La sortie, c'est par là ! Patrick Pons
PATRICK EST MORT...
La nouvelle, un mardi soir dans un Paris en vacances, est tombée mornement sur les télescripteurs: "Patrick Pons, blessé dimanche lors du Grand Prix de Grande Bretagne à Silverstone, est décédé à 1'hôpital de Northampton sans avoir repris connaissance".

Aussitôt diffusée, sur toutes les radios, et télévisions (il faut mourir, en France, pour faire parler de moto) l'annonce de la mort de Patrick a pris immédiatement l'aspect d'un gros coup dur: tout de suite après la disparition d'Olivier, autre vrai personnage, la mort de Patrick ne pouvait que marquer tous ceux qui le connaissaient plus ou moins et pour lesquels, très naturellement, il était devenu beaucoup plus qu'un pilote de renom.

Patrick Pons. J'ai toujours pensé que cet aspect de notre métier était de loin le plus moche: quand quelqu'un disparaît, coûte que coûte, il faut encore parler de lui. C'est difficile souvent parce que ce même métier nous fait approcher de très près les têtes d'affiche de notre sport préféré. Mais dans le cas présent, et pour des tas de raisons, la tâche est encore plus absurde.

Comment parler de Patrick ? Qu'est-il possible de dire, aujourd'hui, de cet étrange personnage qui ne laissait jamais insensible. C'est en 1972, pour son premier Bol d'Or, que je devais vraiment faire sa connaissance. Il venait alors de remporter la coupe Kawasaki et participait, avec son ex-adversaire de la coupe, Stadler, à la première vraie course d'endurance de sa vie. Je me souviens parfaitement de cet anorak rouge qu'il avait enfilé sur son cuir.

Au petit matin, le point rouge de ce jeune dont on disait le plus grand bien tournait inlassablement au milieu des grosses cylindrées: blessé dès le début de la course, son camarade devait lui laisser le guidon un maximum de temps parce qu'il était pratiquement incapable de piloter. Pons, qui n'était alors que le nom du gagnant de la coupe Kawa, avait déjà une bonne réputation de fonceur. Mais tout le monde découvrait, après dix-huit heures de conduite, qu'il était aussi susceptible d'une incroyable ténacité. Je me souviens aussi de ses débuts en Grands Prix et de ce qui allait, tout au long de sa carrière, rester un des traits de caractère essentiel.

Patrick Pons. Lorsque beaucoup de pilotes affichaient volontiers une fausse décontraction de bon ton, Patrick gardait perpétuellement un air profondément réfléchi. Il débutait alors dans la compétition en Grands Prix et faisait preuve d'une exceptionnelle humilité qui n'était pas, pourtant, absente de confiance en soi. Très conscient de ses lacunes (et elles étaient sérieuses à l'époque) Patrick hantait les parcs coureurs pour essayer d'apprendre le plus de choses possibles. Avec cette timidité qui devait si souvent le faire passer pour un snob, Patrick allait discrètement de l'un à l'autre pour comprendre et apprendre tout ce qui pouvait lui manquer.

Avec lui, déjà, ce n'était pas les grands mots et les éclats de rire forcenés. Mais j'avais été frappé, en Suède, par cette sorte de dualité qui existait chez lui: comment ce grand type timide et mal à l'aise dans le parc, pouvait-il d'un seul coup, devenir cet animal enragé pendant la course proprement dite ? Il a fallu, pour le comprendre, un certain nombre de week-ends plus ou moins gaspillé dans ces parlotes un peu factices des veilles de Grand Prix: "Alors, ça va ? Oui bien sûr... Mais je me demande si ceci, ou cela...".

Tout Patrick était là: un moral très réel, parce qu'il savait exactement ce qu'il faisait ici, et une modestie très profonde vis-à-vis de ce métier qu'il savait parfaitement ne pas dominer à la perfection. Cette prudente réserve, Patrick devait en faire preuve jusqu'au bout de sa carrière. Cette année encore, sur le circuit de Daytona, et alors même qu'il était encore tout auréolé de ce titre de champion du monde merveilleusement confirmé, Patrick gardait vis-à-vis de lui-même les sempiternelles restrictions. Après l'arrivée, c'est-à-dire après avoir longuement répondu à tous les médias US, le vainqueur de Daytona redevenait lui-même: "Qu'est-ce que tu en penses ? Je crois que je n'ai pas fait d'erreur cette fois-ci... Je crois que je n'aurais pas pu faire mieux...".

La réflexion, dans la bouche de celui qui venait de gagner sans discussion possible, était infiniment éloquente. Et puis comment parler du reste ? Un regard, un sourire mutuellement échangés pour telle ou telle raison sans réelle importance. Malgré une réussite évidente sur le plan matériel comme sur le plan sportif, Patrick restait contre vents et marées un gamin sympathique. Champion du monde de vitesse, ce qui est la consécration indiscutable de ceux qui ont choisi ce métier, P.D.G florissant de deux magasins en pleine extension, Patrick avait tous les signes extérieurs de la parfaite réussite.

