La sortie, c'est par là ! Quatre Motos Françaises en Grand Prix
Pas nationalistes... mais
Devant Ago ! Cette photo est un document. Eric Offenstadt est ici en tête du Grand Prix d'Allemagne de l'Est 1972, sur le Sachsenring, chevauchant une coque de sa conception (notez la couronne en nylon sur la roue arrière !). Il devançait alors Agostini lui-même, dont la MV 500 fut pratiquement imbattable cette année-là ! Lorsque son vilebrequin cassa, Eric reçut une formidable ovation des 200 000 Allemands présents. << J'en ai encore la chair de poule lorsque j'y repense >> avoue-t-il. Loin de nous le nationalisme... Si nous nous enthousiasmons pour le projet que nous vous présentons aujourd'hui, en exclusivité, ce n'est pas par excès de chauvinisme. Certes, il s'agit bien de faire participer deux jeunes espoirs français aux Grands Prix sur quatre motos entièrement françaises grâce à des capitaux français. Mais cette avalanche de "bleu-blanc-rouge" n'a pas pour nous de signification politique.

Nous sommes par contre conscients de l'importance de la réussite d'une telle opération dans la mesure où elle contribuerait de manière considérable au développement de notre sport favori et surtout à sa sauvegarde dans notre pays. Nous avons déjà évoqué, en première page, les difficultés qui vont à l'encontre de nos représentants en championnat du monde, au point de les empêcher de concrétiser les espoirs que leurs grands talents nous permettent de placer en eux.

Ces qualités sont reconnues par la presse internationale entière: la jeune génération des pilotes français est l'une des meilleures au monde. Imaginons un instant que cette absence de résultat se prolonge encore longtemps. Les exploits isolés de nos pilotes étant seulement et tout juste relevés par la presse spécialisée, le grand public continuerait alors à considérer nos représentants en compétition moto comme médiocres, bien souvent à tort pour l'ensemble des sports.

Demandez autour de vous. "Quels sont les meilleurs pilotes moto ?" On vous répondra la plupart du temps: "Autrefois les Italiens et les Anglais, maintenant les Japonais". Insistez: "Et les Français ?" La réponse sera alors ou voudra à peu près dire: "Bof..."
Des raisons profondes
Avant la chute ! Eric Offenstadt ayant décidé de prendre sa retraite de pilote pour se consacrer à la technique, un autre Eric, Saul, le remplaça au côté de Jean Claude Hogrel lors du dernier Bol d'Or. La brillante exhibition fut malheureusement interrompue par une chute du jeune Saul. Combien de sports où les Français excellaient ont été ainsi véritablement assassinés à un haut niveau de la compétition par les prises de position d'une certaine presse qui n'admet pas les défaites, même si elles ne sont que provisoires et qui contamine cette réaction à l'ensemble du public. Ce fut le cas, autrefois, pour le tennis et, plus récemment pour le ski. Dans ces deux sports, les équipes françaises de niveau international ne s'en sont jamais relevées.

Mais si cela n'a jamais empêché des millions de licenciés de faire du ski ou de jouer au tennis, cela pourrait par contre être très grave pour tous ceux qui font de la compétition moto, même sans ambition. On sait en effet que les sports mécaniques sont difficilement acceptés par certains et qu'il a même été essayé de les réduire à néant soit par une interdiction pure et simple (avec pour prétexte les économies d'énergie), soit indirectement (encore récemment, avec l'affaire, heureusement résolue, des augmentations exhorbitantes des prix des forces de l'ordre lors des réunions sportives).

Les politiciens et les bureaucrates oseraient certainement moins porter des coups à la compétition moto si le grand public lui était pleinement favorable. Pour cela, le Français étant (malheureusement) très chauvin, nos représentants doivent rapporter des victoires et même des titres. L'audience du sport automobile s'est sensiblement accrue en France, avec les récentes performances de nos pilotes, lui apportant ainsi notamment de nombreux sponsors.

