintenant, nous y sommes...
Madame et Monsieur Rougerie
Michel m'a toujours dit: je ne veux pas que ma mère pleure...

Michel m'a toujours dit: "Je ne veux pas que ma mère pleure... Mais il n'est plus là, je n'ai pas le courage de retenir mes larmes !" Dur de téléphoner aux parents de Michel en un moment pareil.

Nous voulions leur apporter notre amitié et, à travers la revue, la vôtre.

Nous avons eu au téléphone les parents effondrés d'un fils qui s'appelait Michel Rougerie, et dont le père ne peut croire à la mort: "Je ne le verrai plus, c'est pas possible. Je veux faire un poster pour mon fils, pour qu'il vive encore en champion pour nous tous et tous ceux qui l'aimaient".
Albert Hirsh (Dada)
J'avais fini par croire que Michel sortirait un jour indemne des courses de moto, tant il paraissait invulnérable. Le sort en a voulu autrement. De notre amitié de dix années éclairées par son beau sourire et sa gentillesse à mon égard, une seule ombre sa mort. Je suis effondré par la perte de ce grand ami.
Quoi, ma gueule ? qu'est-ce qu'elle a ma gueule ?
Une gueule. C'est ça: une gueule et puis une tignasse hirsute. Un caractère de cochon. Un coeur en or. Une carapace de dur. Une fragilité d'enfant. L'amitié. Johnny, la petite guitare qui pendait à son cou. Les autres amis aussi. Les grands, les petits. La foule, qui l'adorait. La vie à pleines dents. La rage de tout faire, de tout sentir, tout tenir entre ses mains. De ne rien laisser filer, de ne rien rater, rien regretter.

Michel disait: "Je vis comme je cours, à fond. Je peux me tuer n'importe quand. Mais je ne veux rien avoir raté, je ne veux même pas qu'il me reste un billet de cent balles: ça voudrait dire que je n'aurais pas tout dépensé, pas tout réalisé !" Le vin rouge. L'amour. Les voitures. La vie la nuit. Mais aussi le calme, l'effort, le travail, la résolution, la volonté, les erreurs, la gloire, la mort. La vie d'un pilote de course. D'un très grand. D'un monsieur à la gueule d'un voyou. D'un seigneur de la vie. La vie d'un copain... "Quoi, ma gueule ? Mais qu'est-ce qu'elle a ma gueule"... Salut, Michel. Eric Clain
Chirstian Vilaseca (Japauto)
Michel Rougerie était un ami de Japauto, et pas seulement à cause de sa victoire au Bol d'Or 1969. A la demande de ses parents, je l'avais engagé comme mécanicien. Il était passionné par le sport moto. Michel était un très grand pilote qui n'a pas eu la chance de réaliser tous ses espoirs. Il est vrai qu'il n'a pas toujours su choisir les meilleures voies, mais il avait d'énormes possibilité physiques, bien que très marqué par ses chutes. Il avait des dons naturels extraordinaires, mais il n'a pas été servi par la chance. Il m'est difficile de vous faire partager la peine que nous éprouvons tous aujourd'hui.
Hubert Rigal
Michel était la tête d'affiche numéro un des pilotes Français depuis de longues années. Il était certainement le plus connu, avec Pons. Au point de vue pilotage, c'était l'un des plus beaux pilotes, il avait le meilleur style, il était pourri de qualités. Mais Michel était aussi un garçon complexé et il n'a pas conduit la carrière qui aurait dû être la sienne.
Alain Terras
Michel, c'était pour moi un ami de toujours parce que c'est un des premiers pilotes que j'ai connu quand j'ai commencé à courir. Et puis tous les week ends, quand on ne courait pas, on allait avec Tchernine faire du tout terrain. J'ai aussi passé plusieurs vacances avec lui soit à Bandol soit à Val d'Isère soit comme l'année dernière, en Thailande ou nous étions restés un mois ensemble. Et puis il y avait toutes les sorties que nous avons pu faire ensemble à Paris...

Après Olivier et Patrick, c'est les trois pilotes que j'ai connus tout de suite et qui m'ont aidé pendant mes débuts. C'était un bon ami et nous ne restions pas une semaine sans aller faire un dîner l'un chez l'autre. Je suis effondré tout comme Thierry Tchernine que je viens d'avoir au téléphone et qui ressent à peu près la même chose que moi... Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter...
Informations tirées de Moto Revue N° 2513 du 3 juin 1981.
Par Ph. Michel.
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