Et lorsqu'il nous arrivait d'en parler, entre deux séances d'essais sur un circuit quelconque, la même question me venait tout bêtement à l'idée: pourquoi continuer ? Tu as prouvé que tu pouvais être le plus fort, tu es riche, tu es aimé et reconnu, alors qu'est ce que tu fais-là ? La question, bien sûr n'était pas posée dans des termes aussi crus. La pudeur, à tous les niveaux, n'est pas seulement une vue de l'esprit. Mais l'interlocuteur comprenait parfaitement de quoi il était question. Sans insister, parce que ce n'était pas son genre, il laissait bien entendre qu'il avait bien compris et tentait, avec la même pudeur, de vous expliquer vraiment le pourquoi du comment. Le fric ? Pour Patrick Pons, il n'avait jamais eu de réelle importance.

Patrick Pons. La gloire ? Elle comptait, bien sûr, et il était trop honnête pour ne pas le reconnaître. Mais ce n'était pas là l'essentiel. Courir, pour Patrick, ce n'était pas seulement rechercher la fortune. C'était surtout, pour lui, un plaisir immense que peu de gens peuvent comprendre. Courir, pour lui, c'était chaque fois remettre tout en question. C'était refuser le quotidien, le facile, le minable pour y préférer consciemment la vraie difficulté. Car il ne faut pas se leurrer ; après un titre de champion du monde que personne n'attendait, Pons aurait très bien pu s'en tenir à ce seul résultat.

Conscient de la chance qui lui avait été nécessaire il savait pertinemment que la saison 80, pour lui, ne pouvait être que plus mauvaise. Il savait même d'autant plus qu'il s'attaquait, tout aussi consciemment, à la plus dure et la plus belle de toutes les catégories. "Je sais, disait-il après son titre de 750, que j'ai beaucoup de choses à apprendre et qu'il va me falloir progresser pour m'attaquer aux Roberts, Sheene et autres Ferrari. Mais je vais courir, l'an prochain, dans la catégorie 500...".

Le reste, le plus important, Patrick ne le disait pas. La pudeur, toujours, qui ne fait aborder que le superficiel pour délaisser délibérément tout ce qui est important. En général le regard presque vide perdu au-dessus des têtes, Patrick trouvait toujours un bon motif pour partir. Et nous n'avions, les uns et les autres, guère envie de le tarabuster davantage. Pourquoi, d'ailleurs, aurions-nous osé le faire ? Les plus stupides d'entre nous, sur la piste, voyaient bien ce qu'il se passait.

Patrick Pons. Ils voyaient bien, dans chaque courbe, les mêmes traits tendus derrière la visière du casque. Ils retrouvaient bien, à chaque occasion, la même tension juvénile que nous connaissions bien: Patrick, malgré ses titres, son fric et ses voitures de sport, redevenait le temps d'une course celui que nous avions connu, il y a huit ans, pendant la coupe Kawa. Cette activité un peu folle, pour le commun des mortels, demeurait avec lui ce qu'elle devait toujours être: une passion brutale, dangereuse, exaltante qui se suffit à elle-même.

Lorsque trop de pilotes viennent y chercher les manifestations extérieures d'une réussite quelconque, Patrick ne considérait la course que comme une fin en soi: l'argent, la gloire et le reste n'étaient que subsidiaires. Le but pour lui, était toujours le même, depuis le premier jour: vaincre les autres et se vaincre soi-même. Pour en donner un exemple plus précis, je ne crois pas me souvenir d'avoir vu, une seule fois, Patrick prendre le départ d'une course sans espoir de gagner. Cette attitude, qui peut aujourd'hui faire sourire certains professionnels, était aussi naïve que puissamment admirable: la pureté, de nos jours, est encore de ces choses qui étonnent.

Patrick Pons. Et puis Pons, en dehors des circuits, savait rester quelqu'un. A une époque où le système D reste la morale de masse, quand chacun ne pense qu'à son propre bonheur sans se préoccuper des autres, des attitudes comme la sienne ne peuvent laisser indifférent. Connaissez-vous beaucoup de pilotes, en l'an de grâce 1980, qui se soient autant penchés sur le sort de leurs très jeunes collègues ? Connaissez-vous beaucoup de gens qui auraient, dans la situation de Patrick bloqué dans un lit en 1976, fait des pieds et des mains pour de très jeunes rivaux ?

Car il ne faut pas se leurrer: quand il fait le nécessaire pour que l'on prête sa moto à Christian Sarron, Patrick prend incontestablement un risque énorme. Car si l'élève se montre trop vite le supérieur de son maître, qui sait exactement ce qui peut arriver ? Mais nous touchons ici à une certaine forme de mesquinerie qu'il ne connaissait pas.