Il est temps que le sport motocycliste développe lui aussi son image de marque auprès du grand public et intéresse d'autres que les purs passionnés (heureusement déjà très nombreux). Il devient urgent que les possibilités, réelles, de nos meilleurs pilotes se concrétisent enfin. Il faut simplement leur en donner les moyens autres que des Yamaha, Morbidelli ou Suzuki privées. Un Français champion du monde sur une machine française: pourquoi pas ? C'est pour cela qu'à Moto-Presse, nous plaçons une bonne part de nos espérances sur le projet d'Eric Offenstadt.
Quatre motos françaises en Grand Prix...
Eric Offenstadt Eric Offenstadt Même s'il estime que tout le monde devrait "acheter français dans l' intérêt de la nation" et même s'il a une certaine admiration pour "chaque Japonais qui va au boulot comme si il partait en guerre pour fabriquer de meilleures montres que les Suisses ou de meilleures motos que les Italiens !", Eric Offenstadt n'est pas, lui non plus, bêtement nationaliste.

Etant à l'origine de ce projet d'équipe française en Grands Prix, avec du matériel français, il tient à préciser: "Je sais que certains, dans le monde de la moto pensent que je fais tout fabriquer suivant mes dessins par gloire ou par nationalisme pur... En fait, lorsque je fais faire une pièce, c'est que j'estime que les caractéristiques de celles déjà existantes ne conviennent pas.

Quand le bloc moteur d'origine Kawasaki ne m'a plus permis d'agrandir encore les transferts, j'ai fait faire un moule de bloc complet: lorsqu'on sait ce que cela coûte, on réalise que ce n'est vraiment pas pour le plaisir... La boîte de vitesses reste en grande majorité constituée de pièces Yamaha. Comme elles sont satisfaisantes et que, de toute façon, ce serait hors de prix de confectionner une boîte complète, je ne vois pas pourquoi je la changerais. Même chez Matra, en Formule 1, ils conservent toujours la boîte anglaise Hewland qui est un très bon produit. Cela dit, il est certain que j'éprouve une certaine satisfaction à voir tous les carters moteur frappés des lettres HO". Même si c'est donc pratiquement involontaire, on peut être satisfait que la HO soit à 99 % française: cela ne peut qu'aider à attirer les supports financiers éventuels. Car cela reste le principal obstacle à la réalisation de ce projet.
80 millions !
Sans cesse, Offenstadt a amélioré sur la table à dessin les divers éléments de sa machine. C'est ainsi que les freins (ici l'arrière) ont presque atteint la perfection. Quant aux roues magnésium, Eric est déjà passé depuis longtemps maître dans l'art de leur fabrication. Et encore faut-il préciser qu'il n'en serait pas à ce stade sans l'aide des frères Houzé, Bernard et Michel, qui ont financé la construction de la première HO (H pour Housé et O pour Offenstadt) et les dépôts des brevets de la suspension avant et de la double carburation. Sans leur appui et leur enthousiasme cette machine n'aurait certainement jamais vu le jour, surtout le moteur dont les nombreuses pièces ont en effet été faites à la FIMA, société fournissant déjà Matra pour ses V12 ! Gérard Debrock lui, fit heureusement grâcieusement les carters moteur tandis que Larher, modeleur, à Argenteuil travaillait à des conditions intéressantes.

Les essais avec Olivier Chevallier ne purent se faire qu'avec la participation de Total et des chaussures André, alors que la participation au Bol d'Or fut en bonne partie financée par le BHV, qui est depuis longtemps un fidèle supporter d'Eric. Enfin, sur le plan des moteurs, l'aide des carburateurs Gurtner n'est pas négligeable surtout au niveau de la collaboration technique, ce fabricant français mettant notamment à disposition son banc d'essai. Partant des bases déjà existantes, Offenstadt a étudé un buget pour l'an prochain. Pour lui, le meilleur rapport coût/résultats envisageables constitue à engager quatre motos en Grands Prix pour deux pilotes: deux 350 et deux 500, la conception générale du moteur acceptant ces deux cylindrées.

La HO est indiscutablement une très belle moto. Il s'agit ici du modèle de cette saison. Celui de l'an prochain doit être plus beau encore. La poutre en aluminium coulé que l'on voit ici sans le réservoir d'essence doit être en effet remplacée par une nouvelle coque en tôles d'aluminium pliées et soudées. Un seul pilote du moteur acceptant ces deux cylindrées. Un seul pilote serait trop peu par rapport à l'investissement de départ, plus de deux serait par contre trop important avec notamment la nécessité de mise en place d'une grosse équipe de mécaniciens. Entre cet engagement dans le Continental Circus, mais aussi une participation au Bol d'Or, Offenstadt arrive à la somme assez coquette de 80 millions de centimes dans laquelle il faut inclure les salaires de trois ou quatre mécaniciens, la location des locaux, l'équipement, etc. Avec le prix des différentes pièces, notamment celles en magnésium, on atteint rapidement un tel budget pour quatre motos.

Certes, cela peut paraître important au niveau français mais il faut bien réaliser que les budgets des services compétition de Yamaha, Kawasaki et autres sont sans doute beaucoup plus élevés encore. Pour pouvoir rivaliser avec ces équipes d'usine bénéficiant de moyens plus importants, Offenstadt n'a pas d'autres solutions que d'étudier des architectures différentes permettant de faire la différence et ce n'est pas le moindre intérêt technique de l'opération.
Pépé à la retraite !
L'originalité principale et certainement le point fort de la HO est la suspension avant du type roue tirée. De nouveaux bras en magnésium sont en cours de fabrication. La collaboration entre les frères Chevallier (Alain, pour la mise au point et Olivier pour le pilotage) et Offenstadt, mise en place pour les premiers essais de la HO en début d'année, ayant cessé en cours de saison, Eric et les frères Houzé ont pû prendre d'autres dispositions. Pour le Bol, il était ainsi prévu que "Pépé" (surnom injustement attribué à Offenstadt en raison de son âge), fasse équipe avec Jean-Claude Hogrel qui avait participé à quelques séances d'essais. Mais lors des entraînements, Eric s'aperçut rapidement qu'il manquait nettement de condition physique. C'est ainsi qu'entre constructeur et pilote il a choisi la première activité estimant que les deux ne peuvent pas être compatibles longtemps.

Il laissa sa place pour le Bol, à un autre jeune espoir: Eric Saul. Malgré la chute de ce dernier au cours de l'épreuve, tous deux donnèrent satisfaction. Partageant de plus, la motivation de toute l'équipe, il est bien normal que ces deux garçons que nous vous présentons par ailleurs soient désignés en priorité comme pilotes "usine" pour la saison prochaine. Ils devraient donc disposer de quatre superbes machines, en principe décorées par de larges flèches aux trois couleurs nationales, à moins qu'un sponsor éventuel ne préfère imposer ses couleurs.

Ce serait d'ailleurs plutôt bon signe, indiquant qu'un large financement aurait été trouvé. Si un sponsor unique ne suffisait pas, il est en tout cas probable que le rassemblement de plusieurs subventions (aides d'un pétrolier, d'accessoiristes, d'extra-sportifs, etc), dont une accordée éventuellement par l'Etat, pourrait permettre d'atteindre les quelque 80 millions indispensables. Quoiqu'il en soit, Eric Offenstadt a lancé la fabrication des pièces principales notamment des nouveaux bras de suspension avant en magnésium, ainsi que la transformation de certains éléments du moteur tandis qu'il travaille assidûment au dessin de la nouvelle coque. Le tout doit être assemblé dans des ateliers en cours d'aménagement à Montlhéry.
Défi
Olivier Chevallier et Jean-Claude Hogrel ont longuement testé la HO au Paul Ricard. La mise au point n'alla pas sans donner quelques soucis à toute l'équipe et la non-qualification de Chevallier au Grand Prix de France fut une énorme déception. Depuis, les choses ont heureusement bien évolué. Le mois prochain, des essais privés sont prévus sur le circuit de Nogaro avec la HO qui a participé au Bol d'Or équipée du moteur 500 Grand Prix à quatre cargurateurs. Offenstadt espère voir ses pilotes y battre le record absolu de la piste. Il pense en effet, d'après les derniers enseignements dont ceux tirés du Bol d'Or, que la HO 500 peu d'ores et déjà aller plus vite que des 750 !

Il lance cela un peu comme un défi, quitte à prêter le flanc à la critique qui n'est pourtant jamais tendre avec lui. Mais il sait que si ce nouveau pari était gagné ce serait un très bon atout pour l'organisation de cette saison prochaine, tant attendue. Nous vous informerons bien entendu sur le déroulement de ces essais. L'évènement sera en effet de taille si cette "Equipe de France" de Grands Prix doit y trouver sa concrétisation définitive.
Suite de l'article: les HO...
Informations tirées de Moto-Presse du 19 au 26 octobre 1977.
Par Jean Marc Andrié.
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