Patrick, à chaque fois que nous avions pu en parler, affichait sans détour ses convictions profondes: "J'ai eu de la chance à mes débuts, parce que je suis rentré chez Sonauto et que j'y ai trouvé du matériel et une assistance efficace. Qui sait, sans cela, ce que serait ma carrière ? Aujourd'hui, parce que je suis relativement nanti, il est normal et nécessaire que je fasse mon possible pour les autres. Il est juste, aujourd'hui, que je tente de leur donner, à eux aussi, les mêmes éléments qui m'ont permis de percer. Et si un jour ils doivent être devant moi, ce ne sera que normal et je n'aurais rien à dire...".

Patrick Pons. Ce même raisonnement, vis-à-vis du public, se retrouvait chaque année: le Fan's club, qui permettait à ses supporters de voir les courses dans de bonnes conditions, n'était pas, et de loin, une affaire lucrative. Il lui coûtait même, chaque année, une bonne partie de ses revenus personnels. Mais qu'importe. Patrick se savait aimé et surtout regardé. Et il estimait que plus il y aurait de spectateurs, le long des circuits Européens, plus l'exemple pourrait se montrer salutaire. " Avec un peu de chance, me disait-il, il y a là-dedans des tas de candidats pour la coupe Kawa. C'est bien le diable si, dans le tas, il n'y aura pas vraiment un bon pour faire les Grands Prix. Franchement, je pense que cela ne peut être que très bon pour la moto en général".

Ce qui est dur, aujourd'hui, c'est de se dire que tout est fini. Nous ne croiserons plus, dans un parc de Grand Prix, ces yeux bleus qui ne nous voyaient pas toujours. Nous ne le verrons plus, en descendant de moto, transfiguré par la joie ou, au contraire, figé par la déception. Nous nous sommes retrouvés, un jour, avec quelques centaines de ses amis, dans une église de l'Eure où il avait été baptisé il y a 28 ans. Certains le connaissaient fort bien et d'autres, sans doute plus nombreux, ne lui avaient même jamais parlé. Mais tous, à des degrés et des stades différents, avaient été marqués par ce timide discret qui savait mieux que personne, aller jusqu'au bout de ce qui lui tenait à coeur.
L'accident
Moto Revue N° 2474 du 4 septembre 1980. C'est en entrant dans le quatrième tour de la course des cinq cents centimètres cubes que Patrick Pons devait tomber au lieu-dit "Becketts Corner". Il occupait alors la 10ème place derrière Bernard Fau et devant Michel Rougerie qui le suivait depuis le début de la course de très près. Dans la clinique mobile AGV, où les médecins Italiens finissaient son auscultation, Michel racontait en grimaçant de douleur ce qu'il avait vu de l'accident.

"Il attaquait trop fort depuis le début et je l'avais vu déjà plusieurs fois en catastrophe. Je voulais d'ailleurs le passer parce que je craignais un peu ce qui allait arriver. Et puis quand la moto est partie, il n'a pas pu la reprendre et j'ai essayé de tout balancer à gauche pour l'éviter. Mais c'était matériellement impossible: je suis tombé aussi et tout s'est mis à tourner autour de moi".

On devait dire, dans le parc, que c'est la moto de Michel qui était venue frapper Patrick en pleine tête. En fait, les commissaires présents sur place devaient démentir cette nouvelle et préciser, au contraire, que c'est la Yamaha elle-même qui était revenue frapper son pilote: les photos en notre possession paraissent a priori confirmer cette version. Le fait, d'ailleurs, ne change rien à l'affaire et Michel, même dans la première hypothèse, ne pourrait en aucun cas se reprocher quoi que ce soit.

Immédiatement secouru par les responsables Anglais, Patrick était conduit dans un premier temps à la clinique AGV qui constatait tout de suite la gravité de ses blessures: sans même prendre le temps de pratiquer le moindre examen, Claudio Costa conseillait le transfert immédiat vers l'hôpital le plus proche et accompagnait personnellement le blessé vers la grande ville de Northampton à une trentaine de kilomètres. Le médecin Italien devait rester longtemps au chevet du blessé et ne cachait pas, à son retour sur le circuit, le peu d'espoir qu'il nourrissait alors.

Pour lui comme pour son confrère Italien spécialiste de traumatologie cranienne, il s'agissait d'un traumatisme du quatrième degré dont l'issue, statistiquement, est malheureusement fatale la plupart du temps. Un peu plus de quarante-huit heures après, et sans avoir repris connaissance, Patrick mourait à l'hôpital de Northampton.
Suite de l'article: La carrière de Patrick Pons.
Informations tirées de Moto Revue N° 2474 du 4 septembre 1980.
Par Ph. Michel.